Deep Blues
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Deep Blues

livre de Robert Palmer (1981)

Si la première traduction en français de Deep Blues n’a que quelques mois, l’édition originale a paru en 1981. Pour situer, Muddy Waters était encore en vie, pour deux années. Johnny Hallyday est mort en 2017, je ne sais pas si vous étiez au courant. Et Robert Johnson en 1938. Oui, il y a à peine plus d’écart entre aujourd’hui et la publication du livre qu’entre la publication du livre et la mort d’une des figures matricielles du blues.
Tout ça pour dire 1° que la France n’a pas importé en priorité le meilleur de la culture anglo-saxonne ; 2° que lire Deep Blues, c’est lire un livre sur l’histoire du blues, mais c’est aussi faire de l’histoire de l’histoire du blues.
Il y a ainsi quelque chose d’étrange à se dire, par exemple, que les passages biographiques sur divers bluesmen qu’on trouve çà et là dans l’ouvrage se trouvent aujourd’hui facilement sur le web, généralement sous forme abrégée. Or, Robert Palmer a dû lire, voyager, enquêter, interviewer pour écrire son livre. Dans le même ordre d’idées, écouter Charley Patton (1891-1934) ou Son House (1902-1988) est beaucoup plus simple en 2021 qu’en 1981…
D’où l’impression qu’on peut éprouver à la lecture de Deep Blues, je ne dirais pas de nostalgie, encore moins de gâchis, mais de contempler quelque chose de fraîchement figé, d’avoir entre les mains des objets sur lesquels il n’y a plus rien à faire sinon de rechercher quelques détails factuels ou d’apporter quelques gloses.


Le livre fait dans les quatre cent cinquante pages. Évidemment, il s’attarde dans cette « plaine sans relief, particulièrement fertile, qui a la forme d’une feuille et s’étend sur une distance d’environ trois cents kilomètres du sud de Memphis jusqu’à Vicksburg » (p. 20) qu’on appelle le Delta. Évidemment aussi, il consacre aux débuts de ce genre musical plus de pages qu’à ses développements ultérieurs. C’est qu’il entend retracer l’histoire du blues depuis ses origines et sous la double approche musicale et culturelle
Le pari est tenu, dans les grandes lignes, jusqu’à la moitié de l’ouvrage. J’y ai ainsi appris beaucoup de choses, par exemple, à propos du « Delta blues », que « non seulement ses créateurs étaient Noirs, mais ils faisaient surtout partie des personnes les plus pauvres et les plus marginales au sein de leur propre communauté » (p. 35).
Le propos y est d’ailleurs particulièrement approfondi : si l’une des premières choses qu’on apprend à propos du blues est qu’« aux origines du blues, on trouve des styles musicaux africains qui furent importés dans l’actuel Sud des États-Unis par les premiers esclaves venus d’Afrique » (p. 44), il est toujours bon de le montrer. Non seulement l’auteur le montre, mais il l’analyse précisément, et avec force détails – par exemple en expliquant qu’« en raison des nombreux siècles passés au contact des cultures berbères et arabes au nord du désert, la musique vocale de la Sénégambie fait écho à celle du Moyen-Orient et à son goût pour les phrases mélodiques longues et tortueuses. Par ailleurs, elle manifeste un certain penchant pour la chanson en solo – pratique relativement rare dans le reste de la musique africaine » (p. 46).
Là où ça se gâte, c’est qu’au bout d’un moment, on se retrouve à tourner un peu en rond, autour des mêmes figures (Robert Johnson, Son House, Charley Patton et surtout Muddy Waters) qui certes valent le détour, mais qui finissent par se ressembler. Les anecdotes de tournée ou d’enregistrement sont différentes, les déambulations dans le Mississippi sont parfois remplacées par la « montée » à Chicago, les styles de chacun sont définis plutôt précisément par l’auteur, les innovations stylistiques ou techniques sont évoquées, mais l’ensemble finit par manquer de tension, faute d’idées directrices suffisamment fortes pour structurer l’ensemble du livre.


Ça n’empêche pas Deep Blues d’être un chouette bouquin, une mine d’informations par ailleurs abondamment illustrée. Chaque ligne suinte l’amour du blues. Page 410 : « Une forme littéraire et musicale… Une fusion de musique et de poésie obtenue à très haute température émotionnelle… Deux manières différentes de décrire le même phénomène. »

Alcofribas
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le 22 janv. 2021

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