Il va sans dire que Claude Autant-Lara a été un grand réalisateur, dont la vie a parcourue le XXe siècle, mais dont la réputation est à tout jamais entachée de ses délires antisémites de 1989, concernant en particulier Simone Veil et sa haine des gens de confession juive. Cela, je le comprends, c'est scandaleux, mais ça serait ignorer tout un pan du cinéma français, et ça, je m'y refuse. C'est pour cela que le livre de Jean-Pierre Bleys, long de ses 700 pages, est l'occasion de parler avant tout d'Autant-Lara en tant que cinéaste.


L'auteur revient sur la vie du réalisateur, avec une enfance difficile où il devait déjà lutter contre un père tyrannique, et cela caractérisera dès lors la vie d'Autant-Lara, à savoir qu'il vivra constamment avec des conflits contre ses producteurs, ses scénaristes, ses acteurs, montrant des signes de haine contre l'impérialisme américain et une xénophobie larvée qui éclatera réellement qu'en 1967, à la mort de son épouse. Il va commencer sa carrière comme décorateur, assistant, puis va tourner des versions françaises de films américains à Hollywood, à l'époque où le doublage n'était pas encore de rigueur ; cette expérience va lui servir pour tourner dès 1933 Ciboulette, son premier long-métrage, et ainsi de suite jusqu'à Gloria, en 1977.


Jean-Pierre Bleys a pu avoir accès aux archives d'Autant-Lara, aux courriers et documents de production. Il s'appuie aussi sur les mémoires du réalisateur (La rage au coeur, 1984), tout en les contredisant quand c'est nécessaire, notamment sur des approximations que pouvait avoir le réalisateur. Il en résulte le portrait d'un homme complexe, porté à gauche, voire au communisme, colérique sur un plateau, et pour qui seul le cinéma comptait. On parle bien entendu de sa vie privée, notamment son mariage avec Ghislaine, mais comme il travaillait sans cesse, celle-ci était monotone.
Autant-Lara n'est pas montré comme quelqu'un de sympathique, mais qui avait le sens de l'amitié, notamment sa longue collaboration avec le scénariste Jean Aurenche, pas vraiment aimable, parce qu'il croyait tant à ce qu'il faisait que la moindre critique lui était insupportable. D'où les inimitiés avec les producteurs, contre lesquels il se battait sans cesse pour faire valoir ses droits, et aussi avec les jeunes critiques des Cahiers du cinéma, Truffaut ou Godard, qui en vont en faire leur tête de turc et chantre d'un cinéma de papa qu'ils ne voulaient plus.
Toute la filmographie du réalisateur est ainsi détaillée, analysée, commentée, avec la distribution, les entrées, des anecdotes, et c'est heureusement l'essentiel du livre, à savoir parler de cinéma sous couvert du portrait d'un homme assez particulier.


Si je pense à Claude Autant-Lara, je pense avant tout à un chef d'oeuvre comme Occupe-toi d'Amélie, ou bien encore La traversée de Paris, L'auberge rouge, Le diable au corps, En cas de malheur.... des titres qui sont su traverser les décennies, au point de devenir des classiques. Mais on voit que la gestation de ces titres a été bien mouvementée. Gabin agacé par le fait qu'Autant-Lara jouait les scènes qui se déroulaient devant la caméra, des dépassements constants, des budgets de plus en plus lourds, jusqu'à une très belle anecdote qui montre qu'un type comme Bourvil était un homme formidable.
Ce dernier décide de jouer dans Le Magot de Josefa, qu'il produit à moitié avec Autant-Lara. Mais le film a été un tel bide que les deux hommes se sont retrouvés avec une dette énorme, et voyant bien que le réalisateur ne pourrait pas rembourser sa part, Bourvil décide de tout prendre en charge en guise de remerciement envers Autant-Lara qui lui a véritablement fait démarrer sa carrière avec La traversée de Paris.


Cependant, on voit bien le caractère d'Autant-Lara changer peu à peu, de plus en plus aigri, avec de la rancœur, jusqu'au décès de son épouse et que, si j'ose dire, les digues de la morale explosent, avec des propos toujours plus violents, notamment sur la mort de François Truffaut, sur un présumé complot orchestré soit par les Américains ou les Juifs, jusqu'à son ralliement au Front National en 1989 et les propos scandaleux qui s'en suivirent. Et une fin de vie où il sera quasiment ignoré de tous, délaissé, laissant bouillir sa haine, jusqu'à sa disparition en 2000 à l'âge de 98 ans.


Comme on dit, difficile de séparer une oeuvre d'un artiste, mais ses films sont si différents de ce que fut Autant-Lara qu'ils restent, pour certains au Panthéon du cinéma français. Quant à l'homme, on peut facilement le détester, mais le mérite du livre est de parler de cinéma, et ce de fort belle manière, et c'est ce qui compte.

Boubakar
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le 7 sept. 2020

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