"Celle qui n'avait pas peur de Cthulhu" est un roman fantastique, proprement humouristique, écrit par le talentueux Karim Berrouka et publié par les éditions ActuSF en 2018. En tant qu'amateur de la salle 101, j'avais maintes fois entendu parler de l'auteur mais n'avais lu qu'une nouvelle, critiquée par ailleurs, concernant Lancelot (donc je me suis procuré d'ailleurs le recueil dont elle était extraite). Force est de constater que l'auteur pratique une prose amusante, extrêmement vivante, portant son lecteur facilement vers l'absurde et l'intelligent. J'ai donc porté mon dévolu sur son roman "lovecraftien", tant la mythologie m'est attirante et mon excitation renouvelée (en sachant malgré tout que je n'appartiens pas à ce fan-club des Grands Anciens, ayant décortiqué l'oeuvre et les thématiques dans tous les sens... Je me contente de lire Lovecraft car ça me fait plaisir au premier plan).


Que dire donc de ce roman? Ingrid Plank, jeune parisienne de son état et à la vie ma foi bien organisée partagée entre quelques sorties au bar, de l'interim et des soirées dans l'appart de son amie peintre; a le malheur de s'engager dans une relation farfelue avec un adorateur de Lovecraft. Enfin, de Lovecraft pas vraiment, puisqu'il semble développer un attrait purement mystique pour les Grands Anciens des récits de Providence. A un tel point qu'après lui avoir scandé deux trois discours nocturnes incompréhensibles et l'avoir bassinée avec des théories aussi absconses que délirantes, elle le benne et continue sa vie loin de la psychose. C'est sans compter sur les mystérieux inconnus qui viennent l'aborder ensuite, aux propos toujours nébuleux, mais qui dessinent rapidement un tableau qui n'est pas pour rassurer: Ingrid est le centre du pentacle, et à ce titre, aura le premier rôle dans la résurgence ou la destruction de Cthulhu.
Evidemment, la principal ressort humoristique du livre tient là: Ingrid dénote dans cet univers fait de créatures extra-dimensionnelles et aux desseins macabres. Et son approche longtemps cartésienne et aventureuse fera la part belle aux conversations décalées et jusqu'au-boutiste.
Le gros du livre tient à la description des différentes factions impliquées dans le sort de Cthulhu. On assistera donc aux fanatiques de Dagon, créatures amphibies voyageant dans des canaux reliés à la Seine, aux satanistes de l'amour visant globalement à des partouzes inter-espèces avec des chèvres, aux autrichiens distingués recherchant la mélopée au fin fond du cosmos ou bien encore aux cultistes mêlant fanatisme religieux et physique quantique .
C'est parfaitement délicieux dans la description des différentes rencontres, toujours exquise dans le discours ciselé au couteau. En revanche, on y regrettera vite un sentiment de répétition et oui, parfois, de vanité du processus. Car on a bien vite compris l'affaire du centre du pentacle et le livre semble progresser dans un espèce de flou scénaristique, finalement la résultante d'un synopsis extrêmement original mais faible dans son déroulé. On se marre, c'est bien écrit... Mais tient un peu sur un concept, ce qui n'a jamais suffi à mener à un livre abouti.
Notons cependant que sous couvert de l'humour, de Cthulhu et ses copains, Berrouka revisite un certain nombre de grands thèmes toujours bienvenus. En premier lieu, le fanatisme religieux bien sûr, mais aussi l'art et sa substance (le discours sur la mélopée est riche en enseignement) et enfin Lovecraft et son mythe. Le parodier ainsi est franchement rafraichissant, tant tout ce qui gravite autour de l'auteur est soit sérieux, soit erroné. Combien de fois le mot "lovecraftien" aura-t-il été prononcé à tort, par d'autres ou moi? Et combien de fois un expert du mythe se sera fait bonne volonté de le corriger? Voici deux questions auxquelles il me lasse souvent de répondre. Faites attention, le même phénomène grandit avec Dune depuis quelques temps.


En conclusion, c'est un roman conceptuel bien agréable à lire, car il est bien écrit et bonnard. Cela atteint malheureusement ses limites dans la construction du récit, qui se figure finalement très linéaire et parfois, malgré quelques éclats, un peu vide.

Wazlib
6
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le 30 sept. 2021

Critique lue 105 fois

Wazlib

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