Un jeu singulier et captivant, même 36 ans plus tard

Richard Garriott n’a pas froid aux yeux, et continue à remanier en profondeur sa série à chaque nouvel épisode. Il prend le contrepied du troisième épisode qui, s’il était très efficace, proposait également une approche très classique du concept de RPG (aller tuer le grand méchant qui veut conquérir/détruire le monde) , et il accouche ainsi avec Ultima IV d’un jeu radicalement différent des opus précédents.


Si la partie commence comme d’habitude par l’ingurgitation d’un manuel franchement consistant (2 heures de lecture et de prises de notes avant même de regarder le manuel de magie), on est frappé par l’accent qui est mis sur le lore au détriment d’explications claires sur les mécaniques de jeu. On y trouve effectivement peu d’informations factuelles sur les classes, les statistiques, la montée en niveau, bref sur les rouages internes du jeu à proprement parler. A la place, on se familiarise avec l’univers dans lequel on va être amené à évoluer, une contrée (Britannia) qui sort d’un âge de ténèbres après les évènements d’Ultima III, et qui cherche à atteindre une illumination culturelle, spirituelle et morale.


Et c’est là que vous intervenez, puisque vous avez été invoqué dans ce pays pour servir d’exemple à ses habitants en devenant l’incarnation de la vertu : l’Avatar. Enfin des vertus plutôt, car vous êtes invité à épouser les huit vertus majeurs qui sont étudiées dans les cités de Britannia : l’honnêteté, la compassion, le courage, la justice, le sacrifice, l’honneur, la spiritualité et l’humilité. Le manuel vous explique donc qu’il vous faudra adopter un comportement conforme à ces notions pour progresser sur le chemin de la quête de l’Avatar. Et vous voilà lancé.


La création de personnage est extrêmement intéressante, puisqu’elle se déroule au travers d’une série de question pour cerner votre personnalité, à la suite desquelles le jeu choisira pour vous votre classe et votre ville de départ. Le tout se fait sous la forme d’une séance de voyance onirique qui est un des premiers moments forts de votre partie.


Une fois votre personnage créé, votre enquête commence. Enquête parce que, si le manuel vous a expliqué le concept global du jeu, il va être de votre ressort de découvrir comment devenir ce fameux Avatar. Ici pas de marqueur de quête, pas de liste claire des actions à effectuer, et chaque étape de votre chemin vertueux sera le fruit d’une investigation auprès des habitants de cet univers. Pour ce faire, Richard Garriott a développé un système de dialogue très libre grâce à un text parser qui va reconnaître les mots que vous taperez sur votre clavier. Pour quelqu’un qui n’a jamais joué à des jeux d’aventure textuels, ça n’est pas forcément très évident à utiliser dans un premier temps, mais une fois qu’on a pris le coup de main ça devient un vrai plaisir de parler aux habitants de Britannia.


Car, si ce continent n’est pas si grand que ça, la profondeur du jeu provient de ce concept grisant d’enquête géante, qui va vous voir tirer les vers du nez de vos interlocuteurs. Plus on creuse, plus on découvre de nouveaux mots à aller soumettre à droite à gauche, et on navigue ainsi de ville en ville en quête d’explications et de sagesse. Les différentes couches du jeu se découvrent les unes après les autres, et fournissent à l’ensemble une densité et une épaisseur incroyable pour l’époque.


Le système des huit vertus imprègne tout le jeu, puisque pour progresser sur le chemin de chacune d’entre elle vous allez devoir agir en permanence en accord avec leur principe. Le moindre vol vous éloignera ainsi de la voie de l’honnêteté, et vous allez ainsi devoir conformer vos moindres faits et gestes à la noble position morale que vous poursuivez.


Au niveau du gameplay en lui-même, le jeu a continué à évoluer dans la bonne direction. Les débuts de l’aventure sont bien moins difficiles que dans les opus précédents, on peut dorénavant se reposer pour regagner de la vie, la montée en niveau se fait de manière plus simple, et le système de magie voit l’introduction d’ingrédients surnaturels permettant de lancer des sorts.


Et là on tombe sur le premier des défauts du jeu : si cette idée d’ingrédients magiques est séduisante, elle devient malheureusement extrêmement usante sur le long terme, puisque chaque sort doit au préalable être préparé avec des réactifs achetés en magasin avant de pouvoir être lancé. Et c’est tellement barbant au bout de quelques heures de jeu d’acheter puis de mélanger tous ces machins qu’on en vient à abandonner la magie au profit d’une bonne vieille arbalète. Bon l’augmentation de la difficulté en toute fin de parti vous fera bien lancer des sorts à nouveau, mais il est clair que la majorité de vos combats se dérouleront sans magie.


Ce qui m’amène au deuxième défaut du jeu : les combats. Oh ils sont encore meilleurs que ceux d’Ultima III, là n’est pas la question. Les donjons sont plus variés, les options plus nombreuses, et j’ai pris beaucoup de plaisir à les enchaîner pendant mes premières dizaines d’heure. Mais ils m’ont eu à la longue et j’ai fini par les trouver beaucoup, beaucoup, beaucoup trop nombreux ! Le pire étant que, vu que plusieurs compagnons vont vous rejoindre au fur et à mesure de votre périple, ils vont devenir de plus en plus lourds et du coup de plus en plus rasoirs. En effet, gérer jusqu’à 8 combattants dans le système de combat au tour par tour plutôt lent que propose le jeu, je peux vous assurer que ça devient épuisant.


Dernier défaut qui a un peu gâché l’aboutissement de cette aventure épique : le donjon final. Il est très dur, très long, et se conclue par une succession d’énigmes auxquelles il vous faudra apporter les réponses que vous aurez glanées lors de vos pérégrinations. Et si vous avez le malheur de vous tromper dans une des treize questions qui vous sont soumises, vous êtes éjecté vers la surface ! Et il vous faudra donc quelque chose comme deux heures trente pour re-parvenir à la zone finale, et faire un nouvel essai. Oh, et l’un de ces réponses est un agencement aléatoire de trois indices... Autant dire que j’ai sorti la soluce pour en finir rapidement, n’ayant pas l’intention de passer des heures et des heures à refaire ce parcours laborieux et chronophage.


(Je crois bien que ce défaut a été rectifié lorsqu’Ultima IV a été porté sur d’autres machines, mais je jouais à la version Apple II originale. )


Et c’est dommage, les qualités de ce jeu se révélant précisément lorsqu’on joue sans soluce, avec son calepin et son crayon, à noter tous les indices que daignent nous donner les personnes que l’on rencontre, et à les recouper entre eux. Il m’a fallu 91 heures pour parvenir ainsi à démêler l’écheveau, j’y ai pris énormément de plaisir, et le couronnement de tout ça aurait été d’être capable de voir le bout de mon aventure sans soluce. D’autant que je possédais toutes les réponses nécessaires, seul l’ordre me posait problème. Mais avec treize question, autant d’occasions de se tromper, et 2h30 de torture entre chaque essai, le choix était vite fait.


Mais Ultima IV reste quand même un très grand jeu, qui, malgré certains défauts usants, m’a fait vivre une aventure assez unique en son genre.


16/20

Jopopoe
8
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le 31 janv. 2022

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