YU-NO est un eroge des années 90. Le jeu ne s'en cache pas, débutant avec un magnifique plan rapproché sous la robe d'une des professeures du protagoniste, Takuya, un lycéen de 17 ans, un pervers au coeur d'or, ou encore une libido sur pattes aux manières d'un gentleman. Son côté pervers sera si marqué que j'estimerais au moins la moitié des dialogues (optionnels comme centraux au scénario) comme liés à sa passion instoppable envers la gent féminine et les corps des femmes qui l'entourent. Le jeu proposera du fan-service à tout va, quasi personne n'y échappera pour le peu qu'elles appartiennent au sexe opposé, et les scènes H, bien que pas abondantes, sont présentes avec chaque personnage central, au moins une fois dans la route lié à celui-ci, comme dans tout eroge qui se respecte. Pour autant, YU-NO est bien plus que cela. Malgré l'omniprésence d'éléments (implicitement comme explicitement) sexuels, le jeu arrive à poser un ton sérieux lorsque c'est nécessaire, et l'intrigue principale ne se résume pas à être un prétexte pour voir des scènes de sexe comme ce fut pourtant bien répandu à l'époque (j'énoncerai ici des éléments de jeu qui apparaissent après le prologue de 3h, soyez avertis).


Cette intrigue, centrée autour du voyage dans le temps et dans les dimensions pour que Takuya retrouve son père, historien porté disparu lors d'une expédition archéologique, laisse au jeu l'occasion de construire une pseudoscience cohérente: une "thèse" de 25 pages qui explique le fonctionnement du voyage inter-dimensionnel. Les concepts qui y sont posés reviendront systématiquement dans le scénario, et la pseudoscience de cet article servira comme point central au jeu, expliquant même d'un point de vue très méta la possibilité du joueur d'effectuer une sauvegarde, ou encore de placer des checkpoints sur la Flowchart, une Flowchart interactive, ce qui est inédit pour l'époque.

Fait notable: le jeu se joue comme un visual novel d'aventure dans son prologue (Portopia, SNATCHER...), avec l'intégralité des interactions qui se font via une boîte de dialogue. Cependant, passé le prologue, et une fois les objets permettant la sauvegarde et les voyages obtenus par Takuya, le jeu devient un véritable point and click, pour le meilleur comme pour le pire. Autre fait notable, les personnages centraux du jeu, ceux qui possèdent des routes dédiées, possèdent chacune une certaine profondeur qui est bienvenue, tant bien pour leur histoire et leur rapport au scénario principal, que pour leur personnalité... Nous n'avons ici pas affaire à des personnages creux en surface qui n'existent que dans le simple but d'être séduits par Takuya avant de finir au lit (bien qu'on puisse remettre en question la popularité du jeune homme), tout le monde a ses traumas, ses problèmes, ses désirs, ses motivations personnelles, et découvrir le passé de chaque personnage ainsi que leurs raisons de s'impliquer avec le protagoniste ne sont généralement pas décevantes.

On n'échappera pas aux habituels indices cachés dans un pixel précis d'un des (magnifiques) décors qu'on va parcourir, ou encore de passages où le jeu force le joueur à inspecter (littéralement) du vide plus de 50 fois à la suite, avant de décider enfin d'enclencher la prochaine cinématique liée au scénario). On n'échappe pas non plus aux "passages à vide" où l'on va partout, parle à tout le monde, inspecte tout, dans le maigre espoir de trouver le prochain élément déclencheur, la suite du jeu. On peut ainsi finir par faire des allers-retours incessants entre l'école du protagoniste, sa maison, et la plage qui se trouve à proximité des deux, même dans les moments où scénaristiquement il serait cohérent pour nous de rester en cours.

Cerise sur le gâteau, le jeu se jouant de sa flowchart, il existe énormément de passages qui nécessitent d'obtenir certains objets d'une route avant de pouvoir progresser dans une autre. Le "choix" des routes se fait en fonction des actions du joueur, d'une manière très implicite et subtile, pour ne pas dire cachée (on peut traverser la ville de Sakaimachi en entier sans jamais avancer sur la flowchart, tout comme on peut parler à un PNJ au hasard et changer de route soudainement sur celle-ci), et le jeu a même l'audace d'offrir des scènes de Game Over, littéralement impossibles à éviter, qui nous forcent à revenir au tout début du scénario si l'on a pas eu l'instinct de mettre un checkpoint sur la Flowchart, ce dont on est rarement prévenu (et lorsque on l'est, Takuya n'hésite pas à briser le quatrième mur pour nous adresser la parole, sans aucune subtilité, dans un ton humoristique).

Il faut se rendre à l'évidence: finir le jeu sans guide s'apparente à du masochisme du plus haut degré, et la non-linéarité du scénario, qui permet d'éparpiller petit à petit des indices servant à la résolution de la disparition mystérieuse de notre père, et d'autres événements tout autant mystérieux dont on sera témoin, est ici une lame à double tranchant dont la positivité dépend de votre tolérance à ce qui s'apparente à une des premières tentatives dans le milieu du JV de jouer avec des Flowcharts. On n'est pas non plus aidés par le fait qu'une route, une fois terminée, nous ramène au tout début du jeu, et que le joueur devra refaire tous les choix, même ceux communs à toutes les routes, dans l'espoir de trouver un embranchement différent à sa prochaine tentative.

Quand bien même, je considère le mystère et la construction du monde de YU-NO si bien maîtrisés (bien que certains disent que le jeu met trop de temps à démarrer), et chaque personnage, avec des motivations, personnalité, et mystères distincts, suffisament bien écrits pour que la pénibilité du gameplay soit compensée par l'écriture du scénario, et que l'on ait envie de revivre l'histoire à plusieurs reprises pour en découvrir plus sur Sakaimachi et ses habitants.

(bien que Takuya soit à certains moments légèrement con, avec notamment l'exemple d'un personnage à la double personnalité "cachée" aussi subtile que celle d'un Clark Kent, il arrive en général à comprendre les concepts et implications de thèses scientifiques, allez savoir)

Les scènes H, maladroites voire gratuites pour certaines, sont pour d'autres très touchantes et réconfortantes. Les décors et sprites des personnages sont toujours un régal pour les yeux, de même pour l'excellente musique composée par Ryu Takami et Ryu Umemoto !


Malgré que l'épilogue du jeu soit... bizarre (image spoilante en exemple) et clairement inachevé, et que certains éléments d'intrigue ont été délaissés en plein milieu du jeu, malgré que le jeu soit si pénible que le lire sans guide serait suicidaire, malgré qu'il faille plus de 40h pour le finir (on est dans la centaine pour moi qui ai joué avec le patch des voix Saturn), YU-NO a clairement tenté beaucoup de choses qui ont inspiré d'autres créateurs par la suite, et pour peu que vous soyez intéressé par les scénario pseudoscientifiques, les belles musiques, et/ou les magnifiques dessins, ce pionnier du Visual Novel vaut largement le détour.

Je ne remercierai jamais assez une de mes amies de m'avoir recommandé une si belle expérience, et j'espère pouvoir convaincre quelques fervants passionnés de lecture vidéoludique (dédicace à mes éclaireurs qui ont mis en envie le jeu depuis des années et ne l'ont toujours pas lancé!) de lui accorder sa chance, ne serait-ce que le temps d'une route, et de se laisser porter par les mystères de Sakaimachi.

Sakimotot
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le 10 févr. 2024

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