The Lady with the Child in her Eyes [Portrait d'une discographie #8 - Kate Bush]

Annotation :

La première fois qu'on entendit parler de Kate Bush, ce fut par l'entremise de ce single, qui restera son plus grand succès commercial ever. Mais un peu d'histoire est nécessaire avant d'en arriver à ce bijou.

La jeune Kate Bush voyez vous est plutôt du genre productive. Vers la mi-70's, elle a déjà composé et enregistré chez ses parents plus de 50 morceaux, sur une démo qu'elle tente de proposer à divers labels - mais sans succès. Un jour cette tape arrive entre les mains d'un David Gilmour immédiatement impressionné, tant et si bien qu'il propose à la Kate d'enregistrer avec elle une démo plus convenable pour convaincre les labels. En 1975, elle obtient un contrat avec EMI, qui est prêt à parier sur la bizarrerie de l'adolescente (16 ans à l'époque) : vu que l'époque est à la prospérité du prog-rock, leur sentiment est que le prochain truc à la mode sera expérimental ou ne sera pas. Cependant ils mettront deux ans à la faire bosser sur un album, craignant qu'elle ne soit trop jeune pour assumer une carrière.

Mais Kate prouve vite que c'est une dure à cuire qui n'a pas la concession facile. Une fois ses sessions finies elle tient tête au label qui veut faire de la très rock'n'roll "James and the Cold Gun" le lead single. Elle ne veut que "Wuthering Heights" et rien d'autre. Elle l'aura, et le voici, fièrement numéro 1 des charts et merveilleuse incarnation des Hauts de Hurlevent, où Kate incarne le fantôme de Catherine avec moult prouesses sopranos, frappant le public de stupeur par son timbre juvénile (qui sait déjà enfler pour devenir plus grave et ample) et ses vocalises agiles et graciles. Chanson immortelle sans aucun doute. Et "Kite" en face B (responsable du visuel du single et de l'album) est également excellent, plus groovie et taquin.

Wuthering Heights (version UK) :
https://www.youtube.com/watch?v=-1pMMIe4hb4
(version US) : https://www.youtube.com/watch?v=Fk-4lXLM34g
Kite : https://www.youtube.com/watch?v=6RL8Ak1K0gM

Annotation :

Enfin aux manettes de sa propre musique, Kate Bush commence par dompter son groupe (avant d'avoir à dompter son label pour paraitre les singles qu'elle veut, comme elle le veut). Et ce groupe, généreusement conseillé par son parrain Gilmour, est assez logiquement un groupe de progressif (le genre de mecs qui reviennent d'une séance chez Alan Parsons si vous voyez ce que je veux dire). Ce qui semblait un choix commercial évident en 1975, mais beaucoup moins en 1977 alors que l'ombre carnassière du punk commence à s'étendre. Mais The Kick Inside n'est pas du tout un disque de rock progressif, et quand bien même certaines parties de claviers ne pourraient tromper le tympan attentif il reste que Kate mène d'une main de maître ses zicos et ne tolère nulle envolée lyrique pompeuse qui ne soit pas de son fait à elle. La virtuosité est là, et elle est mise toute entière au service du story-telling déjà impressionnant d'éclectisme et de puissance évocatrice. Rien à battre du punk, en début 1978 lorsqu'il parait, TKI a un succès retentissant.

Cette face A est merveilleuse, les perles s'enchainent avec une affolante régularité, avec l’irréelle "Moving" en premier adoubement et "Wuthering Heights" pour couronner la nouvelle reine de la pop. Si seulement la face B avait été du même tonneau... Rien qui ne soit pas bon, attention, seulement un poil plus "ordinaire", selon les critères déjà très élevés de lady Bush, un chouia moins percutant dira-t-on. Sans doute des raisons commerciales ont-elles poussées Kate et son label à mettre les tueries en premier. Ses "essais" suivants seront plus équilibrés, pas de soucis à se faire...

J'ai acheté ce disque il y a maintenant plus de 8 ans pour sa pochette, mais je ne l'ai jamais écouté plus que deux fois à l'époque, ne retenant que "The Saxophone Song". Je suis un peu con parfois, voyez-vous.

The Saxophone Song :
https://www.youtube.com/watch?v=fexNR7nxk8s
Strange Phenomena :
https://www.youtube.com/watch?v=8h6BWMH-DsE
Them Heavy People :
https://www.youtube.com/watch?v=qfNtPbHkp0U

Annotation :

Moins important historiquement que Wuthering Heights, je tenais tout de même mentionner brièvement ce single. Car :

- D'une part il contient sur le morceau titre l'essence de ce qui me charme chez Kate Bush, à savoir cet amour tendre pour ce qui a su garder la pureté de l'enfance (et en l'occurrence pour Kate, l'imagination débridée)
- D'autre part et bien... il contient deux des meilleurs morceaux de The Kick Inside, ce qui le rend à mes yeux plus précieux encore que ledit Wuthering Heights.

"Moving" en particulier est d'une beauté à fendre l'âme ; il ne fait nul doute que dans cette théâtralité et ce timbre agile mais strident, Joanna Newsom a trouvé tout ce qui fait le sel de son propre chant. Ces choeurs chatoyants, ce chant de baleine (littéralement hein, c'est pas une métaphore pourrie), c'est comme épier une nymphe danser un ballet sur la pointe des pieds sur la surface de l'eau par un soir de pleine lune.
"The Man with the Child in His Eyes", en plus de m'avoir évidemment inspiré le titre de cette liste, voit Kate retrouver le piano, instrument roi sur lequel elle compose, le long d'une odyssée d'à peine de 2 minutes qui s'étire avec une tendresse infinie sur un refrain d'une douceur improbable...

The Man with the Child in his Eyes (qui confirme qu'elle kiffe se mettre devant une caméra et danser) :
https://www.youtube.com/watch?v=NAj8suae3WY
Moving :
https://www.youtube.com/watch?v=3-BgzWT9gJE

Annotation :

Avant d'aborder le cas de Lionheart il me semble intéressant de se pencher sur ce single, et sur le morceau "Hammer Horror" en particulier, car il est à mon sens ce qui sur cet album préfigure le plus la direction qu'elle prendra sur Never For Ever et à plus forte raison sur The Dreaming. Grandiose chanson à tiroir entre complainte sentimentale et explosions hard-rock, rendant hommage aux films d'horreur de la Hammer et à l'anecdote de l'acteur du Bossu de Notre Dame mort sur le plateau, elle y fait des expérimentations vocales (distorsions dans les graves notamment) qui deviendront plus tard sa spécialité) qui constituent alors un précédent notable. Le public cependant n'était pas vraiment prêt pour tant d'audace et malgré un clip rigolo featuring Kate en train de danser et de faire des grimaces devant la caméra (encore et encore...) il se classera bas dans les charts.

La face B est une mignonne petite chanson aux allures rétro d'avant-guerre, sympathique mais surtout symptomatique des faiblesses à venir de l'album.

Hammer Horror : https://www.youtube.com/watch?v=XR4KnfcgLm0
Coffee Homeground : https://www.youtube.com/watch?v=Vp0qi80AvZM

Annotation :

Tout émoustillés par le succès démentiel de The Kick Inside, les exécutifs d'EMI foutent la pression à Kate BUsh pour qu'elle enchaine directement avec un nouvel album. Chose qu'elle finira par regretter, car à son goût Lionheart a été bâclé, et sorti la même année que son grand frère il rentrera dans l'histoire comme un ersatz de son aîné. Ce qui n'est pas franchement mérité à mon sens malgré d'évidentes faiblesses, mais commençons par nous pencher sur les bons-côtés de ce mal-aimé.

D'emblée, il s'impose comme moins extraverti et foisonnant que TKI, plus intimiste, moins richement arrangé et plus constant dans son ton et son instrumentarium (vive les ballades au piano). D'aucun regrettent sans doute ce relatif apaisement, et ça peut se comprendre ; la face B est (comme sur TKI) moins éclatante que la A, et son relatif dénuement et ses arrangements plus simples l'empêchent de passer aussi bien que sur TKI. Une fois de plus, pas de mauvaise chanson, rien d'autre qu'une baisse de régime après une face A contenant tout de même des perles comme l'acerbe "Wow", dont tout l'éclat est délicieusement perverti par son propos (Kate raille le show-business et ses mots fleuris destinés à gober les artistes pour mieux les recracher après coup) ou la sensuelle "Symphony in Blue" qui oscille rêveusement entre contemplation et érotisme, du bleu au rouge, ou encore cette "Don't Push Your Foot on the Heartbreak" au refrain de félin en colère. On ne peut pas non plus dire que l'album ne soigne pas sa sortie avec l'ambitieuse "Hammer Horror" dont j'ai déjà parlé sur le précédent single.

On peut choisir de voir Lionheart comme un disque mou du genou coincé entre deux oeuvres bien plus importantes et accomplies, mais on peut aussi choisir d'y voir une percée rare dans l'intimité d'une Kate Bush qui n'a ici pas eu le temps de faire enfler ses émois jusqu'aux proportions qu'on lui connait habituellement. Unique, à défaut d'un meilleur mot !

Symphony in Blue : https://www.youtube.com/watch?v=-t7mO529zUg
Don't Push Your Foot on the Heartbreak :
https://www.youtube.com/watch?v=3mAJAUswXuQ

Annotation :

Lionheart n'a pas eu le succès escompté, et si ça restera une des moins bonnes "performances" commerciales de la demoiselle, la parution de ce single arrive à point nommé pour redonner une bouffée d'intérêt à l'album : il revient dans le top 20 des charts. Pourtant, il s'agit également de la première expérience de Kate avec la censure. Bon, de base les exécutifs devaient pas l'avoir à la bonne vu comme ça se moque du show business ("Ooh, yeah, you're amazing! We think you're incredible." "You say we're fantastic, But still we don't head the bill."), mais la mention dans le texte de vaseline en tant que lubrifiant sexuel et le fait qu'en chantant cette ligne dans la vidéo (où elle danse devant une caméra, l'aurez vous deviné à ce stade?) elle se tapote le popotin avec un air coquin, ça devait être trop pour le comité de censure qui fit interdire la vidéo. Pourtant cette chanson est authentiquement "incroyable" et "fantastique", et c'est pas un promoteur qui le dit - quoique.

Une chanson d'autant plus importante pour moi qu'elle constitue la fois où Kate aura réussi à subvertir l'amour niais que j'ai pour son emphase sentimentale : ici cette émotion que je croyais entendre sans faire gaffe au texte les premières fois s'est avérée être ironique et amère. J'ai été trompé !! Mais ça ne rend la chose que plus excitante encore...

Fullhouse est une excellente petite virée groovie, et le refrain c'est beaucoup trop drôle on dirait du Michel Berger :)

Wow (et son clip) : https://www.youtube.com/watch?v=fRFQVMJf5eI
Fullhouse : https://www.youtube.com/watch?v=sUbrOZZxw0c

Annotation :

Kate Bush en live c'est pas tous les jours... et pour cause : vous pensiez déjà que la dame était ambitieuse et perfectionniste en studio ? Alors vous n'êtes pas prêts à voir un live ! Danseurs, chorégraphies, costumes, musiciens additionnels, mises en scènes diverses et variées, participation d'un magicien... Kate, lors de sa tournée The Tour of Life en 1979, met le paquet à tous les niveaux et se pare d'un niveau d'exigence absolu, insistant pour avoir le contrôle sur le moindre des détails du show. Peu étonnant en fin de compte qu'elle n'ait pas fait plus d'une grosse dizaine de dates dans sa vie, vu les moyens nécessaires et la pression qu'elle se met. Finalement, elle se décidera vite de se concentrer essentiellement sur la conception de ses albums.

Coupée au sein d'un concert complet, cette sélection voit le jour en 79 et a son petit succès. L'EP regroupe. C'est fort chouette, les morceaux sont très bons (elle a pris l'un des morceaux de Lionheart les plus adaptés à la scène : "Don't Put Your Foot on the Heartbrake" et ça rend parfaitement) et leur nouvel apparat scénique leur convient bien (solos de guitare et tout), Kate y insufflant vie sans trop de difficulté, montrant qu'elle chante avec autant d'aisance en studio qu'en live.

Bon après le problème principal c'est bien sûr que c'est un poil frustrant de ne pas avoir les images avec ! Vu le mal qu'elle a l'air de se donner pour habiller ce show, c'est con qu'on doive se contenter d'une simple pochette en guise d'illustration :D

Full EP : https://www.youtube.com/watch?v=CH5yHa9ZD-Q

Annotation :

Drôle de choix pour un premier single. Une mini-symphonie de plus de 5 minutes, une post-apocalypse intra utérine désespérée dans laquelle un fœtus craint une guerre nucléaire imminente, refuse de sortir du ventre chaud de môman et inhale la nicotine qu'elle forme à longueur de journée. Plusieurs mouvements, des ambiances qui expérimentent, pas de grande explosion pop dans le refrain...

Mais qu'à cela ne tienne, Kate est de plus en plus indépendante depuis le rush de Lionheart, forcé par EMI, qui lui a fortement déplu. Et une fois de plus l'audace paye, puisque cette fresque inspirée du The Wall des Floyd (comme quoi du bon en est sorti...) se classera 16ème dans les charts.

Le clip, dans un utérus plastifié : https://www.youtube.com/watch?v=VzlofSthVwc

Annotation :

L'hymne Babooshka, un des plus gros succès de Kate. L'histoire d'une femme d'âge mûr qui veut tester la fidélité de son mari en lui envoyant des lettres d'amour sous un pseydonyme : Babooshka, jolie jeune russe à la plume fleurie. Et qui se retrouve bien embêtée lorsque le mari se met à céder progressivement à la tentatrice. Double personnalité qu'on retrouve incarnée dans la dualité de la composition, entre couplets tragicoquins au piano et l'explosion du célebrissime refrain. Le couple se brise ainsi dans les éclats de verre (pour l'anecdote, c'est l'une des premières utilisations du tout nouveau sampler Fairlight CMI).

Et comment ne pas évoquer le clip, contenant une fois de plus une Kate qui danse devant la caméra, vêtue tantôt comme une veuve endeuillée et frigide (quoique souple et malgré tout sexy as hell) qui danse avec une contrebasse, tantôt éclatante en guerrière russe sur les refrains rageurs ?

Babooshka : https://www.youtube.com/watch?v=6xckBwPdo1c

Annotation :

L'album du top 1 ! Motivé par le succès de Babooshka, l'album consacre Kate comme première artiste féminine à débarquer en tête des charts. Joli précédent ! Chapeau bas, maintenant nous pouvons nous détourner de ces considérations mercantiles Guinessbookesques et nous pencher un peu plus sur cet incroyable album.

On aura retenu The Dreaming et la face B de Hounds of Love comme étant les percées de la chanteuse dans l'onirique, mais on ne devrait pas oublier que Never For Ever, deux années plus tôt, n'était déjà pas en reste en la matière - on y reviendra. Le disque marque une prise de distance de Kate avec les instrumentations ostensiblement rock de Kick Inside et Lionheart (sauf l'espace d'une excellente escapade en terrain hard-rock avec Violin), découvre les boîtes à rythmes, le fretless bass et les possibilités nouvelles des synthétiseurs. Les années 80 sont là et Kate Bush les embrasse passionnément - elle y trouvera un écrin idéal pour sa musique riche et colorée là où tant d'autres s'y vautrèrent sévèrement (il faudra attendre The Sensual World pour trouver ses premières faiblesses de prod de la décennie).

La dame renouvelle totalement son attirail de timbres et d'ambiances, trouvant une grande liberté dans les sonorités synthétiques qui lui permettent avec Never for Ever de créer une épopée riche mais agile, capable de passer avec légèreté du coq-à-lâne dans ses décors, comme un petit théâtre de chambre qui mettrait en scène les fantasques fantasmes de Kate. Un coq-à-l'âne qui n'est pas sans évoquer la forme du rêve (on y revient !), dans l'enchainement de Delius (Song of Summer) et son doux paysage de crique bucolique synthétique, Blow Away (for Bill) et son lyrisme en apesanteur, l'aventure pirate-orientale de All We Ever Look For qui s'achève sur des portes qui s'ouvrent vers d'autres songes possibles, les vapeurs nocturnes et intimes de Egypt.... Sans même parler d'Army Dreamers, qui porte le rêve dans son titre même, ou du cauchemar d'apocalypse plombée qu'est Breathing...

Never for Ever est plus humble que le fou The Dreaming ou l'explosion bipolaire de Hounds of Love, mais il est tout aussi magnifique, et sait se révéler tranquillement à qui saura en apprécier les détails et la fluidité. Une symphonie de poche.

All We Ever Look For : https://www.youtube.com/watch?v=N_tnOXSxVis
Infant Kiss : https://www.youtube.com/watch?v=-1n8LYOrclM
Violin (en live !) : https://www.youtube.com/watch?v=GoQHVEXODgg

Annotation :

Troisième et dernier single extrait de Never for Ever, Army Dreamers a ceci de particulier qu'il s'agit d'une valse, qui s'ouvre sur une arme à feu qui se recharge. Ce bruit sera une ponctuation durant toute la chanson, qui raconte l'histoire d'une mère qui culpabilise pour avoir laissé son fils partir à la guerre - où il a été tué. En plus d'être une parfaite vignette pop, subtile, ingénieuse, bien écrite, il s'agit (avec le clip en accompagnement), du premier travail de la chanteuse qui lui convienne d'un bout à l'autre, sans qu'elle y trouve rien à redire :

"For me that's the closest that I've got to a little bit of film. And it was very pleasing for me to watch the ideas I'd thought of actually working beautifully. Watching it on the screen. It really was a treat, that one. I think that's the first time ever with anything I've done I can actually sit back and say "I liked that". That's the only thing. Everything else I can sit there going "Oh look at that, that's out of place". So I'm very pleased with that one, artistically."

Difficile de ne pas être d'accord avec elle - même si je serais loin d'être aussi sévère sur le reste de son oeuvre jusqu'ici...

Le fameux clip : https://www.youtube.com/watch?v=QOZDKlpybZE
Faces B :
Delius (Song of Summer) : https://www.youtube.com/watch?v=VDytl4QPRsU
Passing Through the Air : https://www.youtube.com/watch?v=TgQUZcwd-JQ