Le patriotisme, murmure le père Merlin qui semble se parler à
lui-même, mais dont la voix s'élève peu à peu, le patriotisme! Une
trouvaille du siècle! Une création toute nouvelle! Une invention des
bourgeois émerveillés par la légende de l'an II, hébétés par les
panaches et les chamarrures de l'Empire! C'est drôle, ils en rêvent
tous, ces idiots, du plumet et de la ceinture à glands d'or des
commissaires de la Convention aux armées!... On n'a qu'à désosser
Saint-Just pour avoir Prud'homme... Un peu trop jeunes pour partir en
guerre, les sires de Framboisy; mais ça ne les empêche pas de faire
les crânes. A Berlin! A Berlin!... Allez leur crier: Vive la Paix, à
ces ânes-là, pour voir comment vous serez reçus... J'en sais
quelque chose... Le patriotisme, monsieur! Et allez donc, les blouses
blanches et les casse-têtes tricolores!... Et puis, la débâcle:
encore le patriotisme... Seulement plus de casse- têtes: les
souvenirs de 92. Ça vous assomme tout de même... Ah! les souvenirs
de 92! Le passé pris à témoin du présent! Les fantômes devant les
fantoches! Les objurgations, les évocations, les exhumations...
Mânes de Bonaparte, protégez-nous! Après Bonaparte, c'est Kléber
et Marceau... Pourquoi pas Sobieski et Palafox?... Voilà: ils avaient
moins de panaches... Et puis, le dénigrement préconçu de l'ennemi,
les railleries, les moqueries, les annonces mensongères de victoires,
les enthousiasmes, les énervements, les défaillances, les chaises
qu'on brise à la Bourse, la Marseillaise qu'on fait chanter à
Capoul. C'est du patriotisme, tout ça! C'est du patriotisme
bourgeois, le patriotisme de l'épicier et celui du journaliste- -les
journalistes! Quels misérables!--... Mais le patriotisme de première
classe, le patriotisme extra, le fin et le râpé, c'est celui de
Gambetta. Ah! celui-là, par exemple, j'espère bien lui voir élever
une statue avant ma mort... Ni un pouce du sol, ni une pierre de
forteresse!... Et une fierté de théâtre, et des phrases creuses, et
des déclamations ampoulées, et encore 92--lorsqu'il n'y a plus ni
soldats, ni armes, ni rien--lorsqu'on ne peut aboutir qu'à une chute
plus irrémédiable, après des tueries inutiles, des boucheries
idiotes, des carnages imbéciles. Ah! il a tenu haut le drapeau,
celui-là...


95poèmes
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le 6 oct. 2018

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le 6 oct. 2018