À bas l'empire, vive le printemps ! retrace l'histoire de Earth First!, un groupe de militants écologistes britanniques dans les années 90, ayant recours sans aucun complexe à l'action directe et au sabotage pour parvenir à leurs fins. Ce texte est initialement paru dans la revue Do or Die en 2003, sous le titre Down with the Empire! Up with the Spring!, et on doit aux éditions Divergences de nous replonger dans l'histoire méconnu de ce groupe hors normes, regroupant plusieurs dizaines de milliers d'activistes à son heure de gloire, et ayant remporté des victoires éclantates contre les pouvoir britanniques : ils parviendront notamment à annuler la construction de 500 autoroutes (!) sur les 600 prévues par le Ministère des Transports.


Earth First! vient combler le vide laissé par l'institutionnalisation de Greenpeace et des Amis de la Terre dans les années 80. Si ces ONG étaient au départ très offensives dans le combat écologiste, elles ont perdu de leur gouaille en grandissant et en développant une bureaucratie interne. Elles se sont alors mises à dialoguer avec le pouvoir en place, et se sont mises à co-gérer le gouvernement du vivant, avec la création de parcs naturels etc. Toutefois, elles ne mettaient plus en cause le modèle de développement de la société occidentale. Earth First! naît dans un premier temps aux États-Unis. C'est un mouvement inspiré par l'écologie profonde, une pensée biocentriste arguant qu'il faut défendre toutes les espèces vivantes à n'importe quel prix. Occupation de bureaux, de forêts, destruction de pelleteuses, tous les moyens sont bons pour protéger la nature. Toutefois, l'organisation sera rapidement mise en déroute par les services secrets américains qui menaceront d'assassinat et emprisonneront les membres du groupe. Cela n'empêche pas Earth First! de traverser l'Atlantique. Des militants britanniques décident de créer une branche européenne du groupe, laquelle connaîtra un développement extraordinaire.


Cette histoire commence par le voyage de deux des militants d'EF! anglais en Bornéo pour aider les tribus Penans à défendre leur territoire. Sur place, ils furent emprisonnés par le pouvoir malais pendant deux mois dans des conditions difficiles. Pour cela, ils furent unanimement condamnés par les ONG environnementales (notamment les Amis de la Terre) qui se souciait de l'image que cette action pouvait renvoyer dans les médias. Pourtant, cette médiatisation, en diabolisant les activistes d'EF! aura pour effet de renforcer leur base en leur permettant de nouer des liens avec de nombreux groupes d'activistes, fussent-ils militants écolos, pour la libération animale ou la sauvegarde des forêts tropicales. Bientôt, EF! se rend compte de l'importance du local dans les luttes écologistes et commencent à se combattre sur son propre terrain. Inspiré par leurs homologues américains, les activistes d'EF! utilisent immédiatement l'action directe pour faire entendre leur voix : blocage de port important du bois illégal issu de la déforestation tropical, sabotage de chantiers. Bientôt, les militant·es réalisent qu'ils ont besoin de s'enraciner dans les lieux qu'iels souhaitent défendre. Iels décident alors de s'installer à proximité des chantiers. De la sorte, iels renforcent non seulement leur lien avec le territoire, mais iels se rendent surtout immédiatement disponibles pour agir contre les chantiers. Sabotage de pelleteuses, occupation de grues, cadenassage sauvage, détournement de lits de rivière, construction de village dans les arbres... Les multiples techniques alors utilisées sont inédites et mettent les policiers en déroute. Quand les entreprises de construction ne peuvent pas travailler, elles voient leur coût de production augmenter indéfiniment et sont obligées d'abandonner les projets. De telle sorte qu'au plus fort des actions d'EF!, la simple annonce d'un nouvelle occupation suffisait à faire annuler les projets...


Pour autant, on ne peut pas limiter EF! à ces occupations, bien qu'elles demeurent le plus gros de leurs activités. EF! se trouve au croisement de nombreuses contre-cultures : hippies, travellers, anarchistes, teufeurs. Cette combinaison inédite permettra de diversifier un maximum les actions réalisées. On pense notamment aux immenses teufs sauvages - Reclaim The Streets - organisées en plein centre-ville des métropoles, et ayant pour objectif de refaire de la rue un lieu convivial. Il est d'ailleurs très intéressant de voir comment les milieux de la musique et de la contestation se rejoignent et se relient intimement, les uns conscientisant les autres, tandis que ces derniers font infuser leur goût de la fête dans les autres. Le point que je souhaiterais avancer ici est que la profusion de contre-cultures à la base d'EF! a certainement donné envie à nombre de jeunes de déserter le système salariale et la "bonne vie" promise par l'imaginaire capitaliste, tel un aimant subversif irrésistible. Enfin, notons que les occupations de terrain demandaient aux activistes de bien s'entendre avec la population locale, au risque que celle-ci se retourne contre l'action. Ces liens permettront ainsi à beaucoup de citoyens "non-politisés" de découvrir les joies de la guérilla, le plaisir de sentir la force de la puissance collective, le goût de la vie reprise en main. À la fin des années 90, le pouvoir d'intimidation d'EF! est tel que les projets inutiles se font de plus en plus rares. Les militant·es se tournent alors vers l'international, en participant activement aux contre-sommets de l'OMC ou du G7, en allant soutenir l'insurrection zapatiste ou les résistants en Palestine. EF! finira par s'auto-dissoudre au fur et à mesure que ses membres vieilliront ou s'évaporeront dans le monde. Mais le souvenir de l'action directe reste vivace, et les anciens membres aideront ensuite de nouveaux mouvements à naître en dehors de la Grande Bretagne (notamment à Notre-Dame-Des-Landes !).


Dans la seconde partie du livre, l'auteur anonyme de l'ouvrage explore quelques trajectoires stratégiques à mettre en place pour mener un projet révolutionnaire écologique. Il propose notamment de multiplier les contre-cultures anarchistes pour offrir un modèle de vie alternatif au système capitaliste hégémonique, de poursuivre l'action directe puisqu'il s'agit probablement du seul moyen de pression efficace, de se préparer pour l'effondrement et la guerre civile (rien que ça) et de venir en aide aux mouvements dans le monde entier.


Cette seconde partie, quoique riche en enseignements, retient moins mon attention que la première. Il faut dire que malgré tout, l'histoire d'EF! reste très méconnu en France, alors qu'elle a beaucoup à nous apprendre, notamment sur le recours à l'action directe. L'auteur du livre condamne sévèrement la non-violence, puisqu'elle ne permet d'avoir des résultats que symboliques, et non pas réels pour les luttes écologiques. Le symbole peut parfois avoir des résultats inattendus (le blocage de station-services Shell par EF! dans les années 90 permettra de libérer des prisonniers politiques au Nigéria !), mais il ne suffit pas à réellement arrêter le développement des infrastructures, la bétonisation du monde, la circulation des marchandises, la destruction des écosystèmes et de la biodiversité. L'auteur de l'ouvrage est pessimiste : il sait que nous avons énormément de travail devant nous et que la situation est désespérée (on ne le répétera jamais assez). Mais les actions d'Earth First! auront au moins eu cela de positif qu'elles auront permis à toute une génération de relever la tête et de gagner en puissance d'agir. Alors retroussons nos manches pour que l'empire se fissure enfin, et que poussent les fleurs du nouveau printemps.

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le 29 nov. 2020

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