Un reproche régulier prononcé à l’égard des sagas de Fantasy : leur faculté à traîner en longueur, à multiplier les tomes pour des raisons commerciales et l’étaler sur une longue durée. Ce dixième tome de la Roue du Temps pourrait servir de bon exemple, malheureusement, tant le roman semble ne jamais démarrer et glisser sur un calme lors de tout son déroulement.


La Roue du Temps est une saga de 14 tomes composée de plus de quatre millions de mots, écrit par deux auteurs (Brandon Sanderson pour les trois derniers) eux-mêmes aidés par plusieurs personnes. Il était impossible qu’avec une telle quantité de pages, le rythme soit tenu à chaque tome, surtout avec la réputation du créateur et auteur principal, Robert Jordan. Et, en effet, depuis le tome 6, le rythme a ralenti, pour le meilleur comme pour le pire. La saga garde de très bon tomes et des bonnes fulgurances, comme le 7 et le 9, mais le 8 était le moins bon de la série… jusqu’à ce dixième.


Attribuer à ce « Crossroads of Twilight » le qualificatif de tome « filler » comme on le dit dans le milieu serait un doux euphémisme. On esquisse les conséquences du dernier tome, on développe un peu les personnages, on étoffe l’univers, on brode quelques révélations à moitié prévisibles et les 600 pages requises sont déjà atteintes. Tandis que dans le tome 8 et le tome 9, l’intrigue de Mat et d’Egwene furent délaissées, ici, celle de Rand (personnage principal quand même !) et de Nynaeve passent à la trappe puisqu’ils ne font que de rares apparitions.


Effacer le protagoniste devant les autres n’est pas un problème : le tome 3 l’avait déjà fait et s’en sortait très bien. Encore eût-il fallu que les autres intrigues se révèlent intéressantes, mais elles sont à l’image de ce tome : très inégales avec quelques fulgurances, pas désagréables, assez plates toutefois. Le sauvetage de Perrin s’éternise, patauge malgré un développement de personnage pétri de bonnes idées (dus à sa perte de maîtrise et ses excès de colère). La fuite de Mat n’apporte que les conséquences du précédent tome, mais malgré ses réflexions toujours aussi insupportables sur les femmes, il commence à devenir sympathique et tisse une relation bien écrite avec Tuon dont la répartie fait plaisir à voir. L’intrigue d’Elayne… Il y a peu à dire. Son fameux « bain » est déjà célèbre dans ce tome, représentatif des défauts de ce tome qui étire des scènes pas spécialement accrocheuses en dépit de bonnes réflexions. Finalement, les événements aguicheurs se déroulent plutôt du côté d’Egwene, enfin arrivée près de la Tour Blanche. D’une part parce que cet arc narratif incarne à merveille l’esprit de la saga, avec des complots et trahisons ainsi que des mystères entretenus, d’autre parce que des débats captivant sont ouverts, notamment un qui dure depuis le début de la série et renforcé depuis les événements du tome 9 : la place des hommes dans la magie dans un monde où les femmes étaient jusqu’alors les seules à savoir canaliser sereinement.


Il est clair qu’en tant que plus faible tome de la saga, Crossroads of Twilight n’est pas riche en moments forts : leur rareté renforce leur puissance.


La tristesse de Mat lorsqu’il apprend la mort de Tylin, Faile punie en tant qu’esclave, toute nue dans la nuit froide et pieds liés, le pètage de plomb de Perrin à cause de son impatience accumulée, Egwene qui se fait trahir à plusieurs reprises, le débat sur les Asha’man comme déjà mentionné, Tuon qui s’affirme en tant que Haute-D ame sont parmi les plus mémorables


C’est lors de ces passages que l’on ressent toute la passion qu’a insufflé Robert Jordan dans son œuvre. Je ne pense pas qu’il ait voulu, du moins volontairement, étirer sa saga. Il est –était, hélas- un passionné possédant une grande culture, passionné d’histoire et à l’imagination débordante. Même lorsque l’intrigue est ralentie à l’excès, son univers passionnant et son immense galerie de personnages permettent une lecture agréable, renforcé par sa plume de qualité. Ce tome 10 est donc le moins bon tome, et c’est assez rassurant de savoir que le « plus mauvais » reste encore correct.

Saidor
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le 26 août 2017

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