Uncharted 2 : réussite éphémère ou maîtrise qui survit au temps ?

En 2009, Uncharted 2 a produit l'effet d'une bombe dans le paysage vidéoludique, propulsant à un autre niveau le jeu d'action mis en scène tel qu'on le connaissait auparavant. Une pierre angulaire qui tient une place importante dans le chamboulement de l'industrie à cette époque, de plus en plus tournée vers le script et l'effet " wahou " que dans la véritable création de concepts efficaces.


Et si en 2009 Uncharted 2 était une véritable claque, j'ai toujours craint une désillusion au moment de le refaire. C'est donc en 2016 que je m'y attelle à nouvelle fois, en gardant en tête cette problématique : la réussite d'Uncharted 2 était-elle éphémère ou est-elle le fruit d'une maîtrise globale qui survit au poids des années ? Avec un marché aussi concurrentiel, la question se pose réellement et c'est en analysant la composition de ce titre que l'on trouvera la réponse.


Je préfère tuer le suspense d'emblée car ma note le fait à ma place : à mes yeux, Uncharted 2 n'était pas simplement un jeu plus " wahou " que les autres, sa réussite ne tient pas qu'aux sensations qu'il procurait en 2009 mais bien de la maîtrise jusqu'auboutiste d'un concept affiné et soigné. Et je vais m'empresser de détailler pourquoi.


Avant toute chose, il advient de préciser que, si Uncharted 2 excelle, c'est bien dans son propre domaine. Il s'agit d'un jeu d'aventure fortement orienté TPS. Ces deux genres sont sensiblement entremêlés dans son game design du jeu et les séparer l'un de l'autre ferait perdre du sens à l'essence même d'Uncharted 2 et, plus largement, de celle de la saga.
Considéré uniquement comme un jeu d'aventure, l'expérience proposée sera réjouissante mais pourra se révéler plutôt frustrante par la répétition accentuée de phases de shoots et d'action parfois abracadabrantes. Considéré uniquement comme un TPS, le jeu sera très vite pris en défaut à cause, par exemple, du manque de feeling de ses armes, face à la concurrence.


Certaines critiques négatives ont tendance à juger ces aspects indépendamment et à pointer leurs faiblesses ou encore à le considérer comme un jeu bipolaire qui ne sait trop quoi proposer. En un sens, ces argument sont parfaitement légitimes : le cocktail proposé peut déplaire selon l'affection respective que l'on porte à ces deux styles.
Pourtant, Uncharted 2 n'est pas bipolaire. Les différents éléments de son game design s'emboîtent et se répondent parfaitement. C'est vraiment dans l'ensemble proposé qu'il trouve son excellence.


Nathan Drake est un aventurier, c'est un héros habile en escalade et cela se ressent dans sa maniabilité, dont le level design bénéficie. Clairement, les passages de tirs n'ont pas été pensé pour se parcourir bêtement en ligne droite. Si cela se produit par moment (la fameuse scène du train), la plupart du temps il s'agit d'une construction en arène où le joueur va devoir prendre en compte les différents éléments à sa disposition pour triompher de ses obstacles mais également pour trouver son plaisir. Ainsi, le coeur des phases TPS ne réside pas dans le fait de rester cacher derrière ses couvertures mais plutôt dans le mouvement, en courant, en sautant vers d'autres cachettes, en contournant ses ennemis en utilisant notamment l'escalade, etc.
Si ce level design trouvera ses principales heures de gloire dans Uncharted 3 (en attendant que les promesses du 4 se réalisent), celui de Uncharted 2 tient clairement la route et propose des arènes réjouissantes qui ne se contentent pas d'un vulgaire mass-ennemy et d'un placement des ennemis parfois ridicules (le gros point faible d'Uncharted 3) mais bien des situations qui tiennent la route.


Si je parle de situations, c'est bien parce que, dans ce que le gameplay propose, Uncharted 2 reste avant tout une aventure mettant largement en avant ses origines Indiana-Jonesque. C'est une course au trésor à travers le globe se traduisant par la traversée de nombreux décors, une narration appuyée, une adrénaline progressive jusqu'à l'intensité finale. Une aventure impulsée par un scénario plutôt classique mais diablement bien enveloppé. Si les différents retournements ne seront pas très surprenant, c'est davantage l'évolution de l'histoire et la perte de contrôle progressive du héros face aux événements qui capteront l'attention. Un sentiment de faiblesse qui nous vient particulièrement de Lazarevich, un méchant bien méchant tout ce qu'il y a de plus classique et qui ne s'embarrasse pas de profondeur pour se concentrer sur l'essentiel : rayonner de sa toute puissance et de sa cruauté glaçante. Peu importe l'originalité tant que c'est efficace. En outre, l'évolution de la quête, en même temps que celle des décors, renouvelle constamment ce sentiment d'aventure.
Il est important de noter que quelques trouvailles superbes en termes de storytelling (passant par le gameplay) viennent renforcer la qualité de cette aventure et du poids émotionnel qu'elle dégage.


Uncharted 2 n'est pas un jeu statique, il va toujours de l'avant. Passé les premiers chapitres de l'histoire, il n'y aura plus d'ellipse temporelle et spatiale : dès que Nathan posera les pieds au Népal, il parcourra "en temps réel" tout le chemin jusqu'à la fin du jeu. Le joueur, lui-même, se sent plus que jamais acteur de ces déplacements puisqu'il les vit avec son personnage. Il s'en dégage une adrénaline particulièrement délectable et une identification à l'aventure vécue par notre héros. Si à de rares moments les directions prises par Drake peuvent sembler un peu factices, rappelant au joueur qu'il est entraîné par la ligne droite du jeu, la plupart du temps ces déplacements sont logiques, justifiés scénaristiquement ou rendus nécessaire par la fuite d'une menace. Dans ces moments, le sentiment d'aventure atteint un certain paroxysme.


C'est de cette manière que l'orientation action vient parfaitement coller avec l'intention du jeu, puisque les fusillades et les passages vraiment mis en scène mettent en exergue un rythme parfaitement ciselé.
C'est essentiellement pour ces situations mises en scène et pour tous ces effets "wahou" que le jeu a été repéré à son époque. De nos jours, j'avais une véritable crainte d'un effet "déjà-vu" massif qui viendrait casser toute l'efficacité de ces passages en 2009. Et pourtant, force est d'avouer que ce n'est pas du tout le cas.
Bien sûr, ces scènes ne surprennent plus de la même façon. On s'attend à trouver ce genre de choses, mais je ne m'attendais malgré tout pas à trouver une telle efficacité.


Au cours de ce nouveau parcours, je me suis rendu compte d'à quel point Naughty Dog a fait preuve d'une véritable maîtrise de la mise en scène. Ce qui frappe immédiatement, c'est une gestion dynamique de la caméra qui ne commet pas l'erreur aussi tragique que commune de rester fixe, standard, plate derrière son personnage. Non, la caméra trouve toujours l'angle juste pour nous faire profiter des scènes d'action, nous faire voir ce que l'on doit voir tout en ne nous donnant pas l'impression d'être dirigé.
Mieux encore, la plupart des situations mises en scène ont beau être scriptées, le joueur n'en garde pas moins un contrôle permanent. Ces situations imposent au joueur de rester acteur : alors que le côté spectaculaire de ces scènes donneraient envie d'en devenir spectateur (justement), le jeu nous replace constamment dans notre position de joueur. Si des éléments se veulent contemplatif, la plupart du temps le joueur n'aura pas le temps de s'absorber à sa contemplation mais devra composer avec l'improvisation.
En effet, les situations tombent sur le nez du joueur et le prennent souvent de court, mettant vraiment à contribution se réactivité pour réussir les séquences. A ce titre, le level design de certaines de ces séquences est particulièrement brillant : il impose un rythme frénétique où le joueur doit prendre en considération son environnement très rapidement en faisant appel davantage à ses réflexes immédiats. C'est là que le level design brille car il permet cette compréhension immédiate et donne au joueur cette impression d'immédiateté, et lui confère cette sensation d'avoir le contrôle de la situation et de dépasser le danger alors qu'il se referme sur lui. De véritables scènes d'action avec un level design et une impulsion pensés pour l'aventure.
A mes yeux, c'est vraiment sur ces éléments que Uncharted 2 humilie les derniers Tomb Raider et les autres jeux similaires, qui se contentent de faire de la mise en scène pour faire de la mise en scène, se concentrant sur le spectacle et non pas sur un level design qui placerait le joueur dans un jeu. Au lieu de cela, beaucoup de jeux se contentent de rendre les joueurs de plus en plus passifs devant les situations pourtant "extraordinaires" qu'ils traversent.


La gestion du rythme est également plutôt maîtrisée. Il y a des séquences inégales, des passages d'énigmes trop dirigistes, quelques arènes de trop ou plus brouillonnes, mais de manière générale l'ensemble du jeu est très bien géré en termes d'ergonomie. Il n'y a pas de séquences trop courtes ou trop longues, on a toujours l'impression que les renouvellements tombent à point nommé.


A ce titre, par ailleurs, les décors sont tous aussi différents qu'époustouflants visuellement. Même après plusieurs années, et certes aidé par la version remasterisée de la PS4, Uncharted 2 en met plein la vue et ses environnements sont incroyables. Il n'est pas rare qu'à l'issu d'une escalade on s'arrête à nouveau pour regarder les décors et se sentir comme les rois du monde, perchés à notre hauteur.
Les destinations sont très bien choisies et permettent habilement de toujours renouveler le jeu de manière esthétique. Les couleurs varient, les villes laissent place à la nature et aux ruines. Pour tout amateur d'aventure Indiana-Jonesque, c'est un plaisir de se laisser porter visuellement.
D'autant que Naughty Dog ne lésine pas sur les détails. Les décors sont d'une richesse encore trop peu souvent égalée malheureusement, qui nous font vraiment nous sentir présent dans les lieux que l'on traverse. Et c'est vraiment quelque chose qui participe à l'identité forte de cette saga.


L'identité d'un jeu est vraiment une notion que je respecte beaucoup. Ici encore, je trouve que beaucoup de jeux ont malheureusement tendance à ne pas asseoir d'identité et à s'effacer dans la masse. Uncharted, à contrario, possède une identité très forte qui ne lui vient pas seulement de son cocktail d'action grand public ou de ses décors fantastiques (même si cela participe énormément).
Pour moi, l'écriture des personnages joue énormément à cette sensation. Je suis toujours surpris quand je lis, et pourtant à de nombreuses reprises, que certains joueurs ne peuvent pas encadrer Nathan Drake. Je peux comprendre, c'est vraiment un style de personnage, volontairement populaire qui peut ne pas faire accrocher. Mais pour moi ce héros représente vraiment sa franchise et pour lequel j'ai une véritable affection. Il est à la fois drôle, second degré, badass mais aussi assez fragile. C'est un héros hollywoodien, assurément, mais je le trouve très réussi.
Les autres personnages ne sont pas en reste, mais c'est surtout l'alchimie entre eux tous et leurs diverses relations qui créent cette ambiance toute particulière qui accompagne l'aventure. Au cinéma, cette ambiance n'est pas rare mais dans un jeu vidéo, ce n'est pas si commun.


Un point essentiel qui permet à Uncharted de faire valoir une identité extrêmement forte, c'est l'OST incroyable de Greg Edmonson. Pourtant, il s'agit peut-être d'un des rares exemples où la musique orchestrale est meilleure dans son utilisation en jeu qu'elle ne l'est en dehors du jeu.
Greg Edmonson confie qu'il a composé ses morceaux pour qu'ils collent aux ambiances et aux locations du jeu, mais également aux différents degrés d'intensité proposés. Pour autant, il n'a pas composé les morceaux pour des moments spécifiques mais pour que les passages de certains morceaux puissent être utilisés à la guise des développeurs. Ce procédé est assez dangereux, mais le résultat est plus que satisfaisant. Très souvent, on est admiratifs de trouver une envolée musicale qui colle parfaitement à ce que l'on est en train de vivre.
L'utilisation de la musique est brillante. Elle n'est pas toujours présente, elle n'est pas trop invasive, les choix faits quant à son utilisation renforcent vraiment sa qualité de composition. Il s'en dégage ainsi un style, une atmosphère très particulière à cette franchise. Quand on écoute la musique d'Uncharted, on se sent dans Uncharted. Ca parait simple, mais c'est pourtant extrêmement rare et difficile à accomplir. C'est une prouesse à laquelle je suis très sensible et à laquelle je suis particulièrement attentif.


Pour conclure sur Uncharted 2, il trouve pour moi encore sa force après toutes ces années dans sa manière d'impulser une aventure entraînante, pleine d'adrénaline, et qui arrive à nous émerveiller et nous faire vivre des scènes intenses de manière régulière. La variété est son maître mot, bien que le gameplay se répète constamment, les situations sont tellement variées qu'on n'a jamais la sensation de vivre deux fois la même chose.
La maîtrise de sa mise en scène, l'incroyable qualité visuelle et la progression logique dans une aventure sous forme de fuite en avant sont autant d'arguments qui font que Uncharted 2 est une réussite. Les années ne lui ont rien fait perdre de sa superbe car cette réussite n'était pas due à un spectacle éphémère mais bien à une maîtrise intelligente du format qui est proposé.
Malgré quelques errances inévitables, Uncharted 2 reste pour moi un jeu d'action/aventure extraordinaire.

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le 18 avr. 2016

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