Pratique(s) du jeu et de l'artifice

Annotation :

Comprendre toute l'oeuvre de Gracian comme une réhabilitation du "faire, et faire paraître" sur l'être :

"La montre tient lieu de beaucoup, et donne un second être à tout, et particulièrement quand la réalité la cautionne. Le ciel, qui donne la perfection, y joint aussi l’ostentation, car sans elle toute perfection serait dans un état violent. À l’ostentation, il y faut de l’art. Les choses les plus excellentes dépendent des circonstances, et par conséquent elles ne sont pas toujours de saison."

- Comme une praxéologie artificielle complète (mais pas artificieuse), qui se distingue techniquement de l'artifice vulgaire 1° - en ce qu'elle a compris que l'aboutissement de la technique du paraître est de paraître une technique de l'être :

"Ne point passer pour homme d’artifice.
Véritablement, on ne saurait vivre aujourd’hui sans en user ; mais il faut plutôt choisir d’être prudent que d’être fin. L’humeur ouverte est agréable à tout le monde, mais bien des gens n’en veulent point chez eux. La sincérité ne doit jamais dégénérer en simplicité, ni la sagacité en finesse. Il vaut mieux être respecté comme sage, que craint comme trop pénétrant. Les gens sincères sont aimés, mais trompés. Le plus grand artifice est de bien cacher ce qui passe pour tromperie. La candeur florissait dans le siècle d’or, la malice règne à son tour dans ce siècle de fer. Le renom de savoir ce que l’on a à faire est honorable, et attire la confiance ; mais celui d’être artificieux est sophistiqué, et engendre la défiance."

2° - en ce qu'elle a conscience de sa stratégie eudémoniste et du rôle même du jeu social dans le devenir qui mène l'homme à son "point de perfection" :

"Qu’il fasse en sorte qu’à chaque engagement il lui vienne quelque nouvelle perfection. Il doit observer cette révolution naturelle pour la seconder, et pour aller toujours de mieux en mieux dans la suite."

Annotation :

Goffman offre la base sociologique la plus solide pour une étude des pratiques et des enjeux actuels de l'artifice compris comme impératif de la "présentation de soi"
- Voir aussi : les rites de l'interaction.

Annotation :

Considéré dans la forme de la politesse et dans l'espace de la Cour, l'artifice est la médiation de soi comme négation de l'individuel pur et dévolution à une destinée morale universelle dont le courtisan, rompu aux conventions de son monde, peut alors s'auréoler.
- Comparer avec Gracian, chez qui cette visée morale théologisante commence d'être abandonnée pour mieux former l'homme pratique, le phronimos des temps modernes, partiellement conscient de son artifice comme d'un but ludique en soi.

Annotation :

La Cour offre l'exemple d'un milieu social constitué "à-part" devenant par-là même un terrain d'expérimentation pour l'artifice, un microcosme fait d'artifice, mais qui, parce que les rapports sociaux y sont à la fois réels et détachés d'enjeux plus concrets, permet la réalisation du jeu, compris essentiellement comme cette quête distante du sérieux de la vie à travers les intrigues les plus confuses.
Il devient alors intéressant d'étudier les dynamiques qui président à la formation de ce "terrain de jeu", les rapports de force qui le noyautent, la signification des artifices qui s'y déploient, les contradictions internes qui font obstacle au jeu, et enfin les conditions de possibilité d'un débordement, c'est-à-dire d'une transmission des conduites ludiques depuis ce milieu abstrait à l'ensemble de la société, phénomène qu'Elias désigne par le terme de "curialisation", dans "La dynamique de l'Occident", qui prolonge le présent ouvrage.

Annotation :

Sous-titré : "Critique et légitimation de l'artifice à l'âge des Lumières".
Donc une étude du perpétuel affrontement de l'artifice avec son autre de toujours : l'authenticité, ici spécifiée dans le phénomène de la jean-jacquerie (ou la pleurniche romantique qui voudrait se dissimuler derrière l'éloge des moeurs naturelles et de la vertu antique face à la fausseté ambiante).

Annotation :

Derrière l'exhibition de soi et la lutte omniprésente des egos dans la société actuelle se cache sûrement, plus que de la vanité, une impossibilité qui est au coeur de l'aliénation contemporaine, et qui entretient l'éternel recommencement de ces vaines tentatives. Comment en effet être reconnu - c'est-à-dire poser librement son être-autre comme un objet pour une autre conscience de soi - là où la seule valeur reconnue n'est pas l'homme, mais la forme-marchandise de l'homme ? Le problème est, alors, que l'artifice n'est plus cet être-autre compris comme le moment négatif du devenir humain : il devient, dans la conscience réifiée, une spécification de la catégorie du faire-valoir marchand qui s'épuise dans cette forme de l'objectivité. L'objectif étant présent de toutes parts, dans la conscience reconnue comme dans la conscience qui reconnaît, c'est donc bien le phénomène essentiel de la reconnaissance qui se trouve entravé du fait de l'absence de son sujet. L'intérêt de ce livre est ainsi de montrer comment les logiques qui dominent nos sociétés conduisent à un tel "procès sans sujet", qui est tout aussi bien le manque d'un tel procès.

Annotation :

- "La marchandise abondante est là comme la rupture absolue d'un développement organique de besoins sociaux. Son accumulation mécanique libère un artificiel illimité, devant lequel le désir vivant reste désarmé. La puissance cumulative d'un artificiel indépendant entraîne partout la falsification de la vie sociale" thèse 67.

- "La personnalité de chacun se trouve remplacée par une sélection d'images qui existent au-dessus d'elle, et qui en même temps se font connaître comme les traits essentiels de toute personnalité."

Annotation :

Indicatif seulement. On peut se reporter à la théorie marxiste en général pour lier la forme actuelle courante de l'artifice que (merci Debord) j'appellerai "l'artifice spectaculaire" au phénomène de la réification passé dans l'ensemble de la vie sociale.
- Plus particulièrement, un important essai de 30 pages par Lukacs sur ce thème, dans le recueil ici présenté par Steka : http://www.senscritique.com/livre/Histoire_et_conscience_de_classe/critique/9286122

Annotation :

Toute la Recherche consiste peut-être dans cette étude du Grand Monde comme un microcosme et un jeu perpétuel de signes humains qui ne se réduisent pas encore à la signalétique baudrillardienne de la séduction marchande.

Annotation :

- L'évolution subie par Hamlet serait peut-être à réinterpréter (encore une fois, tant cette oeuvre semble inépuisable !) comme la réaction et la transition achevée de l'artifice spectaculaire à un autre artifice qui, dans sa folie, se joue de tous, avant de mourir de sa solitude. Être ou ne pas être, en cela, c'est aussi paraître ou ne pas être. (Voir plus particulièrement le fameux monologue "What's Hecuba to him ?")

Parce qu'il refuse d'en rester à un artifice dont les techniques se résument à faire valoir l'impression au sein d'un spectacle, parce qu'il veut moins l'artifice pour une promotion que pour l'Action, parce qu'il le sait nécessaire et justifié, Hamlet nous apparaît ainsi comme un grand défenseur de ce que nous appellons l'artifice héroique. Et mieux que de nous en offrir l'exemple, il nous présente un moment paradigmatique, moment où nous arrivons tous dans notre conscience de l'agir, et dans lequel nous passons d'une certaine conception de l'artifice à cette dernière, qui fait ressortir la praxis comme l'exigence par excellence, et ce pour tout homme. Hamlet est bien plus qu'une illustration, c'est un vrai cas de réflexion ; il incarne une position où se joue l'évolution dialectique que nous souhaitons.

Annotation :

Un travail intéressant semble être fait à la fin de l'ouvrage sur la question du conscient et de l'inconscient dans les formes de l'artificiel contemporain. A voir.

Annotation :

(Suggestion par pripri)