J'ai toujours voulu savoir pourquoi Diam's avait brutalement abandonné sa carrière et pris le voile. Et puis le personnage est intriguant, à la fois iconique et rugueux. Je me suis donc plongé dans le récit qu'elle a voulu écrire, après avoir mis fin à sa carrière, au final assez courte (1999-2009), sans tenir compte des quolibets de mes collègues profs ("quoi, tu lis ça ?").


Ce livre, auquel on ne pourra pas reprocher d'être autocentré puisqu'il cherche justement à faire le tri et à apporter une justification, révèle quelques surprises, disons deux. D'abord, de manière assez étonnante, celui d'une pudeur assez farouche : si vous cherchez dans ce livre le catalogue des aventures amoureuses que Diam's a eues, autant vous dire que vous repartirez bredouille. Elle n'en dit rien, et elle dit expressément qu'elle ne veut rien en dire. Ensuite celui d'un besoin d'honnêteté et d'authenticité (quitte à s'illusionner parfois, mais j'y reviendrai) qui confine au traditionnalisme.


Avant de revenir sur les réponses que j'ai eues à ma question, revenons sur la forme. Ce livre, de 300 pages faciles à lire (je l'ai dévoré en 24 heures sans forcer), se découpe en quatre parties inégales. Une courte partie sur l'enfance, la formation (ou plutôt l'absence de formation). Une partie sur l'arrivée du succès, la construction de la relation avec le public. Une troisième partie sur la descente aux enfers. Et une quatrième partie assez longue sur la porte de sortie que fut l'Islam, et la difficulté à assumer le choix de mettre fin à sa carrière.


Parfois, Diam's prend une page pour mettre les paroles d'une chanson dont elle est fière, qui a marqué pour elle une étape. Et là, on touche à la spécificité du rap : si vous les lisez comme cela, vous avez l'impression de lire le texte d'un ado rebelle assez bas du front. Si vous prenez le temps d'aller chercher le clip sur internet, avec le rythme et le débit (ou flow), vous comprenez l'émotion que véhicule la chanson. C'est un peu comme les paroles des chansons de blues, assez pauvres au fond mais transcendées par l'interprétation. Il faut donc faire cet effort d'aller chercher.


Bref, quelles réponses m'a apporté ce livre ?


D'abord pour l'enfance. Mélanie Georgiadès n'est pas vraiment une fille de banlieue : son père est chypriote, d'une famille orthodoxe, et elle a longtemps vécu son absence comme une blessure personnelle, qui l'a rendue violente. Sa mère quant à elle travaillait dans le monde de la production musicale. Enfant, Mélanie a même participé à une choré pour la tournée française de Michael Jackson. Voyant peu sa mère, grandissant en internat à Brunoy puis à Massy (pas vraiment la street), Diam's a abandonné sa scolarité au niveau du brevet, pour le reste c'est une autodidacte (pour un prof, ce genre de détail est émouvant et important). Dès 1993, profondément marquée par J'appuie sur la gâchette de NTM, elle traîne avec des potes et commence à participer à des battles. Après avoir été tentée de partir avec un label indépendant, elle décide de signer avec EMI, et de plus en plus de gens s'occupent de sa carrière.


Je ne vais pas trop m'attarder sur les étapes de la montée du succès. C'est assez drôle de voir comme elle était énervée, pour son premier passage télé, que son tube DJ soit présenté comme "la nouvelle Lambada", bref le tube de l'été. On suit l'ascension de l'intérieur. Un concert annulé à la FNAC de Châtelet par peur que la foule, arrivée en avance, crée une émeute. Son premier relooking, qui l'aide à gagner en assurance. Son sentiment d'épanouissement. La volonté farouche de se protéger des paparazzis. La rencontre avec Vitaa, les chansons anti-FN, les séjours à l'île Maurice pour se ressourcer. L'enfermement dans la relation avec le public que l'on ne veut pas décevoir, les amis que l'on perd de vue, le travail intense fourni pour produire Dans ma bulle, la déplaisante ambiance de jetset hypocrite des NRJ Awards.


Le 8 mars 2008, Diam's se produit pour les Victoires de la musique. Mais en réalité, elle est de sortie provisoire après un premier séjour de deux semaines en hôpital psychiatrique. Déprime due à des sentiments contradictoires, qu'elle peine à démêler, mais que je résume ainsi : une tension énorme entre la volonté de ne pas décevoir le public et la conscience d'avoir fait le vide autour de ses anciennes relations, celles qui compte, y compris sa mère. Et le sentiment, à 28 ans, d'avoir fait le tour de ce que l'Humanité peut offrir, d'avoir fait les expériences les plus extrêmes, vu les paysages les plus beaux, que l'ensemble de la vie n'est que décor. L'impression d'être désormais prisonnière de son personnage et d'en avoir fait le tour. Elle est lourdement médicamentée (l'époque voulait ça, j'ai un oncle qui a eu aussi une camisole chimique dans ces années-là), prend peur de ce que les gens vont penser s'ils l'apprennent, essaie plusieurs psychiatres, traverse un vide créatif, déboule brutalement dans une rédaction parisienne qui colporte des bruits sur ses déboires, tente une tournée africaine, essaie de se rassurer avec un diagnostic de bipolarité, voit l'élection simultanée d'Obama et Sarkozy... Un soir, à Lyon, elle demande à une amie qui va prier si elle peut l'accompagner. Et elle apprend les gestes de la prière musulmane. C'est une révélation.


Diam's dit ne jamais avoir cessé d'être croyante. Sa foi va se préciser lors d'un séjour à l'île Maurice, où elle est absorbée par le Coran, qu'elle dévore d'une traite, ce qui est rare pour elle. Le livre reprend in extenso de longs passages du Coran et transmet ce qui l'a émue. Elle a découvert tout cela sans encadrement, sans éducation théologique (c'est venu ensuite, spontanément). Visiblement, ce qui l'a touché, c'est la dialectique entre l'immensité de Dieu et l'insignifiance de l'individu. Une manière d'accepter le monde tel qu'il est donné, en gardant conscience de la petitesse de ses propres problèmes, en revenant à l'essentiel : être nourri, avoir un logement, mener une vide décente, avoir conscience du cosmos. Le livre se termine sur les étapes de la conquête d'une nouvelle vie : volonté de se consacrer à son mari (elle est très discrète sur leur histoire), tentative d'expliquer à ses collaborateurs musicaux qu'elle fait un dernier album d'adieu, voyages en Afrique en vue de créer une fondation finançant des orphelinats, réconciliation avec sa mère, puis son père. Et la faute à pas de chance : peu avant la sortie du nouvel album, des photos volées de Mélanie voilée sortant d'une mosquée au bras de son mari parues dans Paris Match, et le refus (choix difficile) d'aller dans les médias pour se justifier. Après la promo, le voyage en couple en Tanzanie. La satisfaction d'avoir réussi à tourner le dos à la gloire.


Au fond, Mélanie a trouvé dans l'Islam la force qui l'a tirée de la dépression, et que les médicaments ne pouvaient lui offrir. Elle fait remarquer, de manière pertinente, que ce n'est pas tant sa conversion qui a défrayé la chronique que le fait qu'elle ait décidé de porter le voile. Cela nous renvoie un peu à nous-mêmes, à notre deux poids-deux mesures inconscient et implicite dès qu'il est question d'islam.


Alors oui, mes collègues m'ont bien chambré, mais j'ai apprécié la lire, cette autobiographie de Diam's. C'est une vision assez positive de l'Islam, et nous n'avons pas fini de démêler nos problèmes avec cette religion. Je n'ai absolument rien de croyant, et lorsque Mélanie détaille les preuves que le Coran est selon elle un texte divin, le sceptique que je suis ne peut qu'hausser les épaules et rouler des yeux, mais c'est rassurant de voir que cette religion peut tirer des gens du pétrin, les aider à trouver en eux une force pour dépasser leurs problèmes, bref n'être pas qu'une religion de mort.


C'est un message que nous devons entendre, depuis 2015 nous en avons particulièrement besoin, nous Français.

zardoz6704
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le 9 août 2018

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