Petite pression à l'idée d'écrire la première critique de ce roman sur SC... Je vais tenter d'être précis et informatif.
Kim Stanley Robinson est connu pour écrire de la Hard-SF. Celle qui pique, avec des termes scientifiques abscons embusqués à chaque coin de phrase, des dialogues interminables sur des détails logistiques que seul un PhD en astrophysique comprendrait sans lexique, et des descriptions. Beaucoup beaucoup de descriptions.
Mais KSR n'écrit pas de Hard-SF pour ce genre de branlouteurs de neurones. Ses livres, bien qu'extrêmement documentés et précis, sont toujours habités par le désir de donner corps et âmes à ses personnages, nous faire épouser et comprendre leur point de vue et les enjeux qui façonnent leurs existences dans un univers descendant du notre.
Les 2 principaux axes abordés par 2312 sont le poids de la détresse de la planète Mère sur l'humanité alors que la colonisation à grande échelle du système solaire atteint une sorte de balkanisation critique, et la dépendance inquiétante des colons ('spacers') à des ordinateurs quantiques ('qubes'), calculant et gérant tout ou presque des infrastructures spatiales, pas loin de pouvoir passer un test de Turing ("Do you want to play chess ?").
Après la colossale trilogie Martienne et d'autres oeuvres denses et terribles (The Years of Rice and Salt), KSR en a assez des gros machins. On sent dans 2312 l'envie de donner accès à un univers toujours aussi riche et précis, fruit d'années d’expériences et d'érudition, synthétisé dans un roman concis, sans gras, intense et tranchant.
Les personnages sont attachants, par leur sensibilité, leur humanité et leur intelligence. Je n'arriverais pas à leur rendre justice en les résumant ici, KSR est fin et sensible comme un poète lorsqu'il traite de ses créatures. Swan, artiste créatrice de biosphères, insupportable, touchante, irresponsable et géniale a gagné sans forcer mon éternelle affection.
Les situations et décors sont souvent incroyablement évocateurs et bouleversants de beauté suggérée. Certaines scènes sont d'une portée imaginaire extatique (et pourtant toujours scientifiquement fondée), KSR a l'oeil d'un peintre quand il décrit ces visions hallucinées, comme une séance de body-surf sur les anneaux de Saturne ou une pluie d'animaux sauvages sur des paysages terrestres déformés par les dérèglements climatiques.
2312 se termine avec un petit pincement au coeur, de déception pour ma part : je n'en ai pas eu assez, et la conclusion m'a paru indigne de la liberté de ton et de concepts étalée dans le reste de bouquin. Cet aperçu trop bref d'un univers si foisonnant m'a laissé sur ma faim... Paradoxalement, je trouvais Blue Mars trop long alors qu'il répondait à tout ce qui me frustre ici. KSR n'a, à mon avis, pas encore trouvé le juste équilibre entre ce qu'il peut donner (qui est colossal) et comment nous le cuisiner sans nous laissez tomber après les hors d'oeuvres ou nous gaver avec 8 desserts.
Cependant, 2312 est un trésor d'intelligence, d'humanisme, d'optimisme et d'idées. Et quel plaisir de retrouver ici et là les indices d'une filiation discrète à l'univers des Mars, planète snobée dans presque tous le livre (on le comprend, on imagine que Robinson en a fait le tour), mais toujours subtilement présente, comme amoureusement préservée de la furie du XXIVème siècle.
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