Quand le chat n'est pas là, l'Oussouri danse

Je n'ai jamais vu le film de Kurosawa, repoussant la chose comme par peur d'une déception qui même infime serait cruelle, tant mes attentes pour une histoire de taïga et de tigre s'envolent dans la démesure. Alors lorsque le hasard, caché entre deux bosquets au détour d'un docu romancé sur le grand félin sibérien, m'a informé de l'existence d'une version écrite, j'ai été relativement reconnaissant envers mon manque de précipitation dans le visionnage de son adaptation filmée.


Ce fut l'coup d'foudre, je crois qu'on peut identifier comme ça ma plongée dans la forêt oussourienne aux côtés de Vladimir Arseniev et du fidèle Dersou. Mi-journal de bord, mi-roman d'aventure, ces pérégrinations d'un topographe besogneux et de ses équipes dévouées ont le souffle des plus belles promenades, celles qui sillonnent les mondes perdus et surprennent les bestiaires les plus fascinants.


Tout y a le délice des descriptions de coin du feu, verve admirable pour laquelle j'ai le plus grand respect, et qui demande un savoir faire assez subtil dans l'enthousiasme et le pouvoir d'évocation. La forêt y est un personnage à part entière et la montagne en est un autre. L'une endosse divers pelages et se dresse partout, ronge sols et monts, bête sombre prête à dévorer les hères les plus téméraires, l'autre érige ses façades versatiles sur tous les horizons, tantôt protectrice contre les ouragans les plus hostiles, tantôt rempart devant tous les espoirs. Et la faune garde une part magnifique, unique, décrite avec l’œil craintif du gamin qui frissonne dans les premières ténèbres nocturnes.


Sangliers de bonne taille, glouton le bien nommé qu'on hèle également sous les sobriquets de carcajou ou wolvérène et qu'on ne pourra accuser de manquer de mélodie dans ses dénominations, écureuils volants, portes-musc, corneilles, saumons de diverses formes et volumes, chats sauvages, ours bruns et ours à collier, les bêtes sont de sortie et offrent à cette expédition toutes les richesses de l'inattendu. Et le tigre, bien-sûr, le grand rayé, le bagnard de la jungle, seigneur et maître en ces terres, roi mystique emportant dans ses zébrures tous les arômes du fantastique et marquant dans les regards et les voix des âmes aux seules frondaisons comme toit la crainte d'un dieu incarné. Celui qui a une plaine de hautes herbes peinte sur le corps ne peut-être un simple mortel.


Et puis il y a Dersou, un personnage brillamment écrit et décrit, un petit bout de taïga fait homme, fichtrement touchant dans son lien avec Arseniev. C'est ce genre d'amitié ceinte par la collision de deux cultures, ces bons vieux rat des champs et rat des villes, qui d'ordinaire peine tant à trouver sa justesse et qui ici, dans ces bois fantasmés, là où les chaperons apportent leurs victuailles aux mères-grands et où les mômes sèment des cailloux pour retrouver leur chemin, n'a que sa simple et belle évidence à proposer.

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le 14 sept. 2017

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zombiraptor

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