CURED
7.3
CURED

livre de Lol Tolhurst ()

Cured : The Tale of Two Imaginary Boys (Lawrence Tolhurst)
Septembre 1965, Crawley, banlieue de Londres, un pied dans l’urbanisme triste, un autre dans la campagne anglaise. Le ciel, bien sûr, est gris. Deux garçons, petite classe moyenne, gentils, timides, rêveurs doivent prendre le bus pour leur rentrée en école primaire. L’un des gamins, Robert Smith, est mortifié et à deux doigts de fondre en larmes. L’autre, légèrement plus grand, Lol Tolhurst, a l’air, en apparence du moins, plus vaillant, plus solide… Il accepte la main du petit Robert qui arrête de pleurer.
Les deux ne se quitteront plus ou presque jusqu’en 1988, date à laquelle peu avant la sortie de l’album Disintegration, Tolhurst est mis à la porte du groupe à l’issue d’une séance d’écoute collective du disque, dans lequel Smith a beaucoup investi et où Tolhurst, qui a passé le plus clair de son temps à boire et à cuver se met à sévèrement critiquer la qualité des chansons. Il s’en suivra un procès peu glorieux où Tolhurst perdra tout mais où il retrouvera aussi paradoxalement la voie de la sagesse.
Les 150 premières pages sont passionnantes parce qu’elle dressent le portrait de cette société étouffante de l’Angleterre des années 70, minée par le désespoir et l’absence de lendemain. Une impasse symbolisée par Crawley, ville de banlieue sans âme ni couleur, oppressante, trop petite pour contenir tous les rêves des imaginary boys qui très vite développent un sentiment de refus plus ou moins téméraire de se couler dans la vie médiocre que la société Tatcherienne leur promet à cette époque (On imagine sans mal d’ailleurs que dans une cité voisine, Basildon, à la même époque, le terreau était exactement le même pour les membres de Depeche Mode…). La fuite ne sera finalement rendue possible que par l’alcool et la musique. Ce qui frappe ici comme souvent dans les biographies musicales, c’est la façon dont le rock vient prendre les artistes au berceau. Lol Tolhurst retrace ainsi dans une première partie du livre les origines du groupe, des premières répétitions chez les Smith aux concerts au Rocket puis à la signature avec Chris Parry sur son label Fiction, on suit avec curiosité et étonnement la genèse de ce groupe culte qu’allait devenir The Cure. Il y a de la magie dans l’air…
Dans la seconde partie du livre, qui couvre la période du premier disque « Three Imaginary Boys » au Kissing Tour, Lol Tolhurst décrit une décennie d’enregistrement d’albums qui se succèdent chaque année, les tournées qui s’ensuivent et le succès phénoménal que le groupe rencontre dans le monde entier. Les récits de concerts (Athènes en 1985, Orange en 1986, Argentine en 1987) sont épiques et on prend bien la mesure de l’hystérie qui entoure la bande à Robert Smith en ce milieu des années 1980. C’est également l’époque de grands turn-overs au sein de la formation avec des membres qui défilent dans The Cure sans pour autant entraver sa marche en avant… Mais pour Tolhurst, parallèlement à la gloire dont il avait tant rêvé, une autre histoire d’amour est en train de supplanter celle qu’il a pour le groupe : la boisson… Fébrile psychologiquement, et influençable, il se jette en effet à corps perdu dans une spirale infernale qui allait causer sa perte. Devenu inutile, puis néfaste au groupe, Lol Tolhurst en est écarté avant le début de la tournée « Disintegration » de 1989 (on trouve d’ailleurs dans le livre un extrait de la lettre de renvoi écrite par Robert Smith en personne).
Le dernier tiers du livre est probablement la partie la plus éprouvante et la plus touchante car suite au procès perdu contre son propre groupe, Lol Tolhurst va enchaîner les épreuves : la ruine, la perte d’un enfant, un divorce, l’exil en Californie, un fils qui lui est enlevé… mais c’est aussi le début d’une incroyable rédemption. L’auteur y choisit ses mots avec soin et on parvient à saisir, dans un premier temps, toute l’étendue de son malheur, puis, dans un second temps, son bonheur, toujours fragile, à retrouver foi en lui-même.
« Cured », n’est donc pas à proprement parler un livre sur The Cure, même si les anecdotes y sont nombreuses ; C’est pourquoi, le fan aura sûrement un sentiment de frustration tant on aurait aimé être davantage dans les coulisses du groupe et force est de reconnaître que l’on y parle finalement assez peu de musique… Il y a par exemple peu d’explications sur le processus créatif des différents albums notamment sur la désormais mythique trilogie « Seventeen Seconds / Faith / Pornography » ou sur le split momentané du groupe en 1982 à Strasbourg, en pleine tournée … Tout cela restera un mystère… notamment à cause du fait que l’auteur adopte une position très consensuelle en prenant soin de ménager chaque membre du groupe ; Robert Smith, notamment, est dépeint ici avec un immense respect pour ne pas dire un véritable amour. Tolhurst choisit délibérément de faire de sa biographie un hommage à son meilleur ami qui apparaît tout du long comme l’homme parfait : inspiré, poète, équilibré, droit, fidèle, rationnel, spirituel… ce qui renforce la fascination qu’on peut avoir pour le chanteur de The Cure. Il élude manifestement les périodes sombres (la consommation de drogue est mentionnée mais peu développée, par pudeur ? ou par volonté de ne pas trop en dire…).
On pourra également s’étonner sur le fait qu’au fur et à mesure que l’histoire de The Cure s’écrit : après chaque album, chaque tournée, les planètes semblent s’aligner naturellement avec une logique implacable sans difficulté manifeste… la montée en puissance du groupe, de 1979 à 1989 apparait tellement linéaire, tellement facile… toutes les étapes vers le succès et la reconnaissance sont franchies sans aucun doute ni appréhension, cela semble un peu trop beau pour être honnête…
Ce livre reste néanmoins intéressant car il possède plusieurs niveaux de lecture… C’est bien sûr un récit, somme toute assez classique dans l’univers du rock, sur le parcours chaotique d’un jeune anglais qui rêvait de musique et de liberté, et qui a dû affronter plusieurs démons personnels en cours de route… Plus encore que l’histoire de The Cure, vue à travers l’un de ses membres fondateurs, c’est avant tout l’histoire d’une amitié profonde qui lie l’auteur à Robert Smith. C’est enfin et très certainement une thérapie pour son auteur, alcoolique repenti, qui a décidé d’utiliser l’écriture pour panser ses plaies et s’amender.

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le 18 juil. 2018

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