Canada
6.1
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livre de Richard Ford (2012)

Dell Parsons, le narrateur, est âgé de 15 ans au moment des faits. Les faits ? Le braquage d’une banque d’une toute petite ville rurale du Dakota du Nord, à la frontière du Montana. Le braquage est très mal préparé, Papa et Maman n’ont même pas de cagoule, repère le terrain et s’enfuient avec le butin dans leur propre véhicule. Un couple simple que le bon sens n’étouffe guère et dénué d’imagination. Un couple qui n’a rien trouvé de mieux pour faire face aux dettes de leur très modeste ménage.

Tout cela, le lecteur l’apprend dans la première page du livre. Le mot de la fin est donc immédiatement dévoilé par l’auteur. L’intérêt du roman doit donc être ailleurs. Du Joyce Carol Oates qui se montre plus intéressée par les répercussions de l’événement que par l’événement lui-même ? Peut-être… D’autant qu’une autre l’allusion à mon auteur de prédilection est faite dans les traits physiques de Mrs Neeva Parsons – la mère – qui lui ressemble étrangement.

Dans la première partie du livre (en gros, les 230 premières pages), Dell explique le geste de ses parents, leur histoire : le père (Bev) retraité de l’Air Force et qui avait perdu son grade de capitaine pour s’être fait prendre à de menus trafics à deux sous, son accent de l’Alabama qui l’a toujours rendu « différent » au nord du pays, ses petits boulots minables qui peinaient à nourrir la famille ; la mère, née de parents juifs ayant fui la Pologne en 1918, qui a interrompu ses études pour suivre Bev au grand dam de son père… L’enfance de Dell et de Berner, sa sœur jumelle, est pour le moins chaotique. Peu conventionnelle. Dans sa narration, Richard Ford multiplie les détails, tous plus insignifiant les uns que les autres. Si j’apprécie à l’occasion le ton résolument narratif, j’aime toutefois que chaque chose trouve sa place dans le récit. Ici, les détails ne sont là que pour remplir les pages : ils n’ont aucune consistance, ils n’apportent rien et n’ont d’autre raison d’être que de noircir artificiellement du papier. Mieux : l’auteur passe son temps à se répéter et à constamment réécrire ce qu’il a écrit dix, vingt ou trente pages avant. Chaque point est abordé au moins trois ou quatre fois. Et pas toujours sous des formes différentes.

Quand la seconde partie débute (et pour 200 nouvelles pages), c’est une bouffée d’oxygène que le lecteur asphyxié inspire, soulagé. Menacé par les brigades infantiles et parce qu’il ne souhaite pas se retrouver à croupir dans un orphelinat, il franchit la frontière canadienne et s’établit au Saskatchewan chez le frère de la seule amie de sa mère. Description de la vaste prairie américaine, des villages qui se meurent faute de ressources, de l’automne et des oies qu’on chasse, des prémices du terrible hiver canadien. Passé les 40 ou 50 premières pages de cette seconde partie, Richard Ford retrouve son écriture circulaire : il reprend ses boucles, ses circonvolutions… trois pas en avant et deux en arrière. Il ne se passe toujours rien. Le discours est toujours aussi creux. Et il réécrit de nouveaux les mêmes choses : ce qui n’est pas une maladresse de sa part. Il s’agit d’un effet de style. C’est volontaire car il fait fréquemment dire à son narrateur « Comme je l’ai déjà dit… », « Je l’ai déjà dit… », « Je le répète… ». On aime ou on n’aime pas !

Car « le temps ne voulait rien dire pour lui » (c’est le narrateur qui l’affirme). Le temps s’écoule donc très lentement, indéfiniment. On répète, on ressasse, on analyse, on s’interroge, on coupe les cheveux en huit. Et le récit n’est pas sauvé par la troisième et dernière partie au cours de laquelle Dell retrouve sa sœur des années plus tard et dont il avait perdu la trace à la suite de l’emprisonnement de ses parents.

Un texte interminable. Manifestement l’auteur n’avait pas matière à écrire un livre excédant 250 pages. Un livre sans surprise, sans rebondissement. Sans grand intérêt. Une écriture très étalée, délayée au maximum. Sans originalité. Sans génie.

Une grosse déception pour ce roman annoncé comme le chef-d’œuvre de la rentrée littéraire de l’automne 2013 et salué de façon unanime par les critiques.
BibliOrnitho
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le 15 oct. 2013

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