Il s'est fait attendre ce Twelve Minutes. Depuis son trailer d'annonce, une horde de joueurs en manque de productions indés originales trépignait de découvrir ce qui se cachait derrière cette obscure histoire de boucle temporelle sur fond de petite soirée romantique pépouze en passe de virer au drame. Maintenant on sait.


En tout cas, maintenant je sais que la principale qualité de Twelve Minutes c'est bel et bien son ambiance, mais malheureusement pas son histoire. Parce que si je n'ai rien à reprocher au concept de boucle temporelle ni au gameplay (à la souris s'entend, car à la manette c'est vraiment pas une sinécure), si le voice acting est objectivement de grande qualité, si les DA minimalistes c'est plutôt mon truc, et si le sound design est de haute volée, c'est bien sur le scénario que je vais devoir m'attarder, car c'est lui qui m'a fait attendre ce jeu avec beaucoup d'impatience, puis qui a réussi à m'impliquer très fort pendant quelques heures, juste avant de me décevoir brutalement.


Je préfère insister : ça va spoiler sévère à partir de maintenant. Il faudrait tout mettre sous balise, ce serait moche, donc je préfère vous prévenir


Mes deux ou trois premières heures passés sur Twelve Minutes sont parmi les plus intrigantes et passionnantes que j'ai vécues devant un jeu vidéo. Qui est cette enflure qui force ma porte, accuse ma femme sans preuve d'un meurtre qu'elle nie avoir commis et m'étrangle quand je prends sa défense ? Comment en apprendre plus en si peu de temps ? Comment soutirer des informations à ces deux personnages qui en savent manifestement beaucoup plus que ce qu'ils acceptent de dire ?


Pendant un temps, tout cela s'articule à la perfection : grappiller quelques infos, changer l'ordre de mes actions, mourir, boucler, recommencer.
Tenter de prouver à ma femme que je ne suis pas en plein délire, y parvenir, boucler, recommencer.
Chercher des moyens de discuter avec ce "flic" véreux, en trouver par le biais de la fourberie, de la menace, de la violence et même de la torture pour en débloquer d'autres qui se dérouleront bien plus sereinement, dans l'échange plus que dans l’agression. Mourir quand même, boucler, recommencer.
Comprendre que ma femme a effectivement un lourd secret. La tuer pour voir où ça mène. Nulle part ? Tant pis. Boucler, recommencer.
Coopérer avec l'autre enflure, regretter très fort, boucler, recommencer.
Réaliser que ma douce n'est pas aussi coupable que tout le monde semblait le croire, essayer de le faire comprendre au "flic", réussir.... Boucler encore ? D'accord, donc c'est pas terminé. Tant mieux.
Recommencer, et là, réaliser que mon personnage aussi cachait quelque chose, boucler... Ok : click droit, pause !


Pause, parce que là on touche au génie. Je viens de comprendre. Mon perso sait tout, et volontairement, depuis le début, ne dit rien. Cet enfoiré ne veut pas le dire de lui-même, ce simple mot : "Dahlia".
Recommencer.
Mais pourquoi ne le dit-il pas ? Si je sais, il sait aussi. C'est le dernier truc qu'on n'a pas essayé pour sortir de la boucle. Foutu pour foutu, autant mettre un terme à tout ce bordel. Mais dis-le putain ! Si moi-même j'ai compris, c'est que tu es forcément au courant !


À mois que... non. En réalité, ce con n'est vraiment pas au courant. Et c'est là que tout s'effondre pour moi : mon perso ne sait pas pourquoi ni comment il est impliqué dans cette histoire, alors que moi je l'ai compris depuis un bon moment. Il va falloir lui faire comprendre aussi, donc ce n'est pas l'enflure calculatrice et amorale que j'espérais depuis quelques boucles, et peut-être même la personne à l'origine de cette mystérieuse boucle temporelle. Non, mon perso est juste un connard de protagoniste au rabais déjà vu mille fois : LE. PUTAIN. DE. HÉROS. AMNÉSIQUE !
Parce que si l'amnésie n'est pas le summum de la facilité d'écriture (à l'exception peut-être du "tout ceci n'était qu'un rêve" et du "en fait tout le monde est mort depuis le début"), faudra m'expliquer ce que c'est.


Alors d'accord, ce héros est amnésique pour une raison. On va bien sûr avoir droit à notre petit twist final téléphoné et sans saveur où l'on apprend que cette amnésie, c'est lui qui l'a choisie. Mais merde, j'ai déjà lu, vu et joué à ça en fait ! Ça n'enlèvera rien au plaisir de ces premières heures d'enquête et d'expérimentations violentes, mais... Je ne suis pas d'accord avec cette fin, et les autres fins optionnelles n'y changeront rien puisque qu'elles n'ajoutent pas de nouvelles pièces au puzzle. L'histoire aurait gagné, pour moi, à s'arrêter au moment où le joueur comprend qui est vraiment le protagoniste, au lieu de persister en essayant de justifier laborieusement cet état de fait.
Quand à la boucle temporelle, bah... Elle est juste là. Pas expliquée, pas justifiée, c'est un élément de gameplay, rien de plus.


Twelve Minutes c'est donc un début intense et passionnant, et une fin convenue, poussive et décevante. Est-ce qu'il n'y avait pas moyen de mettre le principe de la boucle temporelle au service d'un bien meilleur scénario ? Et un bien meilleur scénario au service de la boucle temporelle ?
Demandez à Outer Wilds.


Plot Twist : confession d'un mec qui se pensait plus intelligent et observateur qu'il ne l'est réellement...


Tu dois bien te marrer, ou fulminer, toi qui viens de lire cette critique qui ne reproche au jeu qu'une seule chose : son scénario limité, alors qu'en réalité c'est moi qui suis trop limité pour avoir compris son scénario. Je sais maintenant qu'au moment d'écrire ces lignes j'étais complètement passé à coté du truc. Je n'ai pas assez observé, ni assez déduit. Il y a autre chose derrière, que je ne voudrais pas spoiler ici (attention, je l'ai spoilé dans les commentaires par contre), mais qui change absolument tout.
Est-ce que cette autre chose, ces quelques détails que j'ai raté ou sur lesquels j'ai fait l'impasse, me rendent le jeu plus mémorable maintenant que je l'ai fini ?
Non, car tout ça je l'ai compris après coup, et pas en jouant à Twelve Minutes. Le mal était fait. Et que les choses soient claires : c'est bien moi qui ai fait du mal au jeu en ne le comprenant pas et en étant inutilement sévère, et pas l'inverse.
Est-ce que ce supplément d'explications rend le scénario plus intéressant ?
Considérablement. Et j'aurais bien aimé m'en rendre compte par moi-même, car je pense que ça aurait radicalement changé la donne de mon expérience.
J'ai beaucoup hésité à modifier ma note, même si je préfèrerais ne pas avoir à en donner une. Et finalement, ce qui me motive à le faire c'est d'être tombé sur pas mal d'autre tests et critiques de joueurs qui sont aussi passé à coté. Je comprends ceux qui lui reprochent sa rigidité et la façon parfois laborieuse qu'il a de laisser le joueur trouver ce qu'il doit faire. Mais moi, je ne lui fais pas ce reproche car ça ne m'a jamais dérangé dans ma progression. J'ai aimé expérimenter, tâtonner et progresser lentement.
Mon problème à moi, c'était seulement l'écriture. Et finalement, cette écriture est bien plus élégante que je ne le pensais.
Donc voilà : 6/10 c'était la note donnée par un joueur qui a aimé l'ambiance, le gameplay "à tâtons" mais pas l'histoire.
7/10, c'est la note donnée par un mec qui ne pourra jamais en vouloir à un jeu vidéo d'avoir été plus intelligent que lui, car en réalité c'est tout ce que j'attends de leur part.

Yare²Daze
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le 21 août 2021

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Yare²Daze

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