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L’intrigue prend sa source à Benaise, un village des Balou, massif montagneux au cœur de la Chine. Dans cette région difficile (isolement, climat), le village est tellement loin de tout qu’on ne sait pas à quel canton il est rattaché. Il s’avère en fait qu’aucun canton ne le revendique, ce qui fait que le village n’a aucune existence juridique. C’est une catastrophe naturelle qui va changer la donne : une tempête de neige en plein été, qui massacre la future récolte de blé, alors que les champs promettaient. Soudain, les habitants de Benaise réalisent qu’ils apprécieraient de l’aide, une solidarité venant de l’extérieur. À cette occasion, Mao Zhi (matriarche du village) fait le tour de la région et observe l’organisation collectiviste qui se pratique dans les autres villages du canton. Séduite par ses possibilités, elle revient proposer aux Benaisiens de se jointer et de revoir l’organisation du village. Son application va entraîner une perte de la propriété individuelle au bénéfice de tous. Car, en se jointant, Benaise va faire la connaissance avec la levée de l’impôt, ainsi que les directives en provenance de la Chine communiste. Une façon de présenter un peu simpliste, car Mao Zhi a fait la guerre et devrait avoir une idée de ce vers quoi les Benaisiens tendent en acceptant de se jointer.


Vivre à Benaise


Il faut dire qu’en parallèle, nous suivons la montée en puissance de Liu Yingque, un chef de district qui déborde d’idées. Ayant sous sa tutelle pas moins de 800 000 habitants, il sait dans quelles conditions vivent la plupart : modestement. Réalisant la particularité des habitants de Benaise, il va leur faire une incroyable proposition. À Benaise, une grande majorité des habitants souffrent d’un handicap. Aveugles, estropiés, bancals, muets, sourds, amputés, ces abîmés de la vie (par opposition aux gens-complets) ont trouvé là un refuge où ils peuvent survivre assez tranquillement, car on y vit plutôt bien. À tel point que Benaise donne tout simplement une idée du paradis sur Terre. D’où l’expression « être benaise » pour signifier un état de bien-être satisfait très particulier. C’est l’occasion de signaler que de nombreux mots et expressions typiques parsèment ce roman foisonnant (exemple avec les termes jointer, déjointer et gens-complets, même s’ils se comprennent assez facilement). De nombreuses notes viennent apporter des explications à propos de ces mots particuliers mais aussi de personnages, de périodes ou de géopolitique. Ces notes numérotées renvoient à des explications situées à chaque fois en fin de chapitre. Des explications parfois courtes, mais qui peuvent courir sur plusieurs pages, allant jusqu’à enclencher une narration parallèle et même parfois sur une autre époque. Il faut s’y retrouver, surtout qu’il y a parfois des notes pour compléter les notes de base. Enfin, on remarque que ces notes comme les chapitres ne comportent que des numéros impairs, sans qu’aucune justification ne soit jamais avancée. On peut y voir une sorte de superstition, sans qu’il soit possible de dire s’il s’agit d’un choix de l’auteur ou bien le reflet d’une quelconque croyance, régionaliste par exemple. De même, je n’ai pas réussi à déterminer la part de description entre la réalité de la vie en Chine et la part issue de l’imaginaire de l’auteur. Benaise correspond-elle à un village existant vraiment ? Et que penser de tout ce vocabulaire, ce folklore qui en sont issus ?


Les vues de Liu Yingque


Bref, le chef de district Liu Yingque voit grand. Il imagine rien de moins que d’acheter la momie de Lénine aux Russes pour l’exposer aux Âmes mortes (clin d’œil à Gogol), non loin de Benaise, afin d’en faire une attraction touristique incontournable. En faisant venir la foule à Benaise, il explique aux habitants que leur fortune sera faite. Non seulement il y aura les droits d’entrée, mais il y aura tous les à-côtés avec les dépenses des touristes sur place. Il va jusqu’à leur dire qu’une fois la dépouille de Lénine sur place, ils ne sauront plus comment dépenser leur argent. Reste un détail pratique : comment acquérir cette dépouille ? Son raisonnement est que les Russes ne pourront que la céder s’il y met le prix, car ils n’ont plus les moyens d’entretenir correctement le mausolée. Les restes de l’ancien secrétaire général du Comité central du parti communiste risquent ni plus ni moins que de partir en poussière. Pour apporter l’argent nécessaire (le capital à investir), son idée est d’enrôler les handicapés de Benaise dans un cirque où ils se produiront dans des numéros inédits. Les bénéfices engrangés leur donneront les moyens nécessaires.


La Chine et le capitalisme


Le raisonnement, on le comprend. Par contre, on ne peut s’empêcher de sourire, car c’est un raisonnement typiquement capitaliste. À mon avis, le romancier chinois Yan Lianke s’en amuse énormément lui aussi. Pour le lecteur (la lectrice), en plus du plaisir de lecture produit par un roman qui regorge de trouvailles, la question est de savoir jusqu’où le romancier va nous entraîner dans cette histoire délirante.


Dérives du capitalisme


Le roman ironise donc de façon jubilatoire sur les mécanismes du capitalisme, un système rappelons-le qui fonctionne désormais beaucoup en Chine. D’ailleurs, Yan Lianke n’est pas en odeur de sainteté là-bas. Pourtant, ce roman n’y va pas par quatre chemins, même s’il faut attendre un bon moment avant de comprendre où l’auteur veut nous emmener. Mais, tout compte fait, la critique du capitalisme galopant est bien là. On voit comment la convoitise humaine fonctionne, attisée par l’appât du gain et surtout ne sachant jamais s’arrêter à des proportions raisonnables.


Les idées de Liu Yingque sont imparables et il convainc les uns et les autres de le suivre dans son entreprise. Les bénéfices enflent de façon vertigineuse grâce à la rumeur et à la frénésie qui s’empare des Benaisiens comme des habitants des régions que le cirque traverse. Les dérives s’accentuent à un tel point qu’on n’est pas trop étonné par le retour de bâton. On sent que dans l’esprit de Yan Lianke, le capitalisme est d’une certaine façon le mal à combattre (question d’éducation ?)


Conclusion


Si ce roman m’a convaincu et séduit par sa densité, son ampleur, sa puissance, son originalité de ton et ses personnages (voir le portrait de Liu Yinque qui se dessine progressivement, sans oublier les petites filles de Mao-Zhi, les quatre nines qui intègrent la troupe du cirque), je reste dubitatif vis-à-vis du titre. À mon avis, il ne s’agit pas d’une traduction littérale (titre original : Shou Huo – 2004), mais plutôt d’une référence destinée à éveiller l’intérêt de potentiels lecteurs. Traduction par Sylvie Gentil.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

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le 27 mai 2020

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