Aux grands hommes, l'Humanité reconnaissante


Moi, je reste du côté de ceux qui sont opprimés.



20 octobre 1849



Actes et Paroles est la reunion en quatre volumes de tous les discours de Victor Hugo de 1841 jusqu'à sa disparition en 1885.


Tout le mérite d'Actes et Paroles est de permettre à chacun de se faire une meilleure opinion sur Victor Hugo car si tout semble déjà avoir été discuté sur lui, tout n'est pour autant pas toujours simple à appréhender.


Je ne saurais trop vous recommander de lire Actes et Paroles qui à défaut d'apporter un éclairage neuf, est une œuvre très vivante qui a parfois même les allures d'une pièce de théâtre avec ses intrigues et ses tensions.


Quant à moi cette lecture d'Actes et Paroles a été l'une des meilleures que j'ai pu avoir de Victor Hugo. Il le dit lui-même quelque part, cette oeuvre contient tout une vie. J'ai été notamment saisi par l'émotion à la lecture des dernières lignes.


Quelques impressions :



  • Avant l'exil (1841 - 1852)


Je ne peux pas ne pas commencer par aborder l'évolution politique de Victor Hugo dont on saisit mieux les contours grâce à Actes et Paroles. On y effleure pour ainsi dire son long chemin de croix intellectuel qui trouve son expression la plus claire dans ses prises de positions, celles d'un homme politique qui pour autant ne parlera jamais qu'en son nom.


Ainsi, par-dessus tout, on y voit 1849 !


Ma premiere impression donc comme l'a défendu Henri Guillemin autrefois c'est que Victor Hugo a toujours été fidèle à sa conscience. Ainsi peut-on lire sous sa plume au début d'Actes et Paroles qu'il se proclame, cela s'est vérifié dans les faits, un défenseur depuis toujours de la liberté. Qu'il ait toujours eu une sensibilité de gauche est peu discutable en vérité selon moi. Même s'il y a comme une cesure. Une cesure marquée avec la droite, à laquelle il s'affiliait, à partir de 1849. Ainsi Victor Hugo rencontre Victor Hugo progressivement depuis ce moment qui comprend son magnifique discours sur la misère le 10 juillet 1849 lors d'une séance de l'assemblée législative. La droite le vilipendera d'ailleurs quand celui-ci dira "je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère". Tout ce qui oppresse, amoindrit ou nie l'humanité, Hugo veut l'en délivrer. De là son voeu d'un enseignement libre, gratuit et obligatoire, de là son vœu d'une misère éradiquée, de là son vœu d'une presse libre, de là son voeu d'une peine de mort abolie etc. Autant de combats qu'il portera avec force, son œuvre en temoigne, durant toute sa vie.


Autour de tout cela on aperçoit certaines "hesitations". Peut-être même des erreurs. Si Victor Hugo, par exemple, dit en 1841 dans son discours de réception à l'Academie Française : "Je suis de ceux qui pensent que la guerre est souvent bonne" il clamera dans son autre magnifique discours au congres de la paix à Paris le 21 aout 1849 que "la loi de Dieu, ce n'est pas la guerre, c'est la paix" et réitérera sans cesse cette position notamment en 1867 dans le chapitre qui conclut son essai intitulé Paris. Et caetera.


Mais sur l'essentiel et, peut-être quelquefois malgré les apparences, Victor Hugo est bel et bien constant, il le sait et s'en défend lui-même dans un discours du 23 mai 1850. Toujours son intégrité semble pure et inalterée que ce soit par ses mandats ou même par son exil (ainsi refusa-t-il l'amnistie de Louis-Napoléon Bonaparte en 1859 !).


Précédé de sa conscience, Victor Hugo portera son regard vers les bancs de la gauche de 1849 jusqu'a la fin de sa vie, en 1885.


Au-delà de ce cheminement fascinant et c'est tout l'enseignement et la richesse d'Actes et Paroles, on y decouvre un immense orateur qui réfléchissait en permanence le beau mot et savait toujours formuler une pensée avec beaucoup de grâce et d'efficacité. Dans ces discours improvisés et si naturels, l'éloquence d'Hugo, parfois piquante pour ses adversaires, ne cesse de heurter les esprits et y laisse souvent une trace indélébile.


J'aurais voulu écouter cet homme en haut de sa tribune. Entendre sa voix, ses intonations, ses silences, puis ses colères aussi parfois. Voir de mes yeux les gestes pleins de la vigueur et de la force d'un écrivain dont la vie peut se resumer en un mot : engagement !
Engagement des mots en litterature, engagement du coeur en amour ne l'oublions pas, engagement des idées en politique, engagement de sa vie avant tout.



  • Pendant l'exil (1852 - 1870)



Quand la liberté rentrera, je rentrerai.



1859



Ainsi subit-il vingt années d'exil ! Vingt années où il ne sera qu'un proscrit, un pestiféré. Que cela lui coûte, que cela lui pèse, c'est indéniable.


Le deuxième volume, tout aussi admirable et passionnant que le précédent, est d'une atmosphère radicalement différente.


Il y a ainsi cette mélancolie profonde, lourde, étouffante que l'on ressent à travers sa plume dès l'introduction de ce volume d'Actes et Paroles, "Qu'est-ce que c'est que l'exil?". Un bien lourd fardeau pour un homme. Et à ce fardeau s'ajoute, il faut s'y confronter par la lecture, le poids de voir ses camarades disparaitre un à un. Nous permettant d'entendre de belles eulogies d'un Victor Hugo presque impassible, austère, froid malgré ses discours qui se veulent enthousiastes...


Pour autant, fort d'un courage qu'on ne peut que lui envier, il poursuivra la mission qu'il s'est lui-même confié et dont rend compte admirablement Actes et Paroles.


Ainsi n'oublie-t-il jamais son idéal : pour la fraternité des nations ; "Peuples ! Il n'y a qu'un peuple." (1 aout 1852), pour l'inviolabilité de la vie humaine (il faut lire sa lettre à Lord Palmerston, sur la question du gibet, qui est d'une violence et d'une puissance inouïe !), contre le deux-décembre et le despostisme en Europe, pour la République etc.


En vérité pour lui il n'y a qu'un combat, celui de la liberté.


Liberte qu'il reconquiert un 5 septembre 1871. Enfin, le retour. Et quel retour puisqu'il est triomphal ! Mais tout est à reconstruire alors que la guerre éclate et divise la France. Période trouble, en ébullition, tout s'agite, à l'instar de Victor Hugo dont il nous est permis dans ces conditions de voir parfois toute l'ambigüité de sa pensée.



  • Depuis l'exil (1870 - 1876)



Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : Civilisation, Révolution. Quand la liberté est en péril, je dis : Civilisation, mais Révolution ; quand c'est l'ordre qui est en danger, je dis : Révolution, mais Civilisation.



De Bruxelles dans une lettre à ses amis Meurice et Vacquerie le 28 avril 1871.



Voici resumé en quelques mots toute la pensée politique de Victor Hugo. Comme ici, il peinera également à concilier son patriotisme avec son idéal de fraternité entre les nations. Quand il pense États-Unis d'Europe c'est toujours par la France et pour la France d'ailleurs. Mais l'épisode de la guerre Franco-prusse illustre le mieux cette ambiguïté. Ainsi d'abord se défendant contre l'oppression, Victor Hugo, ne sachant être vaincu, tiendra son lugubre discours du 1er mars 1871 qui a cela de mémorable qu'il aura été la tragique prophétie autorealisatrice de 14-18.


Les deux derniers volumes sont passionnants également. C'est dans ces deux derniers volumes que l'on peut donc constater de manière plus prononcée les nombreuses ambiguïtés qui nourrissent les incertitudes vis-à-vis d'un Victor Hugo qui n'aura cependant jamais dévié dans ses principes.


Sans doute faut-il aussi le dire et le dénoncer, à côté de tout cela, il y a quelques égarements, pas des moindres, qui entachent la postérité de cet homme. Ainsi bien qu'en avance sur son temps quand il se fait le promoteur de l'égalité entre l'homme et la femme et qu'il dit, entre autre, pendant son exile : "Nous ne disons pas : âme de première qualité, l'homme; ame de deuxième qualité, la femme. Nous proclamons la femme notre égale, avec le respect de plus. Ô femme, mère, compagne, soeur, éternelle mineure, éternelle eslave, éternelle sacrifiée, éternelle martyre, nous vous relèverons!" 24 fevrier 1855.
Il y aura toujours dans son rapport aux femmes des mots teintés de sexisme, parfois de manière assez brutale et explicite.
Enfin, oui, disons-le ! Victor Hugo était aussi raciste. Non pas par haine, et peut-être cela le sauve-t-il un peu, mais, pour simplifier, avec cette sorte de compassion condescendante, ce paternalisme dégoulinant et mal placée. "J’ai l’habitude de traiter les questions par l’amour et non par la haine" dira-t-il le 29 mai 1848, trente et un ans avant son discours nauséabond sur l'Afrique le 18 mai 1879.


Chacun pourra lire et constatera tout cela comme tout ce que je n'ai pas dit.


Que reste-t-il de Victor Hugo ?


Immense pacifiste, inepuisable idéaliste, d'un bel idealisme, Victor Hugo était dans l'esprit, dans le combat, dans la constance, à l'avant-garde de quasiment tout. La civilisation humaine n'aura jamais été mieux inspirée.


"Je vous parle de dedans le tombeau" dira le proscrit Victor Hugo loin de sa patrie. Aujourdhui disparu depuis plus d'un siècle je lui réponds que nous l'entendons et qu'aux illustres représentants de l'esprit humain que furent Homère, Eschyle, Dante, William Shakespeare... nous y ajoutons son nom !


Voila ce qui reste.

Dirini_
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le 14 févr. 2020

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