Cet ouvrage est atypique. Son auteur Leopold von Sacher-Masoch, est un noble chrétien ayant vécu au XIXème siècle, époque où la judéophobie est une norme en Europe. Cependant, il montre un intérêt et une affection pour cette communauté qui sont peu courants. Ainsi, il va donc rédiger les Contes Juifs, qui présentent la culture juive, ashkénaze principalement, à diverses époques et en divers lieux. Autre originalité notable, c’est sa seule œuvre rédigée en français.


Dans Rabbi Abdon, le personnage éponyme est montré comme quelqu’un d’érudit et de pieux, ce qui nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur les écrits religieux les plus importants dans le judaïsme. Mais Rabbi Abdon est seul, il se demande à quoi ses connaissances et sa foi lui servent, maintenant que son épouse est morte et que son fils a quitté le foyer à la suite d’un différend. C’est cet axe qui permet de glisser vers le thème de la famille. On comprend son importance à travers les regrets du personnage principal. En effet, il se souvient de l’amour inconditionnel que lui portrait sa défunte femme auquel il n’a que peu répondu et il déplore le départ de son fils, qui a quitté le domicile familial car il ne voulait pas devenir rabbin et épouser une inconnue. Et lorsque le sort fait revenir son fils, marié à la femme qu’il méprisait, le rabbin saisit la chance qui lui est donnée d’oublier le passé et de chérir cette nouvelle famille, qui s’est agrandie de trois petits-enfants. Ainsi, il devient un homme épanoui.


Thème connexe également abordé, celui de la fidélité dans le couple. Dans Schimmel Knoffeles, la femme du personnage éponyme, Zobadia, repousse les avances d’un comte polonais et va même jusqu’à l’humilier pour calmer définitivement ses ardeurs. Mais Zobadia n’est pas une simple femme au foyer. Elle travaille et a des goûts de luxe. Si elle le voulait, elle pourrait céder aux avances du comte, mais n’en fait rien, par gratitude et affection envers son mari, souvent absent et au physique peu avantageux, mais qui travaille dur et fait plaisir à sa famille. C’est de plus une femme intelligente et maîtresse de ses émotions qui ne se laisse pas avoir par les belles paroles de son soupirant.


Le conte qui s’intitule David et Abigaïl fait le pont entre la communauté juive et le pays dans lequel ils vivent, dans ce cas-ci, le Danemark. Là où dans les autres histoires, les intrigues se concentrent sur la communauté juive et sa culture, ici il est question d’identité, du fait d’être juif et citoyen danois. Lorsque David revient de la guerre, sa mère et sa bien-aimée sont heureuses de le retrouver et découvrent qu’il a reçu une distinction militaire danoise. La célébration de cet honneur se poursuit à la synagogue où le rabbin met des mots sur l’honneur qui est fait à la communauté et à quel point les Juifs doivent se réjouir d’être reconnus et traités comme leurs concitoyens goyes.


Aman et Esther est le conte qui a un schéma narratif davantage “conte de fée”. Le personnage masculin, Laktef, surprend une conversation entre Esther et son père qui expose de manière assez grossière l’indigence dans laquelle ils vivent. Mais là encore, passé la forme, le fond permet d’en apprendre davantage sur le Schouschan Pourim, décrit comme un carnaval juif pendant lequel le personnage principal fait des farces aux gens vivant aux alentours. L’autre point important de ce conte est mis en lumière à la fin. Laktef, afin d’exaucer les souhaits d’Esther, devient un Robin des Bois qui subtilise tout ce qui fait plaisir à la jeune fille. Après cela, il va en parler aux personnes à qui il a dérobé ces choses, mais personne ne lui en tint rigueur, au vu des motivations du jeune homme, “car c’est toujours une joie pour le Juif pieux de donner aux pauvres”, morale opposée au cliché sur les Juifs et leur rapport à l’argent, nous en conviendrons.


L’auteur aborde également la question du fanatisme, avec le conte intitulé Galeb Jekarim. Le protagoniste, Galeb, est obsédé par l’idée de voir Jérusalem. Il va un jour quitter son village pour entamer un pèlerinage vers cette ville si importante. Si au départ il est dit qu'il vit pauvrement, en faisant cela, il laisse derrière lui la possibilité de se marier avec une femme qui l’aime et qu’il aime, repousse les avances d’une autre, risque sa santé et sa liberté pour atteindre son but. Après moult périples, il atteint finalement la Palestine pour mourir d’épuisement devant le Mur des Lamentations.


Ce livre est donc une bonne découverte. L’approche et le style de Sacher-Masoch sont assez simples, ce qui permet de se plonger aisément dans les différentes intrigues. Le format du conte est une excellente idée, car sa fonction est l’apprentissage et en plus de donner une morale à chacune de ses histoires, chaque histoire permet d’en apprendre davantage sur la culture juive telle que l’auteur la connaît.


Dal_MT
7
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le 10 août 2023

Critique lue 10 fois

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