Le Dialogue du Chapon et de la Poularde (1763) de Voltaire est un dialogue philosophique, qui de philosophique n’en a que le nom : comme les hommes ils sont hypocrites ! comme les hommes ils sont méchants ! comme les hommes ils sont cruels ! Voilà qui témoigne en effet d’une philosophie profonde et d’une réflexion complexe à nulle autre pareille.

LE CHAPON. — [I]ls prétendent nous manger. LA POULARDE. — Nous manger ! ah, les monstres ! […] Quels abominables coquins ! je suis prête à m’évanouir. Quoi ! on m’arrachera les yeux ! on me coupera le cou ! je serai rôtie et mangée ! Ces scélérats n’ont donc point de remords ?

L’humour et le second degré de ce passage, bien sûr, ne m’échappent pas, non plus que les indéniables qualités d’écriture du dialogue — toujours est-il, l’idée sous-jacente, que chacun comprend très bien, est que l’être humain est inhumain envers les animaux parce qu’il les tue pour les manger. C’est idiot. Comment l’humanité aurait-elle pu survivre et prospérer si les hommes n’avaient guère chassé ? Comment Voltaire lui-même aurait-il pu écrire ce texte, si l’humanité ne s’était pas d’abord hissée au sommet de la chaîne alimentaire ? D’ailleurs, n’écrivait-on pas à l’époque avec les plumes des oiseaux ? Et quid de ces bêtes qui ont dévoré tant et tant d’êtres humains à travers les âges ? Sont-elles aussi indignes d’être des bêtes ? Cette moraline humaniste contre la souffrance animale, venant d’un auteur connu pour ses affaires avec des commerçants d’esclaves, vraiment, ne manque ni de sel, ni de poivre, ni de « longue aiguille dans le cul ».


Surtout, sous couvert (et sous les couverts) de l’ironie, ce dialogue est en réalité un pamphlet anti-chrétien, qui s’attaque aux racines mêmes de la France.

LE CHAPON. — [...] Les sages ne tuent point les animaux, dit Porphyre ; il n’y a que les barbares et les prêtres qui les tuent et les mangent. Il fit cet admirable livre pour convertir un de ses disciples qui s’était fait chrétien par gourmandise. LA POULARDE. — Eh bien ! dressa-t-on des autels à ce grand homme qui enseignait la vertu au genre humain, et qui sauvait la vie au genre animal ? LE CHAPON. — Non, il fut en horreur aux chrétiens qui nous mangent, et qui détestent encore aujourd’hui sa mémoire ; ils disent qu’il était impie, et que ses vertus étaient fausses, attendu qu’il était païen. LA POULARDE. — Que la gourmandise a d’affreux préjugés !

Convaincu d’être génialement subversif, Voltaire ne réalise même pas que cette complaisance masochiste dans l’auto-flagellation intellectuelle par la critique des mœurs et de la religion de son propre pays, est précisément possible parce que d’inspiration chrétienne : les fameuses « anciennes vertus chrétiennes devenues folles » de Chesterton.


C’est que le pays de Voltaire, ce n’est pas la France ; comme tout cosmopolite déraciné, son pays, c’est l’ailleurs (c’est-à-dire le nulle part). « L’herbe est toujours plus verte ailleurs », comme le dit cette fois l’expression populaire.

LE CHAPON. — […] Ils assurent que dans un pays nommé l’Inde, beaucoup plus grand, plus beau, plus fertile que le nôtre, les hommes ont une loi sainte qui depuis des milliers de siècles leur défend de nous manger ; que même un nommé Pythagore, ayant voyagé chez ces peuples justes, avait rapporté en Europe cette loi humaine, qui fut suivie par tous ses disciples.

En vérité (je vous le dis), Voltaire n’est certes pas dans ce texte la plus brillante des Lumières...

Lapineon
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le 9 mai 2024

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