Le romantisme, selon la définition d’Ayn Rand, est une catégorie de l’art basée sur la reconnaissance du principe de volition. Il représente l’Homme capable d’affirmer : je veux, donc je peux. À partir de là, ses œuvres seront reconnues comme une représentation sublimée de ses valeurs, et donc de son idéal de beauté.


Smith pourrait être définit comme « cosmo-romantique » : si sa misanthropie est affirmé à plusieurs reprises dans ses textes, c’est avant tout pour se revendiquer d’une sensibilité supérieure, ayant pour considération un cosmos qui dépasse de loin notre simple existence moderne. Smith ne s’identifie pas à l’Homme, qu’il méprise : il s’identifie aux monstres, et il est difficile de ne pas ressentir la perversité joyeuse que les créatures de ses histoires mettent à les dominer.


Mais participer de ce complot cosmique contre l’espèce humaine n’est pas déprimant, à l’inverse d’un Lovecraft. Ici la débauche créative est au service d’une admiration sans borne pour l’espace, les planètes lointaines et les hypermonstres qui dégagent une poésie, une séduction et un plaisir qui tiennent de la jouissance pure et d’un amour sincère pour la Nature. Smith se détache de l’humain pour mieux s’élever à des sensibilités supérieures, à proprement parler originales. En d’autres termes, sa misanthropie est, chose rare chez un auteur de SF, mise au service d’un amour posthumain, dirigé vers les évolutions potentielles de nos corps. Le romantisme cosmique est à cette condition que les monstres, s’ils peuvent écraser l’humanité, doivent y être admirés comme un plan d’identification possible et supérieur à ce que nous sommes. (1)


C.A. Smith est donc un parfait romantique dans ce qu’il exprime la fascination pure pour les créatures surnaturelles – à la manière dont un Vermeer dépeint la lumière, avec une joie et une spontanéité touchante, qui ne se justifie à personne, et qui n’existe que par le simple plaisir d’exprimer ses canons de beautés.


DES ORIGINES DE LA PASSION
Si chaque découverte doit se faire au prix d’une souffrance inimaginable, les personnages de ses romans ne peuvent s’empêcher d’aller de l’autre côté du miroir, de la surface opaque des choses, quand bien même cet élan serait motivé par un simple caprice du cœur. L’avarice, la curiosité maladive, la luxure… Sont désignés comme les moteurs de toute aventure.


Pourrions-nous lui en vouloir ? N’importe quel homme peut comprendre la force, le déterminisme de nos pires attitudes, enfouies sous le châle de l’inconscient qui les dissimule à nos yeux. Mais lorsque ces forces sont comprises et sublimées en but ultime, littéralement cosmique, la conscience se fait pénétrer d’une autre manière, qui ne relève ni de la déchéance, ni de la soumission à des instincts primaires ; celle-ci s’élève vers d’autres sphères, que nous nommerions par éloge « supraconscientes », et qui définissent un devenir d’une qualité supérieure à l’âme romantique.


Pour conclure, nous dirions que la seule condition pour prétendre au romantisme est que l’artiste décide de se rendre lui-même vers ces contrées où l’amour et la peur se rencontrent, sans quoi l’admiration laisse place à la terreur passive. Or, voici donc la seule distinction que nous établiront entre Lovecraft et Smith : l’un semble poussé par la terreur, l’autre par la fascination et le désir, et par une volition qui ne s’embarrasse de rien d’autre que de son propre plaisir, sans culpabilité aucune d’écrire ce qui provoque en lui une irrépressible envie de jouir de ce qu'il pressent.


C'est, en somme, ce que nous attendons d'un artiste louable.


(1) Une bonne représentation de cette aspiration à une métamorphose supérieure peut être trouvée dans le jeu-vidéo Bloodborne.


Le site www.eldritchdark.com, consacré à Smith, décrit ainsi
l'atmosphère de ses textes :



A setting of cold quiet reality, which, mixed with the erotic and the exotic, places his work within its own unique, phantasmagoric genre.


NicolasBaas
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le 12 mars 2019

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Kiyoaki

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