[Critique sans spoilers]


Après une bonne centaine d'heures de lecture, force est de constater qu'il ne me reste d'Umineko qu'un goût amer dans la bouche.


Cela avait de toute façon mal commencé. J'ai d'abord entamé le récit directement après Higurashi, dans l'espoir de combler le vide ressenti en quittant cette œuvre et son univers tant aimé. C'était une très mauvaise idée, cela m'a conduit à lire Umineko dans l'ombre de son prédécesseur. Il m'était donc impossible de voir l'œuvre autrement qu'un ersatz d'Higurashi. J'ai donc tout arrêté et je n'ai réessayé que cinq ans plus tard.
Retenter à ce moment était une bonne idée. La distance me permettait de donner enfin une chance à l'œuvre de pouvoir être elle-même.


Ces détails contextuels me paraissent importants à raconter car ma note résulte plus d'une rencontre ratée que d'un jugement de valeur sur l'œuvre.


L'introduction était pourtant particulièrement prometteuse. L'auteur prend tout son temps afin de développer des fondations solides : des personnages engageants, une atmosphère mystérieuse et attirante, pour enrober le cœur du récit, à savoir ses énigmes.


C'est quoi, au juste, une énigme ? J'apprécie la définition suivante : "une énonciation dont on ne retrouve plus l'énoncé". Il y a une perte première, un trou fondé par la perte de la vérité et c'est par ce trou que Umineko lance son mouvement, accroche le lecteur. L'originalité de l'œuvre repose notamment sur la manière dont la narration prend en compte la logique même du récit pour développer en parallèle de l'histoire une longue réflexion sur les mécanismes inhérents à la place de la vérité dans le roman policier. C'est peut-être dur à comprendre sans avoir lu l'œuvre.


C'est vraiment lorsque le septième tome est arrivé que je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume des Ushiromiya. Les solutions ont commencé à pleuvoir, les trous ont commencé à se combler. Une fois les grandes interrogations dépassées, j'ai constaté qu'il ne restait plus rien pour moi. Je n'avais aucune envie de continuer. J'ai dû me forcer pour finir la saga, bouclant le dernier tome en plusieurs mois.


La première chose qui me reste à l'esprit au sujet d'Umineko, c'est à quelle point l'œuvre est répétitive.


L'énigme étant complexe, l'auteur ne veut pas perdre le lecteur et insiste régulièrement sur les points à retenir. Plusieurs camps s'affrontent pour batailler sur la nature de l'intrigue et les mêmes idées reviennent régulièrement. Les mêmes tournures de phrase se répètent, les mêmes questions sont réitérées.
J'ai trouvé certains passages imbuvables, je me sentais emporté dans un torrent de mots ronflants mais ne disant au final pas grand-chose. La traduction anglaise a peut-être son rôle à jouer là-dedans.


Je me suis senti mal à l'aise à plusieurs moments de l'histoire, notamment face à cette répétition orgasmique des mêmes termes. Comme si l'on assistait à un débat qui pourrait être résumé ainsi : "avons-nous à faire à de la magie ? Non cela ne peut pas être de la magie mais si c'est de la magie mais non ce n'est pas de la magie si c'est de la magie regarde non je refuse d'y croire ce n'est pas de la magie pourtant est-ce que cela pourrait être de la magie ?"


Les personnages aussi m'ont semblé répéter un rôle bien défini. On entend une nouvelle fois Kinzo pleurer sur Béatrice, Natsuhi prendre un air outré, Eva faire une remarque méchante, etc. Ce sont juste des pions, de simples rouages dans un mécanisme. Ils sont là pour enrober l'énigme, ils sont là pour faire joli. De prometteurs, ils sont devenus attendus. Je pensais vraiment que la suite des tomes allait apporter de la nouveauté, développer en profondeur chaque personnage, mais ce ne fut pas vraiment le cas, du moins pas à mon goût.


Bien sûr, on me répondra que cette répétition est voulue, que la structure même du récit le veut, que c'est le principe de l'histoire.


Pour autant, je n'arrive pas à me dégager de l'impression que l'auteur s'est perdu dans ce qu'il voulait dire.
Une telle répétition m'a conduit à me poser des questions sur la raison d'être de l'œuvre. Existe-elle vraiment pour raconter une histoire, pour faire vivre quelque chose au lecteur ? C'est jouissif de parler, d'écrire, d'utiliser des mots. C'est attrayant de multiplier les théories, de se faire des nœuds au cerveau. Pour autant ce n'est pas mon truc. Cela me paraît trop creux, trop dénué d'humanité.
La grandeur de l'édifice nous fait oublier que les fondations n'ont rien d'exceptionnelles, Umineko sautant à pieds joints dans toutes les ficelles du shonen classique : le pouvoir de la croyance et de la pensée pour résoudre les problèmes, la question de la justice, l'importance de l'amitié, la puissance de l'amour… Pas grand-chose de neuf de ce côté, alors qu'il y avait pourtant matière à faire.


Umineko me semble être une œuvre qu'on apprécie non pas tant pour l'expérience de la lecture en elle-même, que pour toutes les possibilités de digressions qu'elle promet. C'est très beau de faire des labyrinthes sémantiques, mais s'il n'y a personne pour les habiter, moi cela ne m'intéresse pas.


Vous l'aurez compris, on peut résumer toute l'affaire en disant simplement qu'Umineko n'est pas une œuvre faite pour moi. Elle l'aurait peut-être été à un autre moment de ma vie, lorsque les thèmes qui la constituent auraient pu résonner chez moi. Bien sûr il y eut quelques beaux passages, quelques idées intéressantes… mais à l'heure du bilan, bien peu de choses restent, mis à part l'idée que la vérité avec un grand V est fondamentalement impossible.


C'est bien maigre pour autant d'heures investies.


C'est comme ces nuits entre amis où, l'alcool aidant, tu refais le monde pendant plusieurs heures. Tu as l'impression d'avoir sorti de grandes choses, d'avoir émis des vérités brutales, d'avoir exprimé quelque chose de controversé, de bien remuant. Pourtant le lendemain tu te lèves identique à toi-même, tu retombes dans les mêmes éléments, tu poursuis ta sobre existence, tout en t'auto-convainquant que ta vie est autre chose qu'une simple affaire de répétition.

Mellow-Yellow
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le 5 déc. 2021

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