Qui mieux que le corps dépouillé, étreint par le silence glacial du sommeil éternel, peut raconter sa propre existence et dire le trépas ? Ceci est mon corps parle de cette mort-muette où seule la chair peut encore témoigner, où les vivants, quand bien même encombrés de leur souffrance et de leur incompréhension, sont eux-aussi aptes à remémorer la vie.

« Nous mourons tous du cœur, croyez-le. »

Un corps décharné, quatre cavaliers, une valse macabre. Ce « corps-chrysalide », macchabée retrouvé une nuit au bord d'un quai, cherchant sa « paix-linceul » dans les réminiscences abyssales des hommes qui l'ont côtoyé et aimé : voilà l'ossature de ce premier roman signé Filipa Melo. De duos passionnels en solitudes affectives, la mort se raconte sous l'impulsion du narrateur, tour à tour mari éperdu, amant platonique, père désemparé, légiste inconnu. À chacune de ces voix, un dialogue silencieux, un échange avec soi-même, une chorégraphie orchestrée seul. Seul face à l'amour qui n'a pas su s'exprimer, seul face à la mort de cette femme, seul face à sa propre vie, face à sa propre mort.

Étonnamment, le médecin livre malgré lui un rapport épuré, presque clinique sur la dureté d'un crime violent, en deçà de l'intimité qu'il offre à lire. De sa perception du monde des vivants à son attachement envers les morts, il tente de délivrer ce corps privé de justice. Il s'essaye par ailleurs à dévoiler les bases d'une introspection nécessaire à l'accueil du décès d'un être cher, aussi impénétrable se veut-on. Et parallèlement ce père, privé de son enfant, qui doit réapprendre à aimer. Aimer ce nouveau-né, don posthume légué par sa fille dont la disparition innommable tente d'être acceptée. Et puis cet homme et cet autre encore, identités vitales tournoyant autour d'une femme, silhouette écorchée, créature assassinée.

C'est avec une précision chirurgicale, un style pesé, une sincérité étourdissante que Filipa Melo nous parle de la mort, celle d'Eduarda mais aussi celle de nos proches dont on ne croit aujourd'hui connaître que le souvenir funeste de quelques lettrines gravées dans le marbre. Ce livre est plus que le récit d'une enquête médicale sur un meurtre, bien plus qu'une déclaration d'amour destinée à une femme qui n'est plus. Ce livre est une sorte de témoignage à quatre voix, aux confins de la philosophie et de la psychologie, sur « le pouls du temps qui bat vite » (Huysmans, En route, 1895) et qui nous ramène finalement à notre solitude d'êtres périssables et éphémères dans un ultime face à face avec la mort.
KASZANKA
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le 10 oct. 2010

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