Cover J'ai lu 2021

J'ai lu 2021

wishful listing = espérer que créer une liste de lecture de l'année me poussera à lire pour de vrai

2022 :
https://www.senscritique.com/liste/lis_je_2022/3309524
2023 :
https://www.senscritique.com/liste/Je_lirai_2023/3421156

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20 livres

créee il y a plus de 3 ans · modifiée il y a environ 1 an

La Pente glissante - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 10
7.1

La Pente glissante - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 10

The Slippery Slope

Sortie : 2003 (France). Roman

livre de Lemony Snicket

T. Wazoo a mis 7/10.

Annotation :

(en anglais)

Plaisir de retrouver Lemony Snicket et ses gimmicks. C'est pas demain la veille que je trouverai le courage de continuer Mrs Dalloway en VO, mais en attendant A Series of Unfortunate Events se lit tout seul et je ne pourrais pas m'imaginer le lire en français, tous les traits d'esprit, les jeux de vocabulaire, tout ce qui fait la moelle de la série doivent se perdre… Bref, c'est toujours aussi épatant de constater que ça ne faiblit pas de tome en tome, malgré (ou grâce à) ce style qui fonctionne en petites boucles obsessionnelles.

Vies minuscules
7.8

Vies minuscules (1984)

Sortie : 2 février 1984 (France). Récit

livre de Pierre Michon

T. Wazoo a mis 8/10.

Annotation :

Livre de jeune chien fou, de styliste sophistiqué qui flex comme un malade pour essayer de faire naître la beauté de partout. Livre de mec désespéré, à la rue, en fait, livre qui était censé être le dernier moyen de le sortir de son trou. C'est honnêtement très épuisant, et j'ai failli m'y perdre malgré la brièveté des tranches de vie de Vies Minuscules. Peluchet particulièrement ; je ne me retrouvais plus dans les personnages, qui était qui, quoi qu'est-ce… Et puis un déclic à l'abord du dernier tiers d'Eugène et Clara, et tout est devenu beaucoup plus fluide. Ce style ne m'est plus apparu comme obstacle à la fluidité, malgré une densité de tous les instants, j'ai trouvé le moyen d'y respirer.

Big up aux frères Bakroot

Colline
7.7

Colline (1929)

Sortie : 1929 (France). Roman

livre de Jean Giono

T. Wazoo a mis 10/10.

Annotation :

Après Proust qui fait pousser des cathédrales en toute chose, Aragon qui étale partout ses images poétiques et la densité épuisante du style de Michon… Colline tombe au meilleur moment, celui où j'ai besoin qu'on me rappelle la vertu de la retenue. Par ce livre, Giono m'apparait comme un Dieu capable de faire frémir une montagne d'un mouvement de poignet. Il taille des phrases sèches, des paragraphes arides comme le désert lavandier de Lure. Mais si d'une formule il assèche la terre, d'une autre il fait foisonner une vie sauvage, hallucinée, et rappelle que les hommes sont arrivés après le vent, qui souffle depuis toujours.

Molloy
7.9

Molloy (1951)

Sortie : 1951 (France). Roman

livre de Samuel Beckett

T. Wazoo a mis 9/10.

Annotation :

Le plus épatant, peut-être, c'est qu'on finisse par se sentir tout à fait à l'aise dans ce champ de ruine - ça vient assez vite même, grâce à un système d'écriture d'une effarante rigueur, des abysses d'une très grande clarté, désespérées et hilares. Nous sommes dans une tête, un monde intérieur qui déplace son territoire le long de ses claudications, les raisonnements absurdes de Beckett décorent les arbres, les chemins, les gens, les cailloux et les poches. Le temps n'a pas cours dans ces limbes, qu'on traverse à toute vitesse, en apnée et pour toujours, "sans mémoire de matin ni espoir de soir".

Trois contes
7.1

Trois contes (1877)

Sortie : 1877 (France). Recueil de contes

livre de Gustave Flaubert

T. Wazoo a mis 7/10.

Annotation :

"Testament esthétique" de Flaubert askip, j'y ai retrouvé les marottes qu'on lui connait, mais frappées du sceau du destin et considérablement réduites dans trois contes brefs : la vie misérable et dévote de Félicité et son fidèle perroquet, le destin terrifiant de Julien qui un jour prit plaisir à tuer un pigeon, et... Hérodias.

Hérodias, qui m'a laissé sur le côté. Avec son avalanche de références historiques, religieuses, politique, et l'impression qu'il me manquait un véritable bagage universitaire pour saisir véritablement les enjeux du récit.
Du reste, mention spéciale à la dernière "chasse" de Julien, certaines des plus belles lignes de Flaubert.

La Grotte Gorgone - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 11
7.1

La Grotte Gorgone - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 11

The Grim Grotto

Sortie : 2004 (France). Roman

livre de Lemony Snicket

T. Wazoo a mis 7/10.

Annotation :

(en anglais)

On continue et c'est toujours bien… :)

Regain
7.5

Regain (1930)

Sortie : 1930 (France). Roman

livre de Jean Giono

T. Wazoo a mis 8/10.

Annotation :

Retour à Giono, après Colline, dans un style qui s’étoffe et se gonfle de bouffées vitales. Un récit qu’on dirait bien plus généreux, toujours envahi de mythes et plantes grimpants ; et ce vent terrible, force colossale et indifférente, qui plie le monde et les hommes à ses humeurs. Et c’est comme si Giono se « laissait aller » davantage – peut-être par nécessité, car il conte plusieurs destins dont les origines sont délocalisées – nous ne sommes plus dans le minuscule hameau de l’écrasante colline, on voit du pays même si les chemins convergent. Ses humains ne sont plus tout à fait aussi soumis à une Force invisible, leurs humeurs se déploient avec un peu plus de liberté et dans la suite de ce mouvement la plume de l’écrivain se sophistique au diapason. Traditionnellement, l’artiste tend à simplifier, à épurer de plus en plus son trait avec le temps. Ici c’est comme si le mouvement inverse se produisait ; en même temps, difficile d’être plus épuré que Colline. À titre personnel c’est la puissance de cette retenue, respectueuse face à une nature surnaturelle, qui me faisait adorer Colline – ainsi j’aime un peu moins Regain. Mais vraiment juste un peu…

Une saison en enfer
8.5

Une saison en enfer (1873)

Sortie : 1873 (France). Poésie

livre de Arthur Rimbaud

Annotation :

J’avais acheté Une saison en enfer dans son édition qui le place avec les Illuminations. Après avoir fini l’infernale, je pense me laisser du temps avant d’aborder la suite. J’avais lu quelques dizaines de poèmes antérieurs de Rimbaud, pensant être ainsi mieux préparé à ce qui allait suivre – et aussi pour savourer le plaisir de la lecture des poèmes bien entendu. Mais ça n’a pas suffi, et en même temps j’ai l’impression que rien ne peut vraiment préparer à Une saison en enfer, même si c’est peut-être le novice impressionnable en moi qui parle. Une lecture toute à la fois galvanisante et éreintante, étouffante. Peut-être en premier lieu à cause non pas de la prose hallucinée de Rimbaud mais par ces très nombreuses notes de bas de page, que je me suis senti obligé de lire pour « mieux comprendre ». Mieux comprendre ; c’est-à-dire les références littéraires, les auto-références à son œuvre antérieure et surtout les références bibliques. Zèle qui m’aura mené à ma perte, qui m’aura souvent coupé du rythme du texte, de son flot, de ses ruptures.

J’ai abandonné les notes de bas de page peu avant la fin du texte, acceptant d’être davantage « perdu » mais en faisant finalement beaucoup plus corps avec les poèmes. L’expérience était bien meilleure, l’errance plus réellement superbe et ignoble, au lieu d’être simplement vague, obtuse et rythmée par à-coups.

À relire, donc. Dans de bien meilleures conditions.

Malone meurt
7.9

Malone meurt (1951)

Sortie : 1951 (France). Roman

livre de Samuel Beckett

T. Wazoo a mis 9/10.

Annotation :

Deuxième rencontre avec Beckett, avec cette rigueur dans la démence qui – encore plus dans ce deuxième volet de la trilogie – se moque d’elle-même. Beckett se met en scène en tant que Malone cette fois-ci, paralytique d’âge incertain (trop âgé en tout cas et proche de la mort, mais qu’est-ce qu’elle tarde à venir la garce) qui souhaiterait écrire trois dernières histoires avant de laisser sa carcasse pourrir pour de bon. Le lecteur oscille entre les états d’âme du Créateur en proie à ses névroses de chambre, ses espionnages de fenêtre, ses cahiers égarés et ses coups sur le crâne, et sa Créature, pauvre bête à peine en état de vivre sa propre histoire, qui trouvera peut-être une sorte d’amour, sur la fin. Ou bien des coups.

Je retiens beaucoup de choses, en désordre dans mon crâne en rémission du saccage mené par Samuel, mais aucune peut-être ne m’aura marqué autant que ce moment où le récit de l’écrivain s’interrompt brusquement, et Malone de nous tenir informé, la page d’après : son crayon est tombé et le temps qu’il le ramasse a semblé infini, le voilà plus décrépit, et des décennies se sont abattues sur le personnage qu’il a créé. Un des nombreux vertiges de Malone Meurt. Et je peine de plus en plus à imaginer ce à quoi L’innommable (troisième volet de la trilogie) ressemblera.

Le Pénultième Péril - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 12
7.3

Le Pénultième Péril - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 12

The Penultimate Peril

Sortie : 2005 (France). Roman

livre de Lemony Snicket

T. Wazoo a mis 8/10.

Annotation :

(en anglais)

Particulièrement terrifiant et cruel dans sa mécanique trop bien huilée, ses drames annoncés depuis plusieurs tomes, cette chute de la noblesse d'âme. Sans espoir, comme d'habitude me direz-vous, mais là le dénouement est dénoué et pourtant la gorge demeure, elle, nouée jusqu'au tome suivant, le tout dernier.

Et bien entendu, à côté ça reste tout à fait hilarant - là aussi comme d'habitude.

La Faim
7.9

La Faim (1890)

Sult

Sortie : 1890 (Norvège). Roman

livre de Knut Hamsun

T. Wazoo a mis 8/10.

Annotation :

Devant un tel titre, je m’étais fait l’image d’un roman pathétique, documentaire, froid. Alors que la lecture de La faim a bien au contraire quelque chose de galvanisant, son personnage déborde d’une énergie désespérée et maniaque, poussée non seulement par la faim qui agit comme une brûlure lui rongeant le corps et l’esprit, mais aussi par ce qu’on devine être sa « folie » intime, une qui pré-existe à la faim. Faim qu’il s’inflige lui-même, bien souvent, tissant avec elle un rapport bien plus complexe – et dérangeant – qu’une faim qui serait seulement analysée sur des coordonnées sociales/environnementales.

Chaque partie s’entame en pleine fièvre et s’achève lorsque le narrateur trouve une issue temporaire à son désœuvrement. Personnage qui agace crescendo, qui devient comme du poil à gratter, on s’irrite à le regarder retomber dans ses travers, à le voir se détruire tout seul, lui qui est seul responsable visible de ses malheurs, qui semble s’y complaire autant qu’il en souffre. Pourtant il émeut… Et Hamsun est brillant en écrivant ce flot de conscience, l’énonciation qui se trouble dans les dialogues – la plupart paraissent sortir tout droit de la bouche du narrateur, façon théâtre de marionette –, le temps qui change du passé au présent dans les moments de fièvre, etc.

Livre à mettre entre les mains des professionnels d’addictologie, en vrai.

Fictions
7.9

Fictions (1944)

Ficciones

Sortie : 1944 (France). Recueil de nouvelles

livre de Jorge Luis Borges

T. Wazoo a mis 9/10.

Annotation :

Quand Borges nomme son livre « Fictions » il ne plaisante pas. Peu intéressé par le développement fastidieux et la construction de cathédrales, il se « contente » de nous montrer une sorte de matière brute : des concepts de fictions. Comme si toute élaboration au-delà d’une poignée de page constituait déjà une dilution ou bien une usure de ce qui est à la base une idée pure. Ou bien peut-être que les cathédrales l’intéressent (la bibliothèque de Babel…) mais sous leur forme conceptuelle ; un patron brut à partir duquel d’autres pourraient tout construire ?

Dans tous les cas, l’expérience de lecture est déstabilisante. Tel le Tardis, on peut certainement dire que ce livre est plus grand à l’intérieur qu’il ne parait depuis l’extérieur. Une partie de moi y est encore égarée, à tourner dans un labyrinthe aussi passionnant que laborieux (l’écriture de Borges va à l’essentiel, et les références peuvent perdre ceux qui comme moi ne sont pas érudits). J’ai parfois eu l’impression qu’il était voyant avant d’être écrivain, et que ses écrits étaient une retranscription d’oracles sibyllins mais puissants. Peut-être que ce qui permet – en partie – de rendre les concepts fictionnels sensibles et intelligibles, c’est cette habitude que prend Borges à se faire lui-même protagoniste (enfin, témoin) de beaucoup de ces histoires, comme s’il voyait lui-même la lumière par le plus petit bout de la lorgnette. À d’autres moments au contraire, sa présence dans les fictions tend à rendre la frontière trouble entre le réel et l’imaginaire.

Fictions est pour moi une œuvre de l’esprit, avant toute chose. J’ai le sentiment que je m’y replongerai un jour, et ce que j’y trouverai alors ne sera sans doute pas tout à fait le même livre que la première fois.

PS : souvenir de ma bouche qui s’ouvre en grand en découvrant la « chute » du Quichotte de Pierre Ménard, j’ai pouffé tout seul pendant une bonne demi-heure.

La Fin - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 13
7.1

La Fin - Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, tome 13

The End

Sortie : 2006 (France). Roman

livre de Lemony Snicket

T. Wazoo a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

De cet ultime et mystérieux tome des Orphelins Baudelaire je ne connaissais que le témoignage de ceux qui en avaient tiré une profonde frustration – souvent ceux qui l’ont lu ado j’ai l’impression. Autant dire que je n’en connaissais que le substantifique sel : une fin visiblement en queue de poisson, avec un auteur très peu préoccupé par le désir du lectorat d’avoir des fichues réponses à tant de questions égrainées le long de 13 malheureux tomes. Après avoir appris à connaître le style de Lemony Snicket, je ne suis pas surpris qu’il filoute – et peut-être qu’il est en partie motivé par le plaisir de frustrer, ou plutôt déjouer les attentes – mais je ne m’attendais pas à ce que cette fin sonne si juste. Pourtant on ne peut pas dire que les derniers tomes ne nous avaient pas préparé à lâcher prise, justement, de cette nécessité d’avoir accès à la racine de tous ces secrets.

Et quoi de mieux pour mettre ceci en scène qu’un final Lost-ien en diable, une île paisiblement sectaire sur laquelle toute finit par s’échouer, et on renonce aux secrets par dégoût, overdose d’hypocrisie et d’enjeux de pouvoir. En dire plus serait spoiler, mais il faut retenir que c’était beau, et voilà.

L'Innommable
8.4

L'Innommable (1953)

Sortie : 1953 (France). Roman

livre de Samuel Beckett

T. Wazoo a mis 10/10.

Annotation :

C'est l'histoire d'un Je qui ne veut pas être un moi. Il n'en peut plus de s'incarner, il se maintient à distance raisonnable des personnages qu'il a tenté d'être (et qui gravitent autour de lui, de sa tête s'il en est bien une), dans un silence fait d'une cascade de mots ininterrompue, car il ne peut pas se taire, il doit se taire mais il ne peut pas se taire.

Alors le texte se décompose ainsi, en saccades de phrases qui glissent sur tout, ou alors sur lesquelles tout glisse, ou alors cette plume/voix absorbe tous les objets, tous les concepts, tous les mots et les recrache car rien n'accroche, et si quelque chose pouvait accrocher elle ne voudrait pas que cela advienne, la voix est dans son vide, elle prend cependant par endroits la forme grotesque et hilarante de Mahood, homme tronc bienheureux dans sa jarre, et celle plus inquiétante, non, inquiétée, tronquée et nébuleuse de Worm, qui est une oreille tendue et un œil apeuré, et qui n'est que ça, et une fois que la voix décide de lutter une bonne fois pour toute, pour tuer les voix des autres qui continuent de tourner, de mater et de la pousser à créer, à avoir des idées, à être un moi, à s'infiltrer dans l'énonciation, à mettre du ils/elles dans ce je obstiné, énonciation parasitée, cancéreuse, alors à ce moment là les saccades n'en finissent plus de naître et mourir aussitôt, de tourner sur elles-mêmes, de parler du vide, car parler du vide ça n'est pas rien dire, le dire doit bien passer par une gorge syntaxique, et il faut bien qu'il y ait une place pour l'humour dans ces dires infinitésimaux qui s'affolent en tout sens, non, à un seul endroit, obsessionnel, car tout ce qu'ils ont est de l'énergie à épuiser, enfin, à épuiser, mais est-ce à dire que ce procédé d'écriture est épuisable, est-ce à dire que cette agonie existentielle hors du temps a une fin, le souvenir de son début est incertain, elle lui refuse la mort car alors c'est qu'elle aura vécu et tout vaut mieux que ce qu'ils appellent la vie, et dans ce gris qui pourrait contenir toutes les couleurs, qui est comme de la merde, Beckett agite de la matière sans fin, et quand le point final arrive eh bien

Fragments d'un discours amoureux
8.2

Fragments d'un discours amoureux (1977)

Sortie : 1977 (France). Essai

livre de Roland Barthes

T. Wazoo a mis 8/10.

Annotation :

Très douce découverte que celle de Barthes, que j'imagine aisément excellent professeur, pédagogue exigeant mais clair. Ici il tourne autour de l'amoureux et des différentes formes (figures) dans lesquelles il peut s'incarner. Il y a autant d'angles d'attaques qu'il y a de figures (de chapitres donc), il y en a même plus car pour chaque figure il y a différents temps, différents mouvements. Lire ce livre de manière linéaire peut toutefois s'avérer fastidieux à la longue, car évidemment même si chaque figure a sa forme unique, il y a des mouvements récurrents, et on les reconnait de plus en plus à mesure qu'on progresse dans la lecture. On s'y reconnait aussi, sans doute, pour peu qu'on ait déjà soi-même été un tant soit peu malade d'amour...

Fragments d'un discours amoureux est très juste, dans ce qu'il pointe, et c'est peut-être le compliment qui ferait le plus plaisir à Barthes himself puisqu'il estimait que ces figures avaient une existence du moment qu'il y a un lecteur pour s'y reconnaître. Un livre très agréable à parcourir, en laissant respirer les chapitres ; et un livre qui se propose comme une ouverture également car Barthes prend bien soin d'expliciter toutes ses inspirations et références. Une fois le livre fini je suis allé m'acheter Les souffrances du jeune Werther de Goethe, le forcing de Roland est efficace...

L'Étrange Histoire de Benjamin Button
6.7

L'Étrange Histoire de Benjamin Button (1921)

suivi de : La lie du bonheur

The Curious Case of Benjamin Button

Sortie : 1921 (France). Recueil de nouvelles

livre de F. Scott Fitzgerald

T. Wazoo a mis 7/10.

Annotation :

À la lecture de ce qui est peut-être l’une des plus célèbres nouvelles du Monde, j’ai l’impression que Fitzgerald avait une très bonne idée de ce que serait l’entame du texte ainsi que sa conclusion, les points d’orgue de son concept, ce nouveau-né vieillard et cette fin de vie pouponne. En tout cas ce sont les passages qui m’ont paru les plus solides ; comique grinçant pour le début, et cette fin qui est indubitablement la plus belle partie, d’une manière très difficile à exprimer tant il y a de la tendresse, de la confusion, de la tristesse et en même temps une sorte de souveraine désaffection appropriée pour rapporter l’annulation des sens et de la vie de Button, et enfin comme un petit reste d’ironie presque entièrement dissous dans le liquide matriciel. Le tout porté par le style simple, très direct et spontané de Fitzgerald, donc peu de place pour beaucoup de sophistication ou de détours. Difficile à vrai dire de ne pas éclipser tout le reste en souvenir de cette fin – d’ailleurs je me suis surpris moi-même à en dire autant dans cette annotation, la preuve que Fitzgerald a réussi à me bouleverser, puis me hanter.

À côté de cette fin où chaque mot parait sonner juste, posé là sciemment, le « gros » de la nouvelle m’a semblé bien plus inégal. Pourtant elle est bien brève, ça se finit volontiers en 1h ; mais on dirait que Fitzgerald avait plein de propositions différentes pour décrire chaque nouvel âge de Button. Beaucoup d’idées et de tons s’entrechoquent sans jamais réellement approcher le trouble si juste de la fin, on sourit bien volontiers car le style railleur de Scott est charmant comme à son habitude, mais je me suis pris à trouver quelques-uns de ces paragraphes bien inconséquents, cousus de fil blanc (alors que dans cette espèce de conte tout est bien évidemment « cousu de fil blanc », mais lorsque le ton est juste ça n’a justement plus d’importance). Curieuse expérience donc, et j’en reviens à ma phrase de début : j’ai eu l’impression de lire une histoire sûre de son début, encore plus de sa fin, et qui entreprend plein de petits brouillons tantôt charmants tantôt éculés entre ces deux points. L’essentiel est que j’en garde une émotion qui vibre encore, toute concentrée qu’elle est sur un passage en particulier.

Le Tour d'écrou
7.1

Le Tour d'écrou (1898)

(traduction Monique Nemer)

The Turn of the Screw

Sortie : 1994 (France). Nouvelle

livre de Henry James

T. Wazoo a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Par essence Le Tour d'écrou invite à la liberté d'interprétation. Par sa stupéfiante obstination à ne rapporter aucun fait mais uniquement des expériences, des affects (nous n'avons accès à aucun achoppement de réel, seulement aux effets qui en ont découlé) rendus d'autant plus tortueux par le style ampoulé d'une narratrice à l'humeur pathologiquement changeante ("Je me souviens que tout commença par une succession de hauts et de bas, un jeu de balançoire entre émotions légitimes ou injustifiées"). Je dis que le texte "invite", mais dans Le Tour d'écrou il n'y a nulle invitation qui ne dissimule un piège. J'imagine difficilement qu'on puisse en sortir autrement qu'en contemplant - au travers de notre lecture - notre propre image.

Henry James me semble avoir écrit l'une des plus terribles représentations de l'espace infini qui existe entre les êtres. L'obsession de la narratrice est à la fois oppressante et enivrante, on se laisserait volontiers virevolter au gré des tournures de phrases aussi fleuries et précises qu'elles sont péremptoires. Et le vertige me guette alors que je garde dans un petit coin de l'esprit l'idée qu'il eut suffit d'une brise qui souffle dans une autre direction pour qu'elle (la narratrice) soit aux prises avec une toute autre disposition d'esprit : le récit en aurait été métamorphosé. Tant d'emphase qui tient à un fil, instable. Il y a donc une impossibilité de communier avec autrui et Henry James ne propose ici qu'une seule option pour réduire cette distance entre les personnages : la possession. Celle des "fantômes" n'est pas plus effroyable que celle que la narratrice met en place en voulant sauver ses deux charmants enfants (le charme est une emprise, et cette histoire commence par l'emprise/charme que le propriétaire de Bly exerce sur la narratrice, c'est le constat de cette emprise qui l'a fait choisir parmi d'autres candidates). Et les sauver, c'est avoir accès, profondément, à leur personne envoûtée par des spectres immoraux ; avoir accès à eux, c'est enfin les piéger, redoubler de malice, être plus démoniaques qu'eux - et ce faisant se sentir exaltée par sa mission sacrée qui prend une tournure de croisade meurtrière.

Le Tour d'écrou tisse un système sans issue dans lequel on accède pas au réel ; on ne fait que tourner autour du trou sans fond que trace son ombre, et ce trou fait l'objet de luttes de pouvoir perverses au sein desquelles le savoir est une arme à double tranchant. Terrifiant de vraisemblance.

Le Vieil Homme et la Mer
7.4

Le Vieil Homme et la Mer (1952)

The Old Man and the Sea

Sortie : 1952 (France). Roman

livre de Ernest Hemingway

T. Wazoo a mis 7/10.

Annotation :

Lu d'une traite comme le veut la coutume, et pour sûr j'ai apprécié de ne pas lâcher le livre comme le vieux ne voulait pas lâcher sa prise. Je regrette par contre de ne pas avoir annoté ma lecture tout de suite (à présent ça fait presque 1 mois que je l'ai terminé), car mon texte aurait bénéficié des braises encore chaudes de l'expérience. Là elles se sont refroidies, donc j'ai l'impression de n'avoir plus que des banalités à proférer. Mais je garde le souvenir de cette confusion grandissante (et très naturelle) qui fait se rapprocher l'élocution du narrateur "extérieur" et celle du pêcheur, si bien qu'on vogue au gré de divagations bourrues et joyeuses, on entrevoit ces rencontres presque magiques avec l'océan (le banc de poissons volants, les petites prises avant la grosse)...

Les Souffrances du jeune Werther
7.2

Les Souffrances du jeune Werther (1776)

Die Leiden des jungen Werthers

Sortie : 29 septembre 1774 (Allemagne). Roman

livre de Johann Wolfgang von Goethe

T. Wazoo a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

J'ai lu Werther après avoir dûment digéré les Fragments d'un discours amoureux de Barthes, il en faisait tellement la pub que c'était difficile de résister... C'est certain que, après lecture, notre jeune ami constitue presque un cas clinique parfait d'amoureux maudit à la limite du délire. On suit les petits évènements prémonitoires qui s'égrainent l'air de rien sur le parcours d'un Werther encore pris dans les inépuisables délices poétiques que son regard lui peint (de sa verte région d'abord, puis de sa douce et vive âme sœur). On se doute que tout ce que Werther combat à corps et à cri - par exemple ce verbieux esclandre qu'il inflige à un prétendant jaloux et colérique, incroyable diatribe contre la mauvaise humeur -, il finira par en être victime, son affection (et son affliction) grandissant.

Curieux choc que ce renversement littéraire, lors de l'ultime tournant des aventures de Werther ; des rapports épistolaires passionnés du jeune homme nous passons à un narrateur "éditeur" qui rapporte la suite de l'histoire à la troisième personne, de manière plus sobre (mais pas tant que ça non plus). J'avoue que ça ne m'a pas plu tout de suite, d'autant que ce mystérieux éditeur va si loin dans la description des états d'âme des personnages que l'illusion diégétique est un peu mise à mal. Mais en fin de compte ce qui est écrit prolonge de manière très juste la suite et fin de Werther, je m'y suis fait. D'autant qu'il a été très intéressant de comprendre comment Goethe a fait naître ce personnage et l'a "fusionné" avec un autre que lui-même pour lui donner son destin tragique.

La Vie mode d'emploi
7.9

La Vie mode d'emploi (1978)

Sortie : 1978 (France). Roman

livre de Georges Perec

T. Wazoo a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

9-10

À mesure que je rédige ces petites annotations sur mes lectures, je réalise qu'il m'arrive (pas tout le temps) de singer à moitié le style du livre dont je parle. J'aimerais me mettre un auto-stop direct, car je me sens encore aujourd'hui - environ 1 mois après la fin de ma lecture - ébahi par l'invraisemblable quantité de ce roman et je me refuse à tenter de l'émuler même pour la blague. La plupart du temps, "quantité" dans ma bouche est à entendre péjorativement, comme pendant à "qualité", mais Pérec m'oblige à nuancer.

Il ne s'agit certes pas du nombre de pages, mais de l'invraisemblable tas d'inventions (littéraires, narratives, intellectuelles) dont ce livre est pourvu, sans pour autant se transformer en pur catalogue d'idées originales (quand bien même il s'adonne régulièrement et facétieusement au catalogage rigoureux d'objets). C'est effarant de comprendre petit à petit que cet amoncellement de personnages, de récits, d'œuvres d'arts, de mobilier et de clous tordus en arrive réellement à tracer les contours d'un grand tableau, et que le merveilleux petit texte d'introduction sur les puzzles était bel et bien une note d'intention. Ce livre est comme une gigantesque machine à tiroirs (ou un Tardis, pour ceux qui aiment dire "it's bigger on the inside!"), un objet dont la rigueur formelle obstinée (son chapitrage, son plan, son index, le jusqu'au-boutisme de ses frasques littéraires) pourrait presque faire oublier le vertige et l'émotion qui émane de ces destins tantôt épiques tantôt dérisoires. Et la justesse de sa structure, qui fait aller crescendo le tragique de ses dévoilements à mesure que l'on fait se juxtaposer miraculeusement des pièces de puzzles qu'on aurait pu croire esseulées et anodines.

J'aurais aimé n'écrire que 2 lignes sur ce livre, pour faire bien, mais j'ai pas pu. On aura qu'à dire que je garde ça pour le 10...

T. Wazoo

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