Je l'ai lu dans la version poche, "Nous", je ne crois pas que ce soit la même traduction, la mienne a l'air assez récente. Nous n'est pas une lecture facile, il y a beaucoup de phrases hachées pour rendre au mieux l'agitation du narrateur principal. Pour autant, de tous les romans d'anticipation que j'ai lus, c'est l'un des plus forts, avec 1984 et le meilleur des mondes car c'est non seulement l'un des premiers d'entre tous mais en plus l'un de ceux qui sont encore d'actualité un siècle après son écriture, et ça a quelque chose de sidérant quand on se plonge dedans. Il y a aussi une grande liberté dans les scènes décrites, notamment au niveau du sexe, par rapport à l'époque. Zamiatine est sûrement trop peu lu aujourd'hui, comme en témoignent aussi le nombre de notes sur la fiche sur sens critique. J'ai découvert son existence grâce au mage du Kremlin, j'espère que ce roman donnera envie à d'autres d'en faire autant.
Toujours plaisant de lire du Daphné du Maurier quand on veut s'aérer l'esprit par rapport à des pavés plus denses, ce n'est peut-être pas l'écrivain du siècle, mais elle a le don d'avoir un style si facile à aborder qu'on en vient à oublier sa façon d'écrire pour se concentrer sur son récit, au terme duquel je suis arrivée au bout de trois jours. L'histoire fait forcément penser à un genre furieusement à la mode aujourd'hui dans la littérature contemporaine, ce qui en fait un contrepoint intéressant, à savoir la reprise de figures féminines décédées et supposées extraordinaires en leur temps, de par leur affranchissement des conventions principalement, pour leur écrire un destin hors-normes qui viendrait réparer l'erreur supposée du silence qui les entourait auparavant. Pour Maurier, ce sera donc son arrière-grand-mère, Mary Anne, qui a eu une liaison avec le duc d'York en son temps et s'en est sortie avec perte et fracas. C'est un livre dans la veine d'un Assommoir de Zola, même si c'est bien évidemment moins naturaliste et plus virevoltant dans sa démarche, sans que les horreurs du temps ne soient lissées non plus ; aucun lyrisme à propos d'un passé magnifié et révolu, c'était sordide et il convient quand même de l'écrire un peu. La dernière partie du livre sur les affaires judiciaires de la protagoniste principale tournent un peu en rond (une habitude, chez Maurier, de rater ses romans sur la fin ?) tout en contribuant dans les grandes largeurs à la thématique du rise and fall pour son personnage.
Plus faible que le Renaudot, plus court aussi, Lafon a troqué l’écriture un peu plus ronde de son précédent livre contre quelque chose de plus sec pour mieux coller à son sujet, la violence des hommes perpétré sur les femmes. Ça aurait pu être maladroit, de parler à la fois du point de vue de la femme puis de l’homme, mais elle s’en sort plutôt bien. Le livre manque juste d’un peu de substance, sûrement à cause de sa taille, quand bien même son style est d’une qualité constante.
C’est le Conrad que j’ai le moins apprécié, le moins bien à mon sens, pour tout un tas de raisons liées à la fois au style, à ses choix de narration et à des redondances assez pénibles. Qui l’a lu à plusieurs reprises comprend que son sens politique a quelque chose de borné, dans le sens où son enthousiasme suprême ira toujours en premier lieu à l’Angleterre et ses valeurs, considérée comme la vigie bienfaitrice du monde. En découle tout un tas de considérations qui dénotent une absence totale de recul, où le manichéisme fait des basanés les méchants et les blancs riches des gentils un peu superficiels.
C’est long, très long, rempli de trop de personnages, on comprend que Conrad a voulu raconter une immense fresque sur une révolution sud-américaine, et quand il en a fait le tour, il s’enlise dans la tragédie grecque caricaturale. J’ai du mal à comprendre pourquoi ce livre figure souvent dans des tops du style « meilleur livre de tous les temps », j’en déduis qu’il n’a pas été lu. Reste certains personnages merveilleusement décrits, des lieux fabuleux dont on croirait l’existence réelle et un sens de l’aventure toujours intact.