La GPA stade suprême du capitalisme ?

Étrange sentiment à la fin de la lecture de ce bref essai (130 pages) de Sylviane Agacinski, Corps en miettes. Parti d'une réflexion sur le concept de mère porteuse l'ouvrage aborde bien des thématiques associées également à l'aide médicale à la procréation, notamment pour les couples stériles.

Pour résumer je dirais qu'il y a du très convaincant et du perfectible dans cet ouvrage.

Ce qui m'a intéressé :

1) Dans une analyse plutôt de gauche Sylviane Agacinski met l'accent sur l'intrusion du marché dans nos corps que permet la gestation pour autrui (GPA) et qu'elle assimile à une forme ultime d'aliénation de soi, pire encore que celle du prolétaire marxiste: après tout, une mère porteuse contre rémunération vivrait H24 avec son travail, n'ayant plus un instant à soi, se déformant et souffrant pour le compte d'autrui en permanence-sans congé, sans pause, elle ne se possède même plus et courant les dangers-même s'ils sont moins fort en Occident aujourd'hui-liés à des accouchements.

2) Dans une analyse plutôt féministe Sylviane Agacinski souligne aussi que les opérations liées non seulement à la GPA mais même aux dons d'ovocytes sont pour les femmes infiniment plus douloureuse que la contribution masculine. Autant la premiere dimension semble aller de soi autant j'ignorais ce second aspect.

3) En outre, l'essai pointe un risque de forte inégalités sociales en cas d'établissement d'un marché de la gestation pour autrui: ne seront ce pas les pauvres et les nécessiteux qui vont échanger leurs corps contre rémunération-qu'on appellera indemnité ou remboursement pour se donner bonne conscience ? Sans compter la violence invisibilisee que représenterait la séparation de l'enfant au nom d'un contrat dans un débat réel sur le fait de savoir si ce qui fait la mère est la cellule souche ou la grossesse et l'accouchement.

Ce qui me semble moins pertinent:

1) La traditionnelle opposition entre la dignité humaine et la liberté, en estimant que la première doit primer sur la seconde, donnant l'exemple du lancer de nains interdit en France par exemple. J'ai été beaucoup moins convaincu par cette argumentation. Autant je suis convaincu par le fait que donner son corps en se mettant en danger et en travaillant sans arrêt pour autrui pendant 9 mois soit une régression difficile à accepter, autant l'extension maximaliste de la dignité humaine concept pouvant faire l'objet d'appréciation larges aboutit potentiellement aussi à des restrictions à la liberté potentiellement excessives.

2) Les risques pour l'enfant de la suppression de la génération au profit de la fabrication qui reste assez décevante avec des arguments ad hitlerum aux propos génériques sur la quête d'identité des enfants nés de dons de cellules souches, en passant par des clins d'œil à la mythologie. Je pense que ce point aurait pu être mieux développé.

3) L'opposition entre remède à la maladie et lutte contre la nature qui est probablement la moins convaincante des parties de l'ouvrage, cumul de poncifs opposant le confort et la thérapeutique, comme si cette dernière n'avait pas lutté également contre des phénomènes naturels.

Bref. Corps en miettes ne m'a pas convaincu sur tout, mais Sylviane Agacinski a le mérite de pointer des risques et de lourds inconvénients associés à la GPA qui ne sauraient être occultés sans tronquer un débat dont l'enjeu dépasse la liberté de disposer de son propre corps en créant le risque qu'autrui dispose du vôtre.