Morceaux de Zappa décortiqués : The Grand Wazoo

Annotation :

Le morceau est dédié à Calvin Schenkel, le graphiste de la pochette et de nombreuses autres de FZ. Elle relate l'histoire vraie de deux auto-stoppeurs que Calvin embarqua de manière surprenante dont voici l'histoire relatée par Calvin lui-même :

"Ma 39 Pontiac était dans le magasin et j'avais donc emprunté une voiture à Frank. C'était cette Jaguar Mark VIIII blanche de 1959 qui appartenait au capitaine Beefheart que Janet utilisait à l'époque. Je venais de quitter la maison de Frank et je me suis arrêté au coin de Mulholland & Laurel Canyon Blvd en attendant qu'un feu rouge change, quand je remarque ces 2 autostoppeurs, un couple de hippies qui attendent là pour être pris. La prochaine chose que je sais, c'est qu'ils montent à l'arrière de la voiture. Je suppose qu'ils ont dû penser que je leur ai offert un tour (je ne leur ai pas dit de venir dans ma voiture ou de les faire signe ou quoi que ce soit - je n'y pensais même pas), alors je leur ai demandé où ils allaient et ils n'ont RIEN dit ! Je descends Laurel Canyon Blvd en passant devant la cabane en rondins, devant Harry Houdini, devant le magasin de campagne et jusqu'à Hollywood. J'arrive au bas de la colline, j'allais tourner à droite. Je leur ai en quelque sorte demandé « Regardez, je tourne à droite, voulez-vous sortir d'ici ? » Ils n'ont rien dit. Ils étaient juste vides. J'ai pensé qu'ils étaient sous acide ou quelque chose comme ça. Je ne pouvais tout simplement pas communiquer avec eux. Je ne savais pas quoi faire, alors j'ai continué vers ma destination. Quand j'y suis arrivé, j'ai dit : « OK, c'est ici que je vais. Au revoir ! » Ils sont restés dans la voiture et ne sont pas sortis. Alors j'ai garé la voiture, je suis sorti, je suis monté dans mon studio et j'ai commencé à travailler. Je travaillais sur la pochette de l'album Uncle Meat. De temps en temps, je regardais par la fenêtre pour voir s'ils étaient partis, mais ils étaient toujours assis sur le siège arrière de la voiture. Une heure ou deux plus tard, j'ai regardé par la fenêtre et j'ai remarqué qu'ils étaient partis. J'ai pensé, "Enfin !", puis peu de temps après, j'ai vu qu'ils étaient de retour ! Ils sont allés au supermarché pour une miche de pain et de viande et ont commencé à faire des sandwichs à l'arrière de la voiture. Ils déjeunaient ! Puis ils sont partis."

Annotation :

(Suite de l'analyse du morceau "For Calvin")

Les quelques paroles font directement référence à cet évènement tout en donnant une impression de songe qui peut se rapprocher du songe que fait Uncle Meat à propos de Cletus.

Où sont-ils allés ?
D'où sont-ils venus ?
Que sont-ils devenus maintenant ?
De quel volume était l'écoulement
De la bouche d'égout cette nuit-là ?
Et qui sont ces jeunots
Sur la banquette arrière de la voiture de Calvin ?

Où sont-ils allés ?
Lorsqu'ils ont quitté la voiture ?
Sont-ils allés chercher un sandwich
Et ont-ils mangé dans le noir ?

Musicalement, c'est une chanson au rythme lent, donnant encore plus cette sensation rêveuse, hors du temps, surnaturelle. C'est une ouverture à l'album peu orthodoxe, grotesque et décontractée, qui a tendance à ralentir au fur et à mesure jusqu'à brusquement virer à la cacophonie avant de revenir au premier thème. Cette chanson donne l'impression qu'on aura affaire à un album tout autre, rempli de choses biscornues et humoristiques. C'est peut-être pour cette raison que Frank Zappa décida d'intervertir les deux premières pistes dans les éditions ultérieures.

Dans tous les cas, ce morceau est une préfiguration symbolique de ce que sera le mouvement RIO (Rock In Opposition) quelques années plus tard avec un groupe comme Henry Cow ... je soupçonne également The Residents de s'être inspirés de ce morceau pour l'aspect vocal apathique ...

Le morceau contient également un thème musical (New Brown Clouds) qui sera utilisé dans la suite "The Adventures of Greggary Peccary", qui mettra des années avant d'être finalisée.

Annotation :

Tout comme le morceau précédent, FZ fait appel à l'ensemble des 22 musiciens pour nous proposer une joute musicale entre "bois" et "cuivres", à l'image de la rivalité entre Cletus et Mediocrates. La musique proposée est une mini-suite fluide, hybride entre jazz-rock, funk et blues ... des thèmes rétro avec des rythmes exotiques et latinos. Quelque chose de très particulier et typiquement zappaïen. Le morceau est entrecoupé de quatre solos, il s'ouvre sur un beau solo à la guitare semi-acoustique avec effets wah-wah par FZ, un autre court solo à la guitare slide nasillarde par Tony Duran laissant place à un superbe solo de trombone par Bill Byers, puis celui à la trompette en sourdine par Sal Marquez, le morceau se terminant par une remarquable intervention de Don Preston au mini-moog.

Pour l'anecdote on retrouve un extrait de "Big Swifty" à 3'26", ainsi qu'une référence au morceau "Streets of Cairo" de James Thornton à 9'55" : https://www.whosampled.com/sample/254644/Frank-Zappa-The-Grand-Wazoo-James-Thornton-Streets-of-Cairo-or-the-Poor-Little-Country-Maid/

Annotation :

Toute la face B est à effectif réduit, proposant une base plus classique : guitare/basse/batterie/claviers agrémentés de 2 bois et 1 cuivre. Pour ce morceau-ci, très court et funky, FZ ajoutera le trombone de Ken Shroyer à la trompette de Sal Marquez, ainsi que les voix délirantes de "Chunky", George Duke et lui-même. Le résultat est ludique, sorte de musique de dessin animé excentrique. George Duke y joue du piano honky tonk, influencé par la funk/soul. Le travail rythmique y est à nouveau époustouflant.

Annotation :

On démarre sur les chapeaux de roues avec une superbe intro improvisée aux claviers de George Duke, qui sera sublimée par la batterie d'Aynsley Dunbar et la guitare wah-wah de FZ. Le groove est puissant, Duke rappelant ici Herbie Hancock. S'ensuit un grand solo de FZ à la guitare et en fauteuil roulant (faut-il le rappeler !). Le morceau est efficace et agressif, dans le plus pur style jazz-rock et se termine librement dans une lente reprise du thème principal.

Annotation :

Paradoxalement, l'album se termine sur un morceau plus conventionnel de cool-jazz, signifiant la fin de la bataille. Le piano est liquide, nocturne, le phrasé est superbe, l'atmosphère détendue. Un effet d'aquarelle rendu progressivement par l'alternance entre l'ensemble et les solos remarquables de Sal Marquez à la trompette, George Duke au piano et FZ à la guitare. On peut dormir tranquille jusqu'à la prochaine bataille du lundi.