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« Le pays entier est un disque rayé (tout se répète : chaque jour est
la répétition du précédent, chaque semaine, chaque mois, chaque année
; et, de répétition en répétition, le son se dégrade jusqu’à n’être
plus qu’une vague évocation méconnaissable de l’enregistrement
original – la musique disparaît, remplacée par un incompréhensible
murmure sableux). »



Lui, le narrateur, nourrit son spleen à grand renfort de rhum, de tabac et de musique. Né des œuvres d’un paysan grossier et d’une mère issue de la petite bourgeoisie, il a été élevé dans le culte de la Révolution et de son Dirigeant infaillible. Encarté au Parti, il végète désormais dans une administration, l’idéal pointant aux abonnés absents. Mais, dans les rues de La Havane, sur le Malecón longeant la mer, la rumeur enfle et se propage comme une crue irrésistible, brassant une écume de désillusion. Des gens de toutes conditions improvisent des embarcations et prennent la mer pour fuir le paradis du socialisme réalisé. Bientôt, des manifestations spontanées s’en prennent au régime, suscitant la mobilisation des comités zélés du Parti. Pour le narrateur, ces événements sont le signal du lâcher prise.


De Canek Sánchez Guevara, on retiendra surtout qu’il est le petit-fils du Che. Une ascendance dont il s’est détaché sans pour autant la renier, préférant la cause anarchiste à la commémoration de l’icône révolutionnaire par le régime cubain. Mauvais élève, mauvais militant, Canek n’a pas eu la vocation pour servir de modèle. Élevé entre Cuba, l’Europe et le Mexique, il a surtout développé un goût sûr pour l’art, la littérature et la liberté. Hédoniste par choix, indifférent au régime castriste et à ses discours, qu’il considère comme des contes à dormir debout, il est mort des suites d’une opération du cœur, hélas.


Un fait regrettable, car 33 révolutions, son premier et unique roman, plutôt une novella d’ailleurs, se révèle un texte sublime dont la nonchalance, la mélancolie et la puissance nous cueillent sans préambule. Aux côté du narrateur, on erre ainsi à travers La Havane, arpentant le Malecón, le port et les quartiers décrépis de la capitale cubaine. Fossoyeur de l’idéal révolutionnaire, le castrisme hante les lieux et les esprits. Le disque rayé des slogans, de la propagande, des démonstrations populaires sert ainsi de contrepoint aux files d’attente devant les magasins, à la pénurie, aux pannes et à la monnaie dévaluée. Sous la plume de Canek Sánchez Guevara, le castrisme s’apparente à un régime ubuesque, guidé par un dirigeant moribond dont l’emprise tenace pousse la population à l’exode.



« Les choses se gâtent, dit son ami sur un ton de réplique de film.
C’est un naufrage et les rats quittent le navire. Écoute-moi bien : la
révolution a échoué, dit-il, non sans grandiloquence provocatrice
(enfant terrible), se dit-il. Avant, c’était un gros géant, à la
Pavarotti, avec un enthousiasme aussi grand que l’univers ; à présent
il est maigre, anodin, sans charisme. L’anémie l’a dépouillé de son
identité. Son optimisme a disparu avec son ventre, comme si celui-ci
était le reflet exact de l’espoir et du bonheur.


Non seulement elle a échoué, poursuit-il, mais elle prétend nous entraîner dans son naufrage. Et qu’est-ce qu’on peut y faire ? Merde,


tu te rends compte que nous avons toujours été partie prenante de tout
ça ? »



Avec cette chronique désabusée du castrisme finissant, écrite dans le contexte de la crise des balseros, Canek Sánchez Guevara fait jeu égal avec ses pairs Leonardo Padura et Daniel Chavarría, laissant entrevoir un potentiel qui malheureusement restera de l’ordre de l’irréalisé. La vie est trop courte…


Additif : 33 révolutions est pourvu d’un paratexte intéressant, complété d’un entretien (publié en 2005 dans Le Monde libertaire) où, entre autre chose, Canek donne son opinion sur Cuba et l’après castrisme.


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le 23 nov. 2016

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