Alors que je déplorais dans ma dernière critique l'indigence de l'expression sentimentale actuelle, voilà que tombe dans mes bras, au détour d'une librairie cadurcienne et par un beau jour d'été, le dernier roman de Loïc Demey paru en 2017 chez les merveilleuses éditions Cheyne.


Dans ce carnet - prétendument - retrouvé du Dormeur du Val (rendu célèbre par Rimbaud), l'auteur - ou devrais-je dire le poète - offre à nos yeux éblouis des pages d'un lyrisme amoureux flamboyant comme on en lit rarement.


Le paysage de ce récit est la guerre, celle qui opposa à la fin du XIXème, la France à la Prusse. Loïc Demey prête sa voix à Vincent, un jeune soldat parti combattre, qui envoie quotidiennement des lettres à son aimée Alice. Journal de bord de ses journées de lutte fratricide, mais aussi - et surtout - somptueuse déclaration d'amour à celle qu'il n'est pas assuré de revoir vivant.


Dans une prose poétique formidable, Vincent raconte ses rencontres d'amis d'infortune, la crasse et la peur, les enthousiasmes et les doutes qui le saisissent jour après jour et qui sont ceux de tout conflit qui met l'individu face à l'imminence de la mort et à l'urgence de vivre. D'un romantisme échevelé, comme surgi des plus belles pages de Vigny ou Musset, ces quelque 93 pages à pleurer de ravissement, sont à placer au Panthéon des plus beaux Fragments d'un discours amoureux. Un roman épistolaire d'une extraordinaire puissance poétique et passionnelle :



Mon Alice chérie, mon aimée, mon étoile dorée, ma délicieuse amoureuse, je t'ai écrit cet après-midi des myriades de mots d'amour. Mon bleuet des champs, ma lumière, ma mésange azurée, je viens de t'envoyer le premier de mes courriers, une lettre tous les dix jours ai nos que nous en avions convenus. Mon trésor, ma merveille, voilà comme j'ai rugi ma passion à l'encre turquoise sur une feuille chiffonnée que tu déplieras, anxieuse, que tu coucheras sur ton coeur avant de me lire. Ma reine, ma douceur, voilà comme je t'ai parlé et voilà comment aussi, je ne t'ai pas tout dit.



La poésie n'est pas réservée au dire d'amour, elle transpire de chaque ligne, de la moindre description où pas une virgule n'est à ôter tant tout est parfaitement maîtrisé, impeccablement narré avec une minutie et une attention au moindre détail d'une beauté renversante. De la boue de la guerre, Loïc Demey extrait de l'or pur :



Tout autour, rien, le silence et rien des combats des jours derrière, juste des oiseaux, les pépiements des oiseaux, les merles qui butinent la terre, les hirondelles qui lapent l'air frais du soir, un lézard, une pierre bronze, un caillou et son lézard sans queue, un vent discret, les feuilles qui grésillent au loin, c'est cela, je ferme les yeux, comme je suis bien. Partout le silence ajouré des bruits de la nature.



Impossible dans ce contexte martial sanglant qui se déroule sur la terre qui a vu naître l'auteur - la région de Metz - de ne pas relever l'inanité de la guerre -
quelle connerie, dira Prévert- opposant des gens qui ne se voulaient aucun mal. Il faut lire cette scène poignante où Vincent croise un Prussien sur un chemin perdu. Ce dernier lui tend sa gourde, le laisse partir, Vincent place sa main sur son épaule. Simple symbole de fraternité retrouvée au coeur du chaos.



On a gagné ? Je ne sais pas, on s'est bien battus. Ainsi se nourrit la guerre, des milliers sont morts et à la fin on ignore qui est le vainqueur. Et peut-être, à bien y réfléchir, que jamais homme, aucune régiment et nul peuple, depuis les siècles des siècles, n'a jamais remporté une seule bataille.



Reste que l'écriture de Loïc Demey est à chérir et à thésauriser comme un instant de grâce rare. Si j'ai choisi le titre de ce beau film signé Ounie Lecomte pour illustrer ma critique, ce n'est pas un hasard. Dans la droite ligne des missives enflammées échangées par Albert Camus et Maria Casarès, les epistula de Vincent à Alice sont ce qui se fait de plus vibrant et de plus délié.


Et l'on se prête à rêver de se voir un jour offrir un tel amour absolu - et une plume sachant le dire si bien.


Chef-d'oeuvre.

Créée

le 11 juil. 2018

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