Cover Carnet de Curiosités : Lectures 2024

Liste de

44 livres

créee il y a 4 mois · modifiée il y a 3 jours

La Société ingouvernable
8.5

La Société ingouvernable (2018)

Une généalogie du libéralisme autoritaire

Sortie : 19 octobre 2018 (France). Politique & économie, Culture & société, Essai

livre de Grégoire Chamayou

Nushku a mis 6/10 et le lit actuellement.

Annotation :

Je n'ai pas les outils sociologiques, les instruments politiques et économiques, la mémoire historiographique permettant de juger ce genre de livre : je bois comme du petit lait si tant est que ça semble convainquant et vaguement aligné avec mes idées (pas très solides ni fortement ancrées). Chamayou sait souvent se montrer convainquant. En somme, je suis tel le bonhomme qui n'a pas pensé aux Égyptiens depuis la 6e et qui se retrouve à regarder des reportages sur YouTube : l'esprit perméable, malléable bien malgré lui, ne voyant pas (même sans tenir compte des purs mensonges), des biais, des mensonges par omission, de la bibliographie sélective, des déformations des propos cités malgré les guillemets.

Surtout que Chamayou avance, non pas masqué, mais nous maintenant la tête sous l'eau de son patchwork de citations extirpées de leur contexte, sans réelle contextualisation, nivelées, qu’il s’agisse d’économistes célèbres influents que d’inconnus arrachés à l’oubli de l’Histoire. J’ai parfois pensé à de la mythologie comparé. Le spécialiste , lui, verra sans doute que telle citation est tronquée, tel auteur déformé pile ce qu'il faut pour s’imbriquer, trahit, tel autre classique escamoté l'air de rien, etc. Il faut attendre le dernier tiers du livre pour s'arrêter 5 minutes, expliquer, resituer, expliciter, et, dans un mouvement inverse, devenir par trop présent.


« En réalité cependant, l’une n’a pas évincé l’autre, mais se l’est subordonnée. Subsomption de l’oikonomia à la katallaxia, du gouvernement privé du maître à l’ordre cosmique des marchés. Mais ce faisant, la catallaxie franchit un cap. Elle devient autre chose. Elle s’est muée, pourrait-on dire en adjoignant un autre néologisme à la terminologie hayékienne, en « catallarchie » – nouveau régime de gouvernement à concevoir comme un gouvernement des gouvernants par les marchés. »

Les Petits Oiseaux
6.8

Les Petits Oiseaux (1979)

Erotica II

Sortie : 1979. Recueil de nouvelles

livre de Anaïs Nin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

L'érotisme, les sexes dressés, les cuisses ouvertes des voyeurs, des exhibitionnistes, très doux pourtant : le plaisir convoité, atteint par des contre-allées, et sans cesse repousser le désir accompli, trouvé mais surtout tant de solitudes qui s'effleurent. Le cœur n'est-il pas un chasseur solitaire ? La liberté désirée, recherchée et souvent atteinte. Cependant, effiloché, même pour les récits plus longs, Nin refuse de placer une structure, une cohérence, un but.

« Le châle tenait à peine sur mes seins. En tournant la tête comme il le désirait, le châle glissa en les dévoilant. Il m'interdit de bouger : "j'aimerais pouvoir les peindre", dit-il. »

« Mais ses cheveux n'étaient pas tout. Sa peau était tout aussi érotique. Elle me laissait la caresser pendant des heures, comme un animal, étendue sur le dos, sans bouger, langoureuse… La transparence de sa peau révélait des petits fils bleu turquoise, qui s’entrelaçaient sur tout le corps, et j'avais l’impression de caresser non seulement une peau de satin, mais aussi des veines vivantes, si vivantes que je les sentais palpiter sous la peau. J’aimais m’allonger à ses côtés, pressant mon corps contre ses fesses, et la caresser pour sentir les contractions de ses muscles qui trahissaient son excitation.

Sa peau était sèche, comme le sable du désert. »

« Elle pensait que cela venait peut-être d'avoir découvert qu’il avait appartenu à tant de femmes. Dès la première nuit, elle eut l'impression que ce n'était pas elle qu'il possédait, mais une femme comme des centaines d’autres. Il n'avait manifesté aucune émotion. Lorsqu'il l’avait déshabillée, il lui avait dit : "Oh! comme tu as de grosses hanches. Tu paraissais si mince, je n'aurais jamais imaginé que tu avais de si grosses hanches." »

Barbares
7

Barbares

Barbarians

Sortie : 19 octobre 2023 (France). Science-fiction, Nouvelle

livre de Rich Larson

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Il y a quelque chose de fascinant, de magnétique et même de poétique dans le motif pourtant très répandu de la baleine stellaire flottant dans les voilages des nébuleuses. Même Marvel y a le droit avec la tête d'un Céleste.

J'espérais une approche explorative (ou baleinologique), scientifique. Découvrir une autre échelle de vie, un biome à grande échelle, sa faune (de l’espace), sa flore, son idiosyncrasie ; à la façon des auteurs de l'âge d'or, Simak ou Clarke ou, plus récemment à la Genefort ou à la Baxter (qui a lui aussi des baleines stellaires).

J'attends donc toujours un grand livre d'exploration d'évolution prospective, de xénobiologie, zoo cosmique, ménagerie stellaire, brassant mille types de formes de vie, avec un véritable fond scientifique (La Faune de l'espace m'attire mais me rebute car semble partir dans un délire pseudo-scientifique) et un souffle d'aventure et d'exploration. La Nuit du Faune l'a un peu fait (avec en plus une structure à la Divine Comédie) — Baxter le fait, le faisait, mais enveloppé dans des pages poisseuses de mauvaise littérature...

Il y a bien quelque chose d'organique et de baxtérien donc (les colonies vivant dans les nagevides rapidement évoquées).

Sauf qu'à mon grand dam l'exploration fait long feu : il faut faire feu. Deux tunnels dans le corps et c'est tout, les mercenaires débarquent, il y a des histoires d’argent, ça doit se bastonner, quelques bastos et basta, c’est fini. Je baille d'ennui malgré la barre des 100 pages même pas dépassée. Une atmosphère non de néo-Verne mais de pulp, repris récemment par la saga des Guardiens de la galaxie : des couleurs flashy, du rose, du bleu électrique ; histoires de gentils bandits, de voyous pas si méchants. Airs d'animation française aussi, genre Crisis Jung.

Côté écriture, outre des descriptions pas très claires (rien pigé à l’épisode de la doline ni à la dégaine du caveau) c'est ce ton qui plaît tant aux lecteurs et me déplaît tellement, celui un peu similaire à celle de Tchaikovsky, très malin, plein de réf. de notre époque si évidentes mais qui caressent, plein de putain et de bordel, qui cherche la phrase assassine, punchline définitive sur le sexe, la mort, un brin cynique.

Battling le ténébreux
8

Battling le ténébreux (1928)

Ou La mue périlleuse

Sortie : 21 septembre 1928. Roman

livre de Alexandre Vialatte

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

"On n’est pas sérieux quand on a 17 ans" disait le poète et pourtant si et tant, tant sérieux. (mais c'est bien Laforgue, c'est-à-dire Rimbaud si Rimbaud n'avait pas été Rimbaud, qu'ils citent)

N'y voyons pas une ébauche ou un prototype aux Fruits qui ne viendront que 30 ans plus tard mais comme Angelo était un fantôme indépendant, propre, bien qu’annonciateur du Hussard. La recette est la même, l'automne tristoune, les affiches érotiques qui affriolent, font rêver aux colonies déjà fanées, à la jeunesse qui s'est enfuie juste que, comme pour Angelo et le Hussard, pas le même rythme. Une variation au sens musical du terme. La préface est d'ailleurs ce qui reste le plus touchant du livre.

« Fumant en silence nos premières cigarettes, nous nous inventions des pays et des bonheurs qui n'existent pas… »

Comme Delteil, Nimier ou Limbour chaque phrase, sans grande épate, se savoure comme un grain de poivre que l'on fait rouler sous la langue. Tous à nous parler, peut-être un peu trop longuement, d’amour.

« Il s'était fait dans cette ombre crasseuse, peuplée de gens trop vieux pour lui, une âme orgueilleuse, méchante, sournoise et triste, et quelquefois, dans la cour humide, quand il lui arrivait de se trouver seul à la nuit tombante et qu'aucun jeu ne l'attirait, il pleurait sans savoir pourquoi, de désœuvrement, de lassitude, jusqu'à ce qu'ayant atteint le fond du désespoir, il songeât à perfectionner quelque ingénieux système pour faire tomber la vieille locataire du troisième dans l'escalier ou voler impunément les pruneaux de l'épicerie d'en face, chapelle obscure et merveilleuse où les lampes s'allumaient le soir à la gloire des billes d'agate et des grandes morues sèches qui pendaient dans la vitrine comme des fanions. Alors la soif des entreprises le reprenait avec fureur ; la vie s'ouvrait comme une rue glissante, pleine d'ombres et de prodiges, cette rue qu'il avait vue dans un livre, pavoisée de lanternes vénitiennes sous lesquelles passaient des marchands enturbannés dont le nez en yatagan jetait une grosse virgule d'ombre sur la figure. »

Le Tableau du maître flamand
7.1

Le Tableau du maître flamand (1990)

La tabla de Flandes

Sortie : 1993 (France). Roman

livre de Arturo Pérez-Reverte

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Si j'ai surtout lu des critiques concernant la partie polar, c'est de mon côté le reste qui m'a gêné, ce côté contemporain années 90, Julia fume, boit du café, croise ses ex, etc. ils sont tous beaux, riches, bien habillés, superficiels dans leur fausse élégance italienne et pourtant tous si classiquement cultivés, riches comme par nature — du Sex and the City... non plutôt du film de seconde partie de soirée le dimanche soir sur TF1. Tous les personnages passent tant leur temps à allumer des cigarettes que ça en devient ridicule : à chaque scène j'attendais le moment où ils allaient allumer une clope, toujours pour marquer une révélation, un choc, une répartie et ça ne manquait jamais. Toutes les 5 à 10 pages, on allume une cigarette.
Je marque d'ailleurs mon étonnement d'absence de toute adaptation américaine par Ron Howard ou en mini-série Starz.

La trame historique, qui soit dit en passant est résolue dès la moitié du livre, manque soit de largeur, de profondeur, d'épaisseur ou de finesse. Les quelques rêveries de Julia ne suffisent pas. Ce n'est (malheureusement) pas du Eco. Enfin, fidèle à mon esprit fureteur, tournure flaubertienne friande de descriptions documentaire, j'aurais aimé plus de détails et de précisions sur les techniques de restauration et sur l'époque durant laquelle fût peint le tableau.

Si en SF je devine toujours les tenants et aboutissements très vite, en polar je suis une bille. Malgré cela j'ai pensé plusieurs fois au bon suspect, tout en me disant que c'était trop tiré par les cheveux, trop... DTV de 2003. À raison, car tout ça finit par un vernis freudien lourdingue, factice et plutôt désagréable.
Bref, petite déception.

« Je crois que la question se résume à un problème de point de vue. Ce que nous avons ici, ce sont des niveaux qui se renferment les uns les autres : un tableau où nous voyons un dallage qui est un échiquier, lequel renferme à son tour des personnages. Ces personnages jouent sur un échiquier qui contient des pièces… Et de plus, tout se réfléchit dans ce miroir rond, sur la gauche… Si vous aimez compliquer les choses, je peux ajouter un autre niveau : le nôtre, celui à partir duquel nous contemplons la scène, ou les scènes successives. Et puisque nous sommes partis pour compliquer l’affaire, ajoutons le niveau duquel le peintre nous a imaginés, nous, les spectateurs de son œuvre… »

Café Salé.net Artbook 03
8.3

Café Salé.net Artbook 03

Sortie : 2 juillet 2009 (France). Beau livre

livre de Collectif Café Salé

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Volume 3 des artbooks cfsl. Contrairement au 1er où je reconnaissais les pièces, là je découvre totalement à part peut-être deux-trois vues en couvertures. Les grands noms disparaissent. Les survivants, eux, tels Reuno, Remka, Gaëtan "Gate" Pencréac'h, AcerB, Gax, Grelin et ses nénettes à petites culottes basses, etc. restent égaux à eux-mêmes.

Parmi les nouveaux, une large part me semble faiblarde, datée car engoncée dans l'esthétique de son époque, notamment tout ce qui est cartoon, flat 2D, Flashesque.

J'ai toujours ce regret d'absence de toute éditorialisation : les œuvres des membres, vaguement rangées par typologie, thématiques, accointances stylistiques et baste ! Je divague à mon habitude sur les "simes" (cimes des si) mais il y aurait (avait, tout ça c'est fini) pourtant matière à avoir de véritables petits dossiers, comme des liasses avec le pas-à-pas [car après tout la majorité des ces dessins fût postée comme WIP], présentation par les auteurs, interview sur les techniques, les inspirations. C'était par contre abandonner cette présentation linéaire et aplanie, sans jalousies.

Dans les découvertes (ou les oublis remis à jour) : Brosa ; Paul Chadeisson ; Thimothy Rodriguez ; Yohann Schepacz ; Vincent Levêque ; Miguel Coimbra & Edouard Guiton ; Remi Farjaud, Orkimede ; Marie Ecarlat ; Michel Koch ; Anthony Wolff ; Gaetan Henrioux ; ...

Olimpia
6.4

Olimpia (2010)

Sortie : 2010 (France).

livre de Céline Minard

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Logorrhée brumeuse. Friand d'habitude : resté à la marge. Le rapprochement fera crisser mais : Flaubert. Celui, qui enfiévré, qui possédé par le démon de la liste, écrit Julien l'Hospitalier. Puis la notice explicative, dans un style différent mais tout aussi peu complaisant, bien peu amical, sec, rêche.

« Je t’ai dit de rempierrer le Latran parce qu’il était à peine un peu grand, que les saints dégueulent des niches, il le faut, un peu d’écrasement, il le faut, mais pour les murs, Borro, le gris et l’austère et garde le plan ! Ainsi les imbéciles de sang peuvent-ils voir dans mon palais que le pouvoir est humain, bien plus large et vaste en personne, et que les plafonds pendus là, gonflés d’artifices mythiques et de soleils pourris sont pendus là pour leur tordre le cou. Que Minerve s’abatte sur vos têtes molles, bougres foutus stronzo de nobles ! Double crème de sperme et cloaque, capuccini de pisse sur jus de chiasse !

Vous voulez des miroirs, vous voulez des jeux, des catastrophes, du pain popolo ? Je vous livre des pierres et par tonnes ! Des galeries pleines de flambeaux, des batailles de taureaux dévorés par les chiens, encadrées d’or fumant, vous voulez la guerre, le château, je vous les donne ! Et qu’y crèvent démembrés et rôtis comme cochons les cardinaux que j’ai placés pour mon règne et qui me bouffent le foie ! J’en épargne Azzolini, que je charge de tourner leur broche sur la terrasse et dans la cour, j’en épargne ce fils de pute de mouche qui peut encore servir, qu’il saisisse le manche de l’écuelle et veille à leur bien arroser les cuissots. Je me les ferai servir à Viterbo, sous la pergola, quand le vent de terre aura tourné et m’apportera les effluves de la chair pourrie entassée dans les murs. Quand l’île Tibérine sera close et cousue par des palissades de bois trempées d’alcool, quand elle servira de crevoir, quand elle débordera dans le Tibre et qu’on ramassera les cadavres dans les rues par brouettes, quand on ne les ramassera plus, quand ils tomberont des ponts, quand les vivants seront pareils aux ectoplasmes, quand le pape refusera de manger, de sortir, quand il se serrera dans les rideaux de sa chambre en tremblant, quand il crachera dans mes vases une boue de suie noire, quand il s’enfuira de Rome comme un rat plein de germes, maigre et plat, la trouille au cul, quand assis sur sa chaise il ne trouvera plus rien de ses génitoires amoindris et que personne ne pourra plus dire et répéter, il en a deux et elles pendent bien, quand

Le Débat des dames
7.3

Le Débat des dames (2024)

Le Chevalier aux épines, tome 3

Sortie : 24 janvier 2024. Fantasy

livre de Jean-Philippe Jaworski

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Tome linéaire délaissant la mosaïque 1er. Fin de l’histoire de Vaumacel MAIS grande ouverture vers l’histoire plus large du VR.

Bon, à la longue il y est des choses qui m’agacent chez le bon Jean-Phi. À commencer par son obsession pour les trajets à pied, à cheval, à travers bois qui finissent par toutes se ressembler et n'être que du temps long systématique pour combler en attendant le prochain nœud narratif — comme s'il ne fallait être trop généreux. Aucun souci avec les descriptions mais autant étirer les combats — la fuite interminable de V…. ! Ses délices d'écriture sont mes ennuis de lecteur.
Je dois avouer que tout ce qui touche à l'Ouromagne et ses habitants me fait bailler : on a déjà eu 6 bouquins sur les barbares bourrins et crasseux. Je l'aime MALGRÉ ses combats.
Pis, les persos féminins déjà peu présents sont toujours néfastes : sorcières, mégères aux rictus, zombies. C'est de la fantasy, il pouvait tout à fait imaginer des femmes chevalier elfe, guérisseuse, poétesse (comme Pizan), sans sacrifier à son désir d'hommage historique.

Jaworski, mais ne nous en étonneront pas, ne referme par les rinceaux ouverts et laisse trop de promesses en suspens. La suite dans plusieurs années après LGJ...
Ce fût donc le plaisir de retrouver le VR avec la frustration de le retrouver ainsi éclaté en macédoine : un peu de Vaumacel, mais aussi un peu de Bene comme un cadeau au lecteur (autant s'en passer et ne le voir qu'en ombre au fond à mon sens), de Clarissima, d'autres anciens, de nouveaux lieux et personnages à peine effleurés. Cet art délicat de la composition composite toujours par son éclatement rajoute de la distance. Surtout qu'avec le temps son écriture se fait en effet de plus cimentée, maçonnée, rien ne dépasse, rien ne branle, sans prise, finalement pour le lecteur.

Dur de ne pas se demander s'il n'y a pas derrière des magouilles des ME à quémander Benevuto ou 3romans pleins. C'est dingue à quel point ses romans depuis Même pas mort ne s'impriment plus dans ma mémoire. Je les savoure pourtant phrase à phrase. Chaque nom propre est une redécouverte et le "world building" à petites touches, si subtil, ne se construit pas dans mon esprit. Il reste sans doute trop ton sur ton : Grande guerre/grand magicien (qui peut revenir.) Peut-être comme ces restaurants chics, aux plats raffinés mais dont on se souvient surtout du cadre plus que de la nourriture même.

Bleu Bacon

Bleu Bacon (2024)

Sortie : 10 janvier 2024. Récit, Peinture & sculpture

livre de Yannick Haenel

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Avec cette collection il faut accepter la part du dispositif gadget, mise en scène quelque peu artificielle (le conservateur n'est jamais loin) de la nuit, de l'auteur — Slimani faisait des ronds de jambes timides, Salvayre sa boomeuse, Haenel lui a mal à la tête, s'évanouit, sursaute et s’enfuit devant les œuvres, pire que Dante aux Enfers ! -- et le surgissement artificiel de l'artiste dans cet apprêt. Une machinerie tout compte fait pas si fertile que ça. Des textes bien éphémères.
La presse est étonnement dithyrambique — déjà elle en parle beaucoup. L'une allant jusqu'à vanter la précision de son style quand ce style est justement pour moi une jungle non débroussaillée où poussent pêle-mêle les mauvaises herbes, sans travail de relecture ou d'édition, sécateur en main. Haenel est toujours sur le fil de la faute syntaxique, du trop-plein poussif car il y a bien en effet dans son écriture quelque chose d'emphatique qui cherche la phrase à la Hugo et quelque chose de précieux, d'un raffinement dans la virgule et malgré jamais à pleine puissance des possibilités d'un tel funambulisme, quand l'équilibre se reprend au tour dernier moment.
J’ai pourtant, je crois, une sensibilité (et partant le reste, un vocabulaire, une syntaxe, des appétences) très proche de lui. Je le lis comme un miroir fêlé.

« J’avais soif de couleurs, de lumières – soif de peinture. »

Ai-je pour autant appris des choses factuelles sur Bacon ? pas vraiment. Ai-je sinon appris à mieux voir ou revoir Bacon ? Je ne crois pas. Des platitudes. « Bacon est un sorcier ». Au moins je partage avec Yannick cette peinture vue comme joie et manière de se dessiller.

« Je me tiens dans l’intervalle enchanté entre peinture et littérature. C’est là que je respire le mieux. Peu importe que j’éprouve de l’angoisse ou de la joie, quelque chose de plus vaste, de plus calme, de plus violent m’emporte : la nuit et le jour se confondent, et dans l’intensité la lumière ruisselle toujours. Les mots et les couleurs se cherchent, se croisent, s’entrelacent, s’ajustent : en écrivant, je me jette à l’eau. C’est un lac inconnu qui s’ouvre sous mes doigts ; et dans ce vide étincelant, je me baigne. C’est ma vraie vie. »

« Et vous, qu’est-ce qui vous fait du bien ? Qu’est-ce qui comble votre soif et nourrit votre désir ? J’attends tout de la peinture, comme j’attends tout de la littérature et de l’amour. Je veux qu’elle me comble – qu’elle me vide et me remplisse, qu’elle réponde aux abîmes qui s’ouvrent en moi.

The Art of Journey
8.8

The Art of Journey

Sortie : septembre 2012 (France). Beau livre, Jeu vidéo

livre de Matthew Nava et Chris Melissinos

Nushku a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Enfin ! mais en scans malheureusement… La version papier reliée, format italien, ce si bel objet étant en effet épuisé depuis belle lurette tandis que les versions d'occase se vendent (enfin j’en doute) à des prix farfelus.

Comme toujours on pourrait regretter un travail d'éditorialisation plus poussé, même si Nava prend la peine de commenter chaque image. D’ailleurs, en réalité cet Art of journey tient d’avantage des carnets de Nava himself, le reste de l'équipe dont le fameux Jenova Chen (Alors si Abzu était sans grand intérêt, Sky encore plus…) n'est présent que par reflets, échos plus ou moins anonymes.

Son style est pile dans les normes du concept art de jeux vidéo depuis 20 ans mais possède un étrange équilibre de flou et de bords coupants, qui siéent bien à l’atmosphère éthéré et onirique du jeu, pour faire un parallèle d’actualité, la même que les reflets des sables opposés aux bords nets des vaisseaux du Dune de Villeneuve. Ce mélange faisant que parfois il est impossible de dire s'il s'agit d'un artwork ou d'un screen issu du jeu tant en fait il s’est bâti sur le travail de Nava. Par exemple, le moteur ne gérant pas les ombres, elles sont directement pensées et peintes. Va et vient en chiasme indétricotable… Les quelques premières esquisses surprenantes tant elles sont éloignées du résultat final et évoquent, déjà, The Pathless. Travail de soustraction !

Nava est loquace et surtout ne camoufle pas les tentatives abandonnées ou les idées remaniées. Cet artbook montre donc bien que Journey, son histoire, n'est pas une sorte de poème éthéré sorti du néant pur, œuvre d'art existant dans le vide, mais a été co-construit avec les autres et les retours des playtests.

[j'aime bien les essais de baleines de vêtement qui intègrent des éléments architecturaux, sorte de variation des Colosses.]

[encore plus les palettes réduites à 2, 3 puis quelques dégradés pour chaque level.]

[regarder 
https://www.youtube.com/watch?v=RoHrwAacTwo]

Il ne parle pas assez, en fait jamais l'inspiration clairement orientalisante pourtant si prégnante.

[// le même plaisir des dessins architecturaux de Delacroix, Denis ou Vinci.]

Sweet Harmony
6.6

Sweet Harmony

Sweet Harmony

Sortie : 18 janvier 2024 (France). Nouvelle, Science-fiction

livre de Catherine Webb (Claire North)

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Peut-on juger la qualité d'un texte à l'aune du caractère automatique qu'une critique susciterait ?
Oui Black Mirror, la société, l'injonction à la perfection, le culte de la beauté et de l’hygiénisme, les risques technologiques, etc. toussa. Ok. Cette nouvelle m'a paru évidente, filant droit sur les rails de l'anticipation. L’alternance des chapitres ne venant que brouiller le récit plutôt que l’enrichir ou l'épaissir. Classique spirale infernale, vive descente aux Enfers (Nosedive).Les nanos rêvent-ils de microbes électriques ? Marusek allait un peu plus loin dans la biohorreur. Et donc SH m’a paru ennuyeuse dans son évidence facile et en fait je crois bien déjà périmée. D’ailleurs, pour reprendre une blague sur Breaking Bad qui ne durerait qu'un seul épisode après avoir présenté sa carte verte de Sécu, en France, tout cela serait payé par la Sécu.


« Voilà le jugement, le jugement qu’elle a tant attendu, la grande goulée de sagesse à trois balles pour biscuits chinois qui ne signifie absolument rien dans le monde réel, qui n’a jamais au grand jamais quitté cette merde de Bracknell, qui considère un voyage à Kingston comme le summum de l’aventure. »

« Enfin, quand elles réaliseront qu’elles peuvent simplement atténuer le bruit de fond, désactiver les brins de protéines, les assemblages dansants d’acides aminés et de globules de matière qui alimentent leurs hôtes, elles rêveront elles-mêmes.
Elles rêveront de matière qui n’a besoin d’aucun nom, et de sens qui n’a sur lui aucun poids plus ou moins lourd que le simple acte de voir.
Elles rêveront de la couleur rouge, qui ne représentera pas une mise en garde, le sang, la peur ni la mort, mais sera tout simplement un cramoisi extraordinaire, une pensée qui se noie.
Elles rêveront du parfum de la mer, et n’y trouveront aucune notion de tempête ni de terreur, du rugissement de l’océan sur une plage qui s’effrite ; elles n’y verront que de l’eau, infinie.
Elles rêveront de langage et, avec ce langage, s’exprimeront ; elles exprimeront l’infini de leur création, l’absence de bornes de l’imagination et de la pensée, et dans leur langage il n’y aura pas de prisons, seulement une vie sans fin. »

Zelda, le jardin et le monde
7.8

Zelda, le jardin et le monde (2021)

Sortie : 3 décembre 2021. Essai, Jeu vidéo

livre de Victor Moisan et Alex Chauvel

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Je redoutais de retrouver ce qui m'agace dans d’autres livres JV : références HS, celles que l'on découvre jeune adulte lorsqu'on commence à sortir de son cocon tant geek que scolaire, mal digérées et recrachées sans maîtrise ni pertinence (moi aussi j'ai plaqué le Sublime sur tout ce que je voyais) pour recouvrir l'objet désiré dans une recherche de légitimité puérile. Cette approche me semble caduque : les games studies développent déjà leurs propres outils.

{Suprise : le livre se resserre sur OoT. Minish Cap cité une fois alors qu'il entre pleinement dans cette idée de miniaturisation. Les pages noires dédiées aux donjons se limitent à OoT. Mark Brown restera le plus complet sur le sujet.}

Ouf ! Moissan nous épargne cette panoplie caduque, le chapitre fastidieux sur le monomythe. [3 pages avant son apparition pour 1 ligne ; 168 avant Foucault.] Corollaire, pas de long chapitre détricotant l'imaginaire chronologie, si peu intéressante à mon sens au-delà du plaisir de retrouver les ruines des jeux précédents. Il ose même un "farfelu" qui doit faire crisser les fans. Même le Sublime n'est qu'ici une parenthèse. Les références nourrissent donc le propos plutôt que d'être une sorte de plaquage passe-partout, sans identité, utilisable à tout jeu, camouflage sur les propos. Macé, il faut aller le chercher.

Néanmoins, équilibre bizarre entre expliciter des évidences sur le JV et passer sans définir des concepts récents encore à préciser agrémentés de "fameux" (le flow, etc.).À qui s'adresse le livre, tout compte fait ? Moissan semble ne jamais parvenir à décider.

« Par conséquent, le monde tout entier devient une énigme géante. »

Puis arrivé à mi-lecture le livre reboucle, se mue en bavardage (avec la double part de spontanéité et de vacuité que porte ce terme) avec dans un plan des plus confus l’impression que Moissan finit par tourner en rond, ne sachant plus trop où ou comment pousser la réflexion quelques degrés plus loin. Ce serait sans doute un autre livre mais l’auteur tisse peu de parallèles, entre Zelda et entre jeux. OoT paraît alors exister seul dans le vide, singularité sans parents ni descendance.

Enfin, manque de quelques annexes pour grappiller, déjà une vraie biblio, un cahier de photos, les plans des donjons, un petit glossaire illustré des termes, concepts, objets, techniques du jardin japonais quand je voudrai les retrouver dans quelques années.

Titus n'aimait pas Bérénice
6.6

Titus n'aimait pas Bérénice (2015)

Sortie : 20 août 2015.

livre de Nathalie Azoulai

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

[Je n'ai pas vu la pièce avec Huppert. Pur hasard des emprunts.]

Ouf ! Ce n'est pas un livre à la Bayard. Ouf, ce n'est pas non plus une histoire de chagrin (de ceux qui vous font gerber sec, certes). Les premières pages laissent présager du pire mais la suite se rattrape car c'est en fait la vie minuscule de Racine, vie particule d'un corpuscule libre se baladant à l'étroit dans son orbite, dans sa molécule. Azoulai en rajoute sans doute car tout y est question de température : chauffer la langue à blanc, se refroidir à chagrin dans une époque trop inflammable mais offre quelque chose de terriblement délicat par petites touches de métaphores imagées — surpris de voir des critiques reprocher la simplicité du style alors qu'il y a justement des airs de Verdériens. J'ai lu de mon côté avec délectation. Bref, un truc plus fort et plus poignant car moins empesé qu'un Quignard habitué à ces terrains historiques.

« il sent percer dans sa chair les arêtes d’un marbre qui pousse. »

Je suis pourtant si peu théâtre. Tant d'adultes sont allergiques à tout un pan de littérature à cause de l'école, souvent du XIXe et ses dites longues descriptions. Pour ma part, c'est le théâtre.

« À force, il dompte le courant, atteint le lit du texte. »

« Il lit, relit, module différemment. Les phrases sont simples, sans galanterie, mais elles tonnent, font gronder des orages dans sa tête, des ciels zébrés par la violence des hommes et des dieux. Sans parler de la rage des femmes. »

« Marie se réjouit que Jean enfreigne ainsi la règle qui les interdit. Mais Jean ne résiste pas à ce souffle heurté, cette discontinuité qui déjoue les facilités mélodiques. C’est ce qu’il aime dans la langue française et que les autres n’ont pas, ce lit de voyelles rocailleuses que les hiatus révèlent dans les vers comme l’été dans le fond des rivières. »

« Ainsi prend-il conscience que l’existence peut se vivre à deux niveaux : à la surface ou en profondeur. Il suffit d’un succès, d’une vanité. On peut choisir de ne se situer que dans les couches superficielles qui certes n’empêchent ni la souffrance ni l’échec mais qui protègent contre le pire. Il a du mal à nommer ce pire avec précision mais il le met dans sa pièce, l’y jette, selon les jours, comme une masse ou un fluide, se dit qu’avant lui, personne ne l’a mis de cette façon. »

Pour en finir avec la nature morte

Pour en finir avec la nature morte (2020)

Sortie : 19 novembre 2020. Essai

livre de Laurence Bertrand Dorléac

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Dorleac fût la commissaire de l'expo Les Choses. Expo mi-figue mi-raisin, trop courte et engoncée dans le parcours imposé du hall Napoléon.

Le titre est propice au quiproquo car il ne s'agit nullement d'assassiner ce genre mais tout à l'inverse d'en finir avec ce terme tant elle a en fait à voir avec la vie. Sauf que ce socle ne fonctionne que pour la France : Still Life ; Stilleben, Still leven... il manque le gros chapitre sémantique revenant sur ces termes : la mort du mot français, tardif, paraît l'exception. Dorleac promet de renverser la table, d’ouvrir grandes les cloisons pour des choses souvent assez banales, déjà admises. Mais beau jeu de remettre, même si rapidement, l’art Mésopotamien et égyptien en lumière.

L'approche est philosophique, consolidée par une horde, plutôt une armure, un filet de sécurité, de penseur, empêcher tout mouvement. Très dense parfois contre son propre bien, comme par obligation formelle avec mille notes. Dorléac tient à rester collée aux œuvres mais aussi à partir haut avec ses châteaux dans les airs, et de sa troisième main à saisir le faisceaux des penseurs, philosophes, critiques. On y trouve ainsi des noms très à la mode Morizot Coccia Descola…

« le capitalisme est nomade, les goûts aussi. »

Contrairement aux spécialistes, Dorleac se situe en aval : regardant le fleuve descendre, son regard est sans cesse rattrapé par le barrage de l'art plus tardif. Si elle tend à tomber dans la liste d’œuvres peu pertinentes, elle devient plus loquace, verbeuse dès qu'il s'agit de parler de l'art des XX-XXIe siècles. Alors que l’on s'attend à la laisse Âge d'or Hollandais Chardin Velasquez, l’autrice revient comme un ressort à l’AC, s'étale, dérive vers des choses plus larges, alambiquées, avis tranchés prenant le tour et le ton de cette Hda transversale, renouvelée et revisitée par l’écologie, et autres bouquins du moment qui ne me convainquent qu'à moitié car ressemblant plus à des discussions, des procès tendant vers l’animisme (cette promptitude a sauter sur les théories populaires et attrayantes mais si peu soutenues par les scientifiques, sur les arbres par exemple), finissant en bavardage sur la société l'avenir et la leçon de morale.

[Rassuré de voir que dans sa longue et cruelle recension, Vaisse revient sur ces mêmes défauts, dont les listes de noms et l’épate des notes même si je ne crois pas qu’il faille parler des Romantiques mais bien l’ère du temps, le secret des arbres et tutti quantti.)

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2
6.9

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2 (2014)

The Southern Reach Trilogy - 2

Authority

Sortie : octobre 2017 (France). Roman

livre de Jeff VanderMeer

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Ann' fût une petite claque, lecture d'un souffle d’un après-midi chaud, d'une étrange inquiétude diffuse, soyeuse, comme je n'en avais pas eu depuis le collège et le fantastique XIXe, admettons-le 2-3 nouvelles de King au lycée — pas tant Lovecraft que ça à mon sens.

Alors après le RDV manqué d'Astronautes morts revenons aux bases, au Rempart Sud quand bien même Annihilation n'avait nul besoin de suite.

Une administration poussive, abusive, incompétente, lâchons le mot tout à la fois évident et réducteur : kafkaesque. Il y a pourtant une certaine logique et cohérence d’ainsi prolonger la Zone X. Alléchant comme l’ambiance du jeu… Control.

3 romans coup sur coup avec des complots dans les complots…

« Hors du Rempart Sud, combien d’incantations abstraites et invisibles régissaient-elles le monde ? »

Autorité réitère-t-il ? Oui et non, surtout non. Lent et ratiocineur mais un tel sujet l'exigeait. Par contre, inerte, poussif, répétitif.

Syntaxe désaxée, phrases boiteuses qui heurtent et doivent se relire ; formules étranges (est-ce une métaphore ? pas forcément), adjectifs incongrus, bestiaire à la fois familier et étrange... totémique ? En fait c’est déjà le style elliptique d'Astronautes, en fermentation, prêt à exploser dans toute sa singularité héraldique néo-exotique post-moderne abstraite (et incompréhensible) ; ce style qui fait obstacle, pour ne pas dire... rempart à l'étrangeté promise, dite plus que montrée. (Doutons de la faute du traducteur : ses autres sont tout à fait normales. Il y a bien quelques jeux de mots traduits mots à mots que l'on devine sous le français,)
Ça me fait alors le même effet que Dupieux ou même Lynch, ou en fait les Gondry tardif tout de suite dans le farfelu sans montée ni franges comme Annihilation (Eternal Sunshine) savait la distiller et la faire monter en puissance. Control a des daddy issues, problèmes de maman, de papy, comme dans AM d'ailleurs où tout un pan du multivers se résumait à une histoire de fils à papa.

« Les autres l’entouraient, telles des constellations, puis il y avait de préoccupantes phrases et locutions en une riche patine de biffures, recouvrements de peinture et autres marquages, comme si quelqu’un avait créé un compost de mots. Il y avait aussi une frontière : un anneau de flammes rouges qui se transformait aux extrémités en monstre bicéphale, avec la Zone X dans son ventre. »

Les Petites Terres

Les Petites Terres (2008)

Bribes, fragments, parcelles

Sortie : février 2008. Récit, Autobiographie & mémoires

livre de Michèle Desbordes

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Retrouver Desbordes et sa musique très verdierienne. Faulkner fut séminal, mais son écriture propose un aspect plus, tendre n’est pas le mot, trop piégeux, quelque chose de disons plus arrondi ; allant encore plus par la bande. Brumeux, lire comme les yeux embués. Chez l’autrice tout est affaire d’absence et parfois histoires d'attentes. Pas tendre donc car la cruauté de la perte n’est pas oblitérée. En quelque sorte la contre-face de Desbiolles (le des- racine commune m'attache à les rapprocher bien malgré elles, analogie comparative !) Livre posthume déchirant.

« Bien certaine de m'y connaître en frontières, toutes sortes de frontières, celles du dehors, celles du dedans et partout ailleurs où il peut s'en trouver, et puis il me paraissait qu’écrire c’était ça, errer autour de ces lignes invisibles, ces endroits infiniment ténus où chaque instant, chaque jour, des milliers de fois, la vie jouxte la mort, une pluie, un ciel, un silence soudain, et alors on se trouve là à l’extrême lisière, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et c’est à peine si ça fait une différence.»

« (et sans doute aimerais-je, lecteur, produire de temps à autre des romans légers, des romans impertinents et pleins d'humour comme beaucoup savent si bien faire sans doute aimerais-je parfois donner libre cours à cette part de moi que vous ignorez, que vous ne soupçonnez même pas et par quoi, sauf à prendre comme certains un nom différent pour chaque autre moi qui écrit, si je lui laissais libre cours vous ne me reconnaîtriez plus et alors que deviendrais-je), et donc bien évidemment c'est l’autre qui prend toute la place, nourrie, pétrie de tragique depuis le biberon, osant le tragique avec toute l'innocence et l'audace qu’il y faut, et la précaution d'estomper, gommer les angles, les aspérités, bref rendre la chose tolérable et même non dépourvue de douceur, de sérénité, un peu comme si on parlait de très loin, j'aime les lointains, les choses qui s’entrevoient dans la douceur comme derrière les tulles les profondeurs d’une scène, ou dans la nuit ces maisons où brillent les fenêtres et se devinent derrière les rideaux des vies où tout semble tranquillement désirable, tranquillement, parfaitement heureux. »

Les Derniers Jours des fauves
7.4

Les Derniers Jours des fauves (2022)

Sortie : 3 février 2022. Roman

livre de Jérôme Leroy

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

J'aimerais être lecteur de polar. Changer chaque jour de climat et de paysage mais dans le tout confort d’un train. Un jour, le sud des USA avec du hard-boiled à l’ancienne, du thriller nordique, revenir aux bases anglo-saxonnes en tweed et, parfois quelques pas de côté dans le techno-thriller voire le cyberpunk. Les étagères tapissées de dos noirs.

À la critique de vulgarité et de graveleux de Kaprièlan, l’auteur répond sur FB qu’elle n’aurait lu que les 3 premières lignes. Déjà, doutons-en mais quand bien même, au-delà de la mauvaise fois fière à bras, la mélodie est bien la même tout du long. Le narrateur a de la gouaille, le narrateur s'immisce, a de bonnes saillies ; le narrateur est parfois inutilement vulgaire, le narrateur n'est pas une narratrice, il est même certainement blanc, cisgenre, âgé ; il se reconnaît aux commentaires constants sur les corps des femmes. Comme avec Magnan plus bas il se les ferait bien toutes, regardez leurs aisselles poilues qui suent. On sent le narrateur fier de ces saillies.

« Rigodon pour un ministre défunt»

Comme Comme un empire.... le nez colle au cul de l'actualité, la dyschronie est quasi simultanée en superposition transparente. C'est donc le risque de très mal vieillir car au-delà de ce petit jeu des ressemblances avec les politicards (caricaturés) actuels que reste-t-il vraiment ? Ni suspense implacable, il faut en effet près de 200 pages de flashbacks et d’exposition ("Ça, c’est pour l’arrière-plan.") avant que ne se lance l’intrigue ni grandes qualités littéraires, inoffensif. Histoires de politicards outrés mais aussi et surtout de leurs hommes de mains, les jason bourne à la française, les Jean Burnés avec tous leur passé militaire, les planques, la torture, ce fantasme de bonhomme qui ne me fait pas fantasmer — je décroche, je ne crois pas au casus belli. 

[Il y a ainsi des auteurs avec qui ça ne colle pas. On s’en doute à la lecture, confirmé par 2-3 interview, le survol de leurs réseaux, pas tant les publications que les énergumènes qu’elles amènent en commentaires. Le type nous est lointain, autre.]

Les Enfants de Dune
7.6

Les Enfants de Dune (1976)

Le Cycle de Dune, tome 3

The Children of Dune

Sortie : 1978 (France). Roman, Science-fiction

livre de Frank Herbert

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Dune.Messie fonctionnaient comme un diptyque, l'envers & le revers. Les Enfants serait la dernière partie d'un triptyque... Rebattre des cartes à l'image de cette planète qui se transforme peu à peu pour devenir la même chose différente.
Herbert pousse son écriture à son paroxysme et en atteint ses limites, voire sa caricature, dépouillée de ses qualités. Dense, compressée, étirée, elliptique, vaseuse souvent il faut bien l'admettre, chiche en descriptions (worldbuilding qui s'efface sous ses propres pas, lançant des mots arabes ou scientifiques sans contexte, jamais utilisés avant et rarement réutilisés par la suit). Ressassement des longs mêmes monologues sur le Temps (des "dark and convoluted stuff" disait une critique américaine à sa sortie). Remâche avec les mêmes personnages qui complotent des complots dans les complots, machinations à tiroirs tandis que comme dans les précédents Herbert se coupe lui-même sous le pied tout suspense : son monde est en transparence tel un Observateur en 4D. Car Herbert écrit ses personnages comme Togashi ou Ohba, à répéter sans cesse à quel point ils sont intelligents, anciens, à quel point ils sont subtils, jouant double et triple jeu, échafaudant plans/contre-plans — pour des sous-entendus explicites, des manœuvres grossières "est-ce que notre ennemi nous prépare un piège ? peut-être, peut-être pas !" "ah en fait si !" Puis se rappelant qu’il s’agit d’un roman, dans les 100 dernière page précipite son récit. Qu'importe le manque d'action, il y a d'ailleurs souvent en SF des tunnels d'action ennuyeux, mais le manque de diversité sans pour autant avoir l'aspect de huis-clos du Messie est plus dommageable : où sont les nouveaux personnages ? même ceux présents auparavant ? La Guilde, Le CHOM, le Lansraad, pourtant carburants à machinations, continuent ici de ne pas se voir et d'à peine se dessiner. Tandis que le retour du Baron est nanardesque au possible.

Je me demande quels passages étaient déjà écrit à l’époque de Dune. Probablement ceux sur Liet Kynes qui revient comme un cheveu dans la soupe.

« Le voilà, ton satané univers ! se dit-il. Vu de près, c’était un lieu de turbulence, pareil au sable qui le cernait, un lieu de transformation, l’unique recouvrant l’unique. Vu de loin, seules les grandes structures apparaissaient, et elles incitaient à croire aux absolus, ces structures. »

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Sortie : 16 mai 2018 (France). Jeunesse

livre de Loïc Mangin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

En fait une collection d'articles publiés dans Pour la science. Vulga oblige, c'est très court, jamais plus de 3 pages et une phrase d'ouverture creuse en dernier. Ces articles demeurent donc superficiels, légers, frustrants avec une bibliographie très limitée.

Il y a les articles, les plus évidents, où la science permet de mieux comprendre une œuvre — l'erreur de Vinci sur des formes géométriques, quel jour a été peint tel tableau de Van Gogh grâce à la hauteur de la Lune, quel fruit est-ce chez Van Eyck ? l'absence du reflet de la Lune dans tel tableau de Munch est-elle une erreur ? Ceux plus rares où l'art permet d'éclairer les sciences et ceux où l'artiste n'est qu'un fragile prétexte à un petit exposé scientifique. Les techniques d'imagerie permettant de savoir ce que l'artiste avait peint en premier lieu et donc de mieux comprendre la construction ou la signification des œuvre (voire de retrouver un tableau évoqué dans les papiers mais pensé perdu) ne sont pas du tout abordées alors qu'il y a là quelque chose de magique.

Il n'est pas évoqué mais Franck Leibovici s'amuse aussi par le jeu des ciels étoilés, de la hauteur du soleils, la longueur des ombres et de ... Google Earth, à calculer à quelle heure on été peint de célèbres tableaux.


« Pour Waddington, le paysage épigénétique n'était qu'une image approximative que l'on ne pouvait interpréter de façon rigoureuse. Ce n'est plus le cas. Plusieurs équipes ont su déterminer expérimentalement le paysage épigénétique d’une cellule (adipocyte, cellule musculaire...) et son évolution. La dynamique révélée correspond bien aux animations de P. Harrison. La métaphore n’en est plus tout à fait une. »

Dans le visible

Dans le visible (2023)

Sortie : 9 novembre 2023. Poésie

livre de Christophe Langlois

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Je relis mon annotation d’un précédent, en 2019 et oui rien n’émerge, tout ce flox, flut pour quoi ? Si peu.

« orpailleurs du flot confus de la nuit »

Encore une fois je me demande comment fonctionne le comité de publication poésie chez Gallimard. Déjà habitué, ok boomer, poésie, veston, ah l'Italie, l’exotisme en Turquie, les vieux artistes. Des voyages, de riches bobos surannés, couleur locale, références idoines, folklore. Poèmes de touriste qui râle sur les autres, les touristes – eux ah !, moi différent (me rappelle quelqu’un, on se filme mais on critique les zotr'). Je lis, j'ai lu, j'oublie.
Parle aussi du COVID et pourtant rien, neuf, marquant, original, sans les titres on ne saurait.

tablettes :

« Fort probable que le premier poème
vin blé poisson mouton — fut une liste dressée
par le comptable du Palais
Sans doute enivré du flux doré des choses
il voulait savoir à quoi il était bon
Aussi anxieux du coup de bâton
que de son renvoi dans le monde muet
il stria de marques de monnaie sa peau
fixa le juste prix énumérant de doigts humides
le monde immémorial secouru par sa jeune langue
qui devint la chose même dont on se paie
Aussitôt l’éloquence dépassée
Babel armées généalogies tout fut compté
l’Univers séché dans l’argile
décrit dans la matière de Son déluge
et calcul fut établi
du prodigieux salaire de Qui créa »

Adrienne Mesurat
7.8

Adrienne Mesurat (1927)

Sortie : 1927 (France). Roman

livre de Julien Green

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Cette teinte étrange qui semble toujours faite de couleurs mortes. »

Méchante loupe qu'est Green à ainsi scruter l'âme et le cœur d'Adrienne, pas à pas, veine à veine. Fac-similé d'Emma Bovary ? Flaubert décrivait tout l’écosystème pourrissant de sa Yonville quand Green colle à la peau de son Adrienne. Il y a donc plutôt du Bernanos et du Gadenne du Vent noir dans tout ça, dans cette ratiocination sans fin, étouffée, étouffante.

La psychanalyse m'agace et surtout m'ennuie, grille autoritaire (fausse), tyrannique, prescriptive et descriptive qu'il faudrait appliquer partout, surtout et qui souvent précède, balayant tout. Comble car pseudo-science non-sourcée figée dans la parole sainte de ses courants. Après la préface, on ne sait si Greene y souscrit malgré lui, admettant en fin de compte sa défaite. Comme dans un roman XIXe, ça passe son temps à s'évanouir, de maladies sans chair ni fluides, d'effroi ou de pâmoison. Ces corps sont éthérés, ces tourments malgré leur profondeur sans nerf, purement intellectuels.


« Toutes les maisons avaient l'air si anciennes et si tranquilles qu'elle ne put s'empêcher de les regarder avec une espèce de curiosité craintive. Elle se retourna et vit le beffroi de l'église dont les pierres avaient pris par endroits la couleur indécise de l'eau et où la mousse traçait des lignes sombres qui semblaient des algues. Sous le ciel pluvieux, à cette heure silencieuse où tout paraissait frappé d'une immobilité qui ne devait jamais cesser, la jeune fille eut confusément l'impression que ce vieux village l'attendait et qu'il l'avait attirée à lui par de secrets et puissants sortilèges. »

« Il y a quelque chose de terrible dans ces existences de province où rien ne paraît changer, où tout conserve le même aspect, quelles que soient les profondes modifications de l'âme. Rien ne s'aperçoit au-dehors de l'angoisse, de l'espoir et de l'amour, et le cœur bat mystérieusement jusqu'à la mort sans qu'on ait osé une fois cueillir les géraniums le vendredi au lieu du samedi ou faire le tour de la ville à onze heures du matin plutôt qu'à cinq heures du soir. »

« Il faut vivre à l'écart de Paris pour comprendre la puissance de l'habitude. Ce n'est pas trop de dire qu'Adrienne avait pris le pli de sa souffrance d'autant plus aisément que tout autour portait la marque d'une vie réglée par la coutume et où l'imprévu n'avait pas de place. »

Demain, les animaux du Futur
8.1

Demain, les animaux du Futur (2015)

Sortie : 20 mai 2015. Essai, Sciences

livre de Jean-Sébastien Steyer

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

/Biologie spéculative/

J.-S. Steyer, paléontologue du CNRS et du Museum, s'est spécialisé dans la vulgarisation entretissée à la SF et à la pop-culture comme Lehoucq peut le faire en astrophysique.

Le rendu des animaux de Marc Boulay sous Zbrush tient la route (sauf les poils), les paysages beaucoup moins. Ils ont en effet de cette 3D des années 90 semblable d'ailleurs à celle des space artists vieillissants : modélisation rudimentaire, textures déformées et bumpy sur sols vides, lens-flare à gogo. [La mise en page, elle, est un peu trop "Temps X" faussement futuriste avec typo à deux doigts de l'utilisation de la police Westminster…]

Travail méticuleux et rigoureux, exigeant, sévère même, il n'y a pas le fourmillement désiré. Une dizaine d'animaux, deux-trois plantes et puis s'en vont. De la même façon, le duo ne va va pas assez loin pour donner le vertige. Les 10 millions d'années, c'est à cette échelle assez peu. Ils le disent eux-même ils n'ont fait que pousser quelques curseurs ou mélanger des critères sur nos animaux déjà existants. Alors de grosses grenouilles, de gros perroquets, etc. Comme pour Planète exquise, l'enthousiasmante augmenterait avec la répétition. Où est donc la suite ? dans 20 millions, 60 millions, 100 millions à ainsi continuer la chaîne ? Espérons un autre livre : après-demain les encore autres animaux du futur.

« Attention donc à cette dangereuse notion de prédiction en évolution. Certains paléontologues se sont cassés les dents en voulant modéliser l'évolution et en prédisant très sérieusement la date d'extinction de l'espèce humaine par exemple. Ces prétendus modèles ont été balayés par la communauté scientifique.

Notre démarche a été radicalement différente. Elle est de l'ordre de l'anticipation : nous n'avons pas peur d'affirmer que le monde que nous avons présenté Ici n'existera jamais. Ce monde a simplement le mérite d'être construit selon quelques bases scientifiques — comme tout travail d'anticipation en science-fiction — dont nous allons ici donner un aperçu... »

On retrouvera la plupart de ces animaux sur le wikia speculative evolution :
https://speculativeevolution.fandom.com/wiki/Category:Demain_les_animaux_du_futur

Ségurant, le chevalier au dragon
7

Ségurant, le chevalier au dragon (2023)

Sortie : 6 octobre 2023. Conte

livre de Emanuele Arioli

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Le battage médiatique m'avait battu froid ne l'ayant découvert qu'à « l"aveugle » par l'infolettre des publications à venir des Belles Lettres, mis alors dans un coin de la tête "à lire" et oublié. Ce fût la même grammaire que pour telle exoplanète qui ressemble à la Terre, tel truc quantique, tel site antique qui serait le plus vieux, telle Super Lune. Les mots inédits, nouveaux, oubliés, etc. doivent toujours tirer la sonnette l'alarme.

Je m'attendais à ce que le méta-commentaire, la mise en scène remplisse tout l'espace, envahisse la traduction, commente chaque phrase, s'accumule, ne se fasse jamais oublier — sans surprise, pas la moindre bibliographie et beaucoup de "je" dans la préface. Heureusement ce n'est pas le cas. Sinon, c'est très répétitif, désarticulé forcément. Mais je n'ai jamais été happé par la légende arthurienne malgré quelques piques de curiosité ça et là.

D'ailleurs, je dois avouer qu'avec sa couverture façon maison d'édition Fantasy branchée, ce buzz autour de son si jeune traducteur seul contre tous et l'aspect totalement inédit, malgré les BL, j'ai dans un tout premier temps cru à un canular historiographo-littéraire (avec allez pourquoi pas avec Jaworski en Gary-Ajar qui aurait utilisé les chutes de ses recherches pour son chevalier aux épines sur la matière de Bretagne.)

Pis, c'est vrai qu'il y a quelque chose de notre temps dans cette course impossible au dragon fantomatique. Vous me verrez le réutiliser comme métaphores et allégories. (avantage de son "oubli" : pas de lectures psychanalytiques durant le XXe siècle)

Accompagner sa lecture de la vidéo de C'est pas sourcé qui remet les pendules à l'heure en allant le détail pour bien montrer qu'à l'évidence Arioli n'arrive pas en terrain totalement vierge.

Térébenthine
6.7

Térébenthine (2020)

Sortie : 20 août 2020. Roman

livre de Carole Fives

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Vous m'avez vu lire depuis quelques mois des catalogues sur la peinture figurative française contemporaine. Retour en force, nouvel âge d'or, etc. toutes ces formules aussi consacrées soit-elles marquent pourtant bien un certain tournant (courant ? mouvement ? Trop lâche).

Térébenthine s’attache à la vie de trois étudiants aux BA qui, dans les années 2000, à l’heure de la vidéo et des installations, s’attachent malgré tout à continuer à peindre.

« Lucie hausse les épaules : "Je ne vous comprends pas tous les deux, comment pouvez-vous continuer à peindre de façon si épidermique ! Comme si Duchamp n’était pas passé par là ! Plus personne ne peint depuis des siècles et vous vous obstinez ! C’est fini la peinture, mes potes, c’est mort !" »

Tout va vite, clairement trop vite et est raconté de trop loin malgré sa part autobiographique. Roman lisse (script de film), sans grain, sans texture ni coulure.

Petit roman. Les ingrédients sont en sous quantité et tout semble alors manquer. À commencer par l'aspect vraiment tactile charnel incarné l'odeur de la peinture l'odeur de l'essence, descriptions techniques ou de style et une vraie analyse des styles, des techniques, des marchés. Fives a pourtant fait les BA : le livre frôle l'autofiction.

« — Qu’est-ce qui n’est pas dépassé ?
— Les écrans ! On voit ça partout ! Si tu veux réussir ton examen, fais une accumulation d’écrans, façon Nam June Paik.
— Tu crois ? Mais je mettrais quoi sur ces écrans ?
— Tu t’en fous, du moment qu’il y a des écrans, allumés, éteints, tout le monde est content. »

Il manque le liant : scénettes de la vie sirupeuse d’étudiants // exposés théoriques dans la bouche du professeur... Sous-écriture ou efficacité de flèche ? Comme un plan de roman qui aurait beaucoup de choses à dire. Et là le mauvais lecteur que je suis se plait à l'imaginer écrit par d'autres, gros romans polyphoniques, plus de personnages, plus de scènes de cours, visites de musées, de peinture, éclatés, encyclocumentaires, mixtes.

« Au MoMA, vous piétinez devant les Picasso, rien de nouveau sous le soleil, les Matisse, c’est quand même beau les papiers découpés, mais faire tous ces kilomètres pour retrouver les mêmes artistes qu’à Beaubourg, à quoi bon ? Tu vois pour la première fois un Hopper en vrai, tu te demandes si tu ne le préférais pas en carte postale finalement. »

Les Lettres d'À l'Est d'Eden

Les Lettres d'À l'Est d'Eden (1952)

Journal d'un roman

Journal of a Novel: The East of Eden Letters

Sortie : 13 avril 2023 (France). Correspondance, Autobiographie & mémoires

livre de John Steinbeck

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Parce qu’il est très important pour moi. Je ne vais rien réviser jusqu’à ce que j'aie fini la totalité du texte, mais il sera alors repris en profondeur. Je veux insister sur ce point. C'est mon grand livre. Et il faut que ce soit un grand livre et parce qu’il a une forme nouvelle, même s’il est classique dans le rythme, il faut qu’il soit excellent dans chaque détail. Et je me fiche de savoir combien de temps sera nécessaire pour qu’il en soit ainsi, mais je suis très sérieux à ce sujet. »

Comme avec le journal tenu durant la rédaction des Raisins, nous avons offert, ouvert, littéralement la doublure du roman, la boite noire déverrouillée, de son second grand roman ; à gauche la lettre, à droite le livre en cours d'écriture — son premier jet du moins. Il n'aura fallu que 55 ans avant de les voir arriver traduit dans nos contrées (certes j'aurais pu le lire directement en anglais comme ses autres romans. La paresse sans doute...).

Le ton, l'ambiance, l'atmosphère et surtout le rythme de la rédaction des Raisins. Plus de raison. Ce n'est plus le jeune écrivain fougueux, révolté, torturé parfois malgré cette image, mais l'écrivain et même l'homme accompli, sûr de sa force, tranquille.

John anticipe parfaitement les critiques mais n'en a cure, garde son rythme et tient bon le cap, invincible, incorruptible. À noter que ces critiques sont similaires à celles faites à Giono.

Il y a double distance du livre, celle diégétique disons, du manuscrit qui sera ensuite fortement remanié et, celle extradiégétique, celle de ma lecture lointaine, décennale, comme un fantôme.

Je l'ai lu vite, trop vite sûrement, si content de retrouver ce vieux copain soupe au lait et déjà pourtant, un sentiment de vide : Steinbeck, encore une fois, me manque.


« Mais j’aime bien qu’un chapitre ait sa conception tonale, ainsi que sa conception formelle. Au sein de l’ensemble du livre, un chapitre devrait être une cellule parfaite et tenir debout tout seul, ou presque. Si c’est fait, les coupures que nous nommons chapitres ne sont pas arbitraires, mais forment plutôt des articulations qui facilitent le libre mouvement de l’histoire. »

« Je dois t’avertir maintenant - dans cette section, tu vas voir et entendre des choses étranges. Et je vais vraiment m'y mettre - et que les mots soient nets et aiguisés comme de bons couteaux. »

Le Dernier des aînés
7.8

Le Dernier des aînés (2021)

Elder Race

Sortie : août 2023 (France). Nouvelle

livre de Adrian Tchaikovsky

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Dans son versant SF, Adrian Tchaikovsky paraît suivre un axe de réécriture des formes classiques et de vieux tropes plutôt que l'invention. Ici outre la nouvelle citée en exergue, il y a un gros côté A. C. Clarke, l'allure de Diable, l'ultra-célèbre citation sur la science comme magie reformulée sans cesse (ici : « Ce n’est pas de la magie, juste les conséquences normales des forces universelles. »), aussi des facettes de Le Guin.

L'alternance des points de vue est intéressante mais, in fine, ne pousse pas le bouchon assez loin et même, à mon sens, passe quasiment à côté de son 'lost in translation' : il n'y a nulle suggestion, aucune ambiguïté, ce double récit ne laisse pas le creux de son hélice. Le lecteur voit, sait tout, tout lui est expliqué. Or toute narration se fondant sur une pluralité de points de vue devrait aussi réfléchir à ceux qui ne sont pas montrés, le point aveugle de Javier Cercas, l'empreinte fossile de Claro. Côté style il y me semble utilitaire, dense certes mais aussi épais comme sa barbe. Disons enfin que la distance que l'auteur prend avec ses thèmes contamine ma lecture et je reste à mon tour à distance. Je vois l'auteur fier, souriant (smirk) derrière chaque page.

« Rusé comme un renard. » Je lui explique tout cela dans sa langue, du mieux que je peux, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien fait comprendre la notion de « ruse du renard » à quelqu’un qui ignore complètement ce qu’est un renard. »

Étrange ou pas mais j'ai avec cette jeune princesse, ce vieux magicien goguenard pas si fort et ce bandit grognard en goguette, avec ces noms transparents, avec cette thématique de la science vs. magie j'ai pensé à... Terry Pratchett.

« Et j’ai peur, Lyn. Lynesse. À cause de ce que nous avons vu et à cause de ma propre ignorance. Je devrais être capable de maîtriser toutes les choses étranges de ce monde, car mon peuple connaît les secrets de l’univers. Nous avons traversé le ciel nocturne, fabriqué des objets puissants et modifié nos corps pour ne plus être prisonniers de la fragilité humaine. Et malgré tout je suis dans cette forêt avec vous, et l’obscurité derrière les arbres est aussi effrayante pour moi. » Sa voix était monocorde, son ton impassible s’opposait aux paroles qu’il prononçait. »

Dante en paysage

Dante en paysage (2023)

Sortie : 9 mars 2023. Essai, Littérature & linguistique

livre de Bernard Chambaz

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Chambaz ne se berce pas d'illusion, c’est-à-dire qu’il est comme nous : que dire dorénavant sur Dante ? mais pourtant toujours, y revenir. Tout ne peut être qu'addendum, glose à peine, socle pour aller un peu ailleurs. Je pense à la phrase de Klee sur la ligne qui n'est qu'un point parti se promener. Petit texte libre, personnel et donc inconséquent comme un bonbon sucé trop vite.

Les gravures de Florence Hinneburg ressemblent à du Odilon Redon passé à la presse, photocopié au CDI, gratté, usé. Elle a d'autres part, l'été 2022 été marqué par la découverte de la trilogie de Pan.

https://www.florencehinneburg.fr/copie-de-cantates-des-deux-continents


« le registre demeure implicite, il n’y a ni titre ni vers précis en regard, il s’agit davantage d’élaborer un monde, de donner vie à des sensations, voire des sentiments, et de nous les offrir en partage, en écho à travers d’autres sensations et d’autres sentiments qui sont les nôtres; et, si elle reprend à Dante le précepte des perceptions comme mode de connaissance, elle fait valoir l’épiphanie de tout dans l’apparence du rien. »

« Non, ne pas finir sur ce désir dévorant de « monter aux étoiles » ni sur ce chant XXXIII, qui le clôt et qui a beaucoup servi. Même si le dernier vers, « l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles », demeure le b.a.-ba de toute la littérature pour peu qu'on l’entende dans un sens profane. Plutôt reprendre le « Tutti miei pensier parlan d'amore », lui adjoindre « Donne ch'avete l'inteletto d'amore », remonter dans la barque avec Guido et Lapo et les dames, ramer et rimer, revenir une dernière fois à Florence, oui, et sur la lancée s’en aller jusqu’à Rome. »

L'Invention de la solitude
7.1

L'Invention de la solitude (1982)

The Invention of Solitude

Sortie : 1982. Roman

livre de Paul Auster

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

La première partie se lit comme du petit lait, rapide, légère, touchante et pourtant presque sous-écrite. Depuis, 12 945 récits similaires ont été écrit sur le même mode, pour le pire et le meilleur. La seconde étonne presque. Disparate, hétéroclite, dispersée, vie minuscule à l’anglo-saxonne, et avouons-le un peu artificielle.

Auster est obsédé par les coïncidences. Coïncidence : il était dans ma PAL juste à côté, depuis des années (c'est celui qui y est depuis le plus longtemps), chez le même éditeur dans la même collection : les Anneaux de Saturne, autre récit de la mémoire et d'écrivains convoqués.

«  Il se souvient de s’être demandé si le monde entier n’était pas enfermé dans un bocal posé, en compagnie de douzaines d’autres mondes en bocaux, sur une étagère du garde-manger dans la maison d’un géant. »

« Car cette chambre contenait un univers entier, une cosmogonie en miniature comprenant tout ce qui existe de plus vaste, de plus distant, de plus inconnu. »

Une chambre à soi, la chambre comme cosmogonie personnelle, univers entier, contenu, comme incarnation des tableaux d'intérieur de Munch. Pourtant pas hermétique : les rhizomes entrent, les tentacules sortent.

« Le langage n’est pas la vérité. Il est notre manière d’exister dans l’univers. »

LOL : Q = Quignard ?


« Car cette chambre contenait un univers entier, une cosmogonie en miniature comprenant tout ce qui existe de plus vaste, de plus distant, de plus inconnu. C’était une châsse, à peine plus grande qu’un corps humain, à la gloire de tout ce qui en dépasse les limites : la représentation, jusqu’au moindre détail, du monde intérieur d’un homme. S. avait littéralement réussi à s’entourer de ce qui se trouvait au-dedans de lui. L’espace qu’il habitait tenait du rêve, ses murs telle la peau d’un second corps autour du sien, comme si celui-ci avait été transformé en esprit, vivant instrument de pensée pure. C’était l’utérus, le ventre de la baleine, le lieu originel de l’imagination. En se situant dans cette obscurité, S. avait inventé un moyen de rêver les yeux ouverts. »

Archipel et Nord
8.1

Archipel et Nord (1974)

Sortie : janvier 2009 (France). Roman

livre de Claude Simon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

L'archipel c'est l’Åland, 6500 îles et îlots situés, éparpillés entre la Finlande et la Suède.
Textes retrouvés/réédités en 2009.

« toutes les fleurs sauvages ombelles campanules naines marguerites folle avoine lichens gris-vert ou jaunes comme des pièces de monnaie mordant les unes sur les autres taches d’encre jonquille s’agrandissant sur un buvard constellant le cuir lilas des roches »

Le blanc sied-t-il à Claude Simon ? Sa poésie (?) n’est que la partie immergée de sa prose : un éclat caricatural et presque contrefait. Annotations nominales, comme prises, griffées, sur le vif : pas de phrase complète. Il y perd l’épaisseur, la densité, la profondeur du temps long de ses phrases, de ses romans.

« squelettes emmêlés couchés parmi les vivants avec leurs fantastiques racines comme de couronnes de poignards leurs membres tordus convulsifs gris argent je marchai sur le silence de lichen le silence de sable (on dit qu’il existe ainsi des cimetières de baleines étendues d’ossements) ceux abattus par les dernières tempêtes encore intacts durs d’autres s’effritaient lorsque je mettais le pied dessus s’écrasaient d’autres encore n’étaient plus que de vagues renflements du sol déjà recouverts des mêmes lichens leurs troncs aux trois quarts absorbés déjà retournant à l’humus la terre dont ils avaient jailli géants chenus terrassés ils s’étaient peu à peu amollis affaissés épousant les reliefs des dunes s’enfonçant engloutis déglutis

siècles »

Steampunk
8.1

Steampunk (2013)

De vapeur et d'acier

Sortie : 10 octobre 2013. Beau livre & artbook

livre de Xavier Mauméjean et Didier Graffet

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

J'ai eu une courte période steampunk, très courte période, demi-période, tout de go regrettée. J'ai si vite trouvé ça ringard, facile, figé dans des formules rigides — les cosplays à base d'engrenages et de chapeaux haut-de-forme n'aidant pas à prendre ça au sérieux. Les franges du genre (Dishonored mettons) sont toujours plus intéressantes car augmentées d'une saveur, d'une couleur politique, d'une touche esthétique, alourdie, en plus.

2013 ? J'aurais dit 2004. Car ça ne manque pas et les tropes mille fois vus y passent, c-à-d la reprise des classiques fantastiques, Frankenstein, Poe, Verne, Wells. Bref, la Tour Eiffel sous les dirigeables. Un peu d’originalité que diable ! Un peu de grâce. Et bizarrement même pas le voyage dans la Lune et au-delà.

Je pensais qu’il s’agissait d’un simple livre sur l'art de Graffet (avec itw, WIP, croquis, step-by-step de sa méthode). Que nenni, c’est livre sur un simili-univers uchronique. En ça le titre générique au possible est très mal trouvé. Zéro explication sur le projet : est-ce que l’un commente les dessins de l’autre ou est-ce l’inverse ? Une co-construction ? Quant à la préface de Druillet vantée en couv. Elle dépasse à peine les 10 lignes.

Mais Graffet a une véritable patte (une griffe), une manière, similaire à celle de Fructus de combiner en harmonie relief et textures. C'est comme Delval, Alice, Manchu, Baranger — comme les affiches des Utopiales — un illustrateur français à l'ancienne.
Après on voit bien la différence entre les tableaux à l’ancienne, sépias, et ceux sous Photoshop : trop de noirs bouchonnant et de traits inutiles.

Nushku

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