Cover Jean-Pierre Melville, la tragédie urbaine

Jean-Pierre Melville, la tragédie urbaine

Ayant su se réapproprier avec brio la tragédie pour la transposer dans un contexte d’urbanité et de criminalité, Jean-Pierre Melville, mégalomane aux accès tyranniques, a infusé, de façon invariable, au sein de son œuvre sa conception pessimiste de la vie humaine, où les liens d’amour inextricables ...

Afficher plus

Liste de

8 films

créee il y a plus de 3 ans · modifiée il y a presque 3 ans

Le Silence de la mer
7.1

Le Silence de la mer (1949)

1 h 27 min. Sortie : 22 avril 1949 (France). Drame, Guerre, Romance

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

À l’heure de l’occupation allemande en France, un officier allemand est envoyé dans un petit village du Dauphiné. On lui assigne une maison déjà habitée par un vieil homme et sa nièce comme logis. Très rapidement, il tente d’établir un contact auprès de ses logeurs, mais à chaque phrase qu’il leur adresse, seul le son incessant de l’horloge lui répond. Pas même un regard adressé à sa personne. Par leur mutisme, ils semblent lui dire : « Non, votre nihilisme dévastateur ne nous atteindra pas. » Pourtant, jamais l’Allemand n’est déstabilisé, jamais sa courtoisie ne fait place à du mépris. Il semble presque prendre plaisir dans cette conversation à un seul sens. Petit à petit, on arrive à comprendre ce personnage naïf mais admirable, qui croit fermement que la guerre est faite dans le but d'unifier. Il parle d’arts et de culture, vante leurs vertus qui, selon lui, survivent à l’horreur et transcendent la guerre, et séduit progressivement ses logeurs. Seulement, sa candeur sera éventuellement mise à rude épreuve lors d’un séjour à Paris. Alors, sa naïveté optimiste se muera en une désillusion désespérée. Car à quoi bon s’évertuer à faire le bien au sein d’un mouvement fondamentalement vil? Et c’est à ce moment qu’enfin le vieillard et la jeune femme rompront le silence afin de lui témoigner, en bien peu de mots, leur solidarité et leur amitié. C’est avec une photographie humble que Jean-Pierre Melville nous parlera de l’Allemand qu’on a trop souvent démonisé au cinéma et qui sera ici, contre toute attente, quelqu’un de profondément bon et touchant. Ponctué d’une narration au superbe lyrisme, Le Silence de la mer est doté d’une lucidité impressionnante pour son époque (et pour un premier film) qui le rend à la fois touchant et intelligent.

Bob le flambeur
6.9

Bob le flambeur (1956)

1 h 38 min. Sortie : 24 août 1956 (France). Policier, Drame, Thriller

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

Bob, c’est l’homme loué, presque divinisé, en raison de ses anciens braquages, qui aujourd’hui n’est plus bon qu’à flamber son argent au poker. Ayant subi un rapide revers au jeu, il se retrouve sans le sou. Plus de choix, regagner sa gloire passée, affronter sa trop grande réputation et prouver qu’il est bien l’homme que l’on prétend qu’il est. Le Casino de Deauville, une véritable forteresse impénétrable, voilà l’objectif. Il planifie tout, ne laisse rien au hasard. On ne joue plus à un jeu de chance, le coup requiert de l’ingéniosité et de l’esprit. Seul obstacle, sa dépendance au jeu. Incapable de s’en départir, il sera voué à sombrer de nouveau dans sa terrible accoutumance. Bob le flambeur, c’est l’histoire d’un homme trop vieux, périmé, qui recherche en vain son éclat d’antan, sachant pertinemment qu’il est désormais trop usé. Melville œuvre, pour ce film, dans les contraires, alliant son style rapide à un récit qui prend son temps et ralentit à vue d’œil. Il lui insuffle une énergie lente, usant de travelings avant et arrière fluides, coupant parfois le son pour n’y laisser que la musique, d’autrefois intensifiant le son et coupant la musique, mais toujours en connaissance de cause. Son film est tel qu’il le voulait, intéressant au niveau des idées scénaristiques, mais trop peu audacieux, pas assez osé. De cela en résulte un film agréable à regarder et qui constitue une très bonne porte d’entrée aux films de Melville.

Léon Morin, prêtre
7.2

Léon Morin, prêtre (1961)

1 h 57 min. Sortie : 22 septembre 1961 (France). Drame, Romance, Guerre

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Au pic de l’abomination humaine, alors qu’un simple village de France est occupé par des soldats allemands, une femme, Barny, rencontre l’abbé Morin et est touchée de sa pureté. Alliant multiples questionnements théologiques redéfinissant l’idée même que l’on pouvait avoir du christianisme, Léon Morin, Prêtre est fascinant par sa simplicité de récit. Réflexions sur le parti à prendre durant l’occupation nazie en France, sur le principe de culpabilité non concernée et sur l’amour naissant des pires atrocités, Jean-Pierre Melville atteint dans ce film son apothéose en matière de questions morales en plus de parvenir à sublimer ses personnages d’une photographie humble, mais gracieuse. Il livre un magnifique film à la douceur absolue et où est raconté un amour simple et beau condamné à n’être que de passage, mais qui fait inévitablement mûrir. De ce film où Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva émeuvent par leur retenue, tous en ressortent grandis, y compris le spectateur.

Le Doulos
7.4

Le Doulos (1962)

1 h 48 min. Sortie : 8 février 1963. Policier, Thriller

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

« Mourir ou mentir », phrase certes anodine, mais qui en fin de compte résume et explique parfaitement le propos du film Le Doulos. Le Doulos se joue d’apparences, constamment trompeuses, qui rendent le récit et ses intrigues foncièrement opaques. Jean-Pierre Melville tisse une toile de fausses trahisons, de mensonges prévenants, dans laquelle le personnage principal, Maurice Faugel, s’empêtre à tout moment et en ressort complètement chamboulé. Aucun personnage n’est limpide, toujours tapi dans l’ombre, les protagonistes oscillent entre bien et mal, entre noirceur et clarté. À la mise en scène presque expressionniste, Le Doulos use de ses artifices visuels pour redéfinir les frontières du manichéisme et déconstruire les classiques scénarios de trahisons. C’est dans la brume et l’ombre qu’évoluent les héros impénétrables de cette histoire sombre, maquillée et trompeuse, où la mort est à tous les coins de rue. Au sein de ce sibyllin film, Melville exprime sa fascination pour le film noir américain, mais ne renie toutefois pas ses questionnements intrinsèques plus qu’intéressants. Porté par des performances époustouflantes, Le Doulos met en scène un milieu vil et corrompu, peuplé d’hommes qui doivent éternellement choisir entre mourir ou mentir et qui, trop souvent, choisissent la mort pour ne plus être contraints de mentir.

Le Deuxième Souffle
7.7

Le Deuxième Souffle (1966)

2 h 30 min. Sortie : 1 novembre 1966. Policier, Gangster

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Tout juste évadé de prison, Gustave Minda, qu’on surnomme Gu, tente de fuir la France pour mieux repartir à zéro, loin des ennuis et de la justice. Démodé, vieux et trop bien connu de la police, Gu doit faire vite, user de ses associés sans toutefois les trahir (involontairement bien sûr). Au courant de sa désuétude, il recherche une nouvelle existence, un deuxième souffle. Mais on ne renie pas si facilement son passé et tout ce qui vient avec (les rivalités d’antan, les amitiés de longue date, etc.) Traqué par un sympathique et rusé commissaire de police, il s’embourbe petit à petit dans l’illégalité, sans jamais en être conscient. Prisonnier de ses anciennes habitudes, il sabote sa fuite et son potentiel avenir radieux avec la femme qu’il aime : Manouche. Toutefois, si Gu n’a plus aucune chance de vivre la vie qu’il avait espéré, il peut tout de même choisir une mort honnête qui, de ce fait, pourra rétablir son honneur perdu : « À sa naissance, il n’est donné à l’homme qu’un seul droit : le choix de sa mort. » C’est cette citation présente en début de film qui justifiera la mort théâtrale de l’homme désœuvré qu’est Gu. Et c’est aussi cette mort qui lui ouvrira les yeux. Il verra enfin tout l’amour que porte Manouche à son égard et s’éteindra en murmurant, comme à lui-même : « Manouche… » Bien ficelé, on passe la première heure du film à se repérer au sein d’une myriade de personnages pour ensuite mieux jouir de la deuxième heure où les destinées de ceux-ci s’entremêlent et s’anéantissent.

Le Samouraï
7.6

Le Samouraï (1967)

1 h 45 min. Sortie : 25 octobre 1967. Film noir, Policier, Thriller

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Un chapeau gris, un trench-coat beige et des gants blancs, puis un homme en dessous : Jef Costello. Organisé, impénétrable, presque froid, Jef erre la nuit dans Paris, se promène d’une maison à l’autre, discute avec sa maîtresse, mais jamais inutilement : il prépare un meurtre, celui d’un inconnu. Quelques heures plus tard, c’est fait, il a tué un homme. Sa raison? On lui a promis une forte somme en échange. Seulement, Jef en a assez d’œuvrer dans l’ignorance, cette fois il veut comprendre : pourquoi souhaitait-on la mort de cet homme? Seul contre tous, chapeau à la main, Costello entreprendra une quête perdue d’avance, celle de se racheter et pour une fois de remettre en question ses actes. À l’image du protagoniste, les décors sont gris, issus d’un mélange de noir et de blanc, de vérité et de mensonges, d’honnêteté et de machiavélisme. « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï » nous explique d’emblée le film, insinuant que son personnage principal en est un, ou du moins qu’il partage cette solitude. Jef Costello, paré de son imperméable en guise d’armure, est en effet victime d’une grande solitude tant personne n’arrive vraiment à déchiffrer sa quête, sa maîtresse ne faisant pas exception. Ainsi, lorsque la scène finale se termine et que tous sont laissés dans l’incompréhension, le spectateur, lui, réalise l’humanité de Jef qui, finalement, se trouve être le plus humain de tous. Doté d’une bande-son indescriptible, mais superbe, Le Samouraï prouve encore une fois la maestria de Jean-Pierre Melville et son talent sans nom quand il est question de façonner un personnage profond, vrai, et humain.

L'Armée des ombres
8.1

L'Armée des ombres (1969)

2 h 25 min. Sortie : 12 septembre 1969 (France). Drame, Guerre

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Unis dans la Résistance, seuls au bout du compte. Ici, les notions de bien et de mal ont été diluées jusqu’à ne plus être que de vagues idéals manichéens. La violence est partout, elle s’immisce même chez les plus humains. La Résistance, en prenant de l’ampleur, n’a malheureusement pas pu y échapper. Ainsi commencent à poindre des questionnements quant à la légitimité et l’utilité dudit mouvement. Car lorsqu’on travaille dans l’ombre comme le fait Philippe Gerbier, protagoniste du film, et que les actions qu’on pose sont (souvent) dénuées de conséquences immédiates, il devient naturel de douter. Douter des décisions prises, mais surtout de la nécessité d’un tel groupe. Et c’est ce sentiment de doute dévorant que Jean-Pierre Melville parvient à restituer dans L’Armée des ombres. Tous semblent agir constamment sans que l’on ne voie jamais un accomplissement véritable. Des messes basses, encore et toujours des messes basses. Un ciel pesant, une ambiance sinistre et de la morosité comme seul repas. À un cheveu d’abandonner, le groupe de Résistants persévère. Mais comment continuer lorsque, au nom de la Résistance, on sacrifie des amis, on se joue de pauvres gens pour survivre et on assassine des innocents? Troublant, L’Armée des ombres est sans doute un des plus grands films sur la solitude, celle des temps de guerre, celle qui ronge et accable, celle qui tue.

Le Cercle rouge
7.8

Le Cercle rouge (1970)

2 h 20 min. Sortie : 20 octobre 1970 (France). Policier, Thriller, Drame

Film de Jean-Pierre Melville

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Comme indique le titre du film, couleur il y aura, et ce, autant symboliquement que visuellement. Plutôt étonnant lorsqu’on sait que Melville a un faible pour les photographies ternes, sombres et en noir et blanc. Même dans une proposition en couleur comme Le Samouraï, l’image reste morne et grise. Cette fois-ci, il change (pour le mieux) et représente la ville comme un endroit haut en couleur et joyeux. Cela lui permet ensuite de mieux introduire ses personnages qui, eux, détonnent avec le décor par leurs multiples crimes. « Tous les hommes sont coupables » nous répète constamment le film, à la manière d’une comptine pour enfants qu’on aime à chanter en boucle. Le prisonnier libéré, l’évadé, le policier vénal, le commissaire de police, le gardien-chef de prison : tous sont coupables. Définitivement plus pessimiste, Melville a accepté la cruelle vérité : ses protagonistes sont et resteront mauvais. « Rien ne peut changer la nature profonde d’un homme. » Mais malgré leur nature, il a décidé de les aimer dans tout ce qu’ils ont de vil. Surprenant, il parvient même à faire aimer au spectateur ces personnages qui n’ont, à première vue, rien d’attachant. Amalgame de film policier et de suspense, tout est grandiose dans Le Cercle rouge, c’est l’apothéose filmique d’un très grand réalisateur, la synthèse de ses thèmes les plus chers. Les plans sont impressionnants, créatifs, sublimes et marquent au fer rouge l’œil de celui qui les regarde. Rarement le spectateur aura été aussi investi dans un film de Jean-Pierre Melville, preuve de sa maestria.

Liste vue 78 fois

1