The Red Strings Club est un jeu d'aventure du studio espagnol Deconstructeam, déjà connu pour son précédent jeu Gods will be watching (non essayé pour ma part). On le considère volontiers comme un visual novel en 2D rétro entrecoupé de phases de gameplay assez légères, ce qui en fait un jeu avant tout porté sur la narration.



Mise en situation



L'action se déroule dans un monde cyberpunk où le transhumanisme est devenu une réalité, beaucoup de personnes ayant fait le choix de se faire "augmenter" par des implants chirurgicaux leur permettant de booster leur intelligence, réguler leurs émotions, etc. On y incarne Akara-184, une androïde douée d'empathie dont la tâche est de fabriquer les implants qui répondront à la demande des clients d'un conglomérat nommé Supercontinent Ltd ; Brandeis, un humain implanté spécialiste du piratage ; et surtout Donovan, un barman non-implanté propriétaire du club qui donne son nom au jeu.


Très vite, nos trois héros, qui formeront une équipe, apprendront que Supercontinent Ltd a mis au point une future mise-à-jour de tous les implants en circulation nommée Bien-être Psychique Généralisé et ayant pour but de supprimer toute émotion "maladive" : dépression, haine, angoisse... Ces mêmes héros chercheront alors à en savoir plus sur ce projet puis entreprendront de le saboter, le considérant comme une gigantesque entreprise de lavage de cerveau.


L'action du joueur consiste donc, en tant qu'Akara, à fabriquer les implants de son choix pour répondre – ou non – aux attentes de ses demandeurs ; à réaliser des opérations de piratage en tant que Brandeis ; et à servir différents cocktails à ses clients en tant que Donovan, sachant que ces derniers modifieront leur état d'esprit et influenceront les réponses qu'ils donneront à ses questions – le hasard faisant bien les choses, tous ses clients ou presque seront des collaborateurs de Supercontinent Ltd.



Gameplay



Concernant le gameplay, modeler des implants et concevoir des cocktails sont des actions relativement basiques et pas toujours très ergonomiques – on a parfois reproché au jeu ses airs de jeu en ligne utilisant Adobe Flash. Un peu dommage pour cette édition Switch qui aurait pu, pourquoi pas, utiliser un peu de motion gaming, par exemple lors de l'utilisation du shaker. Pour une fois que secouer son contrôleur aurait eu du sens... Pas bien grave puisque, comme on l'a dit, là n'est pas le cœur du jeu ; mais que ceux qui ne seraient pas venus quasi exclusivement pour s'intéresser à l'histoire sachent qu'ils peuvent passer leur chemin : il n'y aura quasiment rien pour eux. La phase de piratage informatique est quant à elle davantage proche d'un point'n'click traditionnel et repose sur une résolution d'énigme intéressante mais qui peut se révéler un peu laborieuse une fois noyé sous les indices.


Mais la partie centrale du gameplay réside dans l'orientation que donnera le joueur aux conversations, selon les questions qu'il voudra aborder ou non (on a parfois plusieurs occasions de les poser, parfois non) et selon l'état d'esprit dans lequel il aura mis ses clients auparavant. Comprenons-nous bien : il n'y a pas de game over possible, mais on peut passer à côté de certains éléments du scénario ou de certaines informations qui nous auraient simplifié la tâche lors des conversations suivantes (par exemple en nous évitant de cramer une question dont on connaît déjà la réponse). Et il n'est pas toujours facile de deviner si les conditions sont bien réunies pour obtenir la réponse que l'on souhaite – là encore, parfois le jeu vous met sur la voie, parfois non. Résultat, on se rend compte souvent après coup des erreurs que l'on a commises et la sauvegarde automatique ne vous permet pas de revenir en arrière : une part d'aléatoire qui peut se révéler un peu frustrante. Cela favorise certes la rejouabilité, mais il faudra tout de même se taper des kilomètres de textes en avance rapide, une grosse quantité d'entre eux restant les mêmes quels que soient nos choix. Sans compter le fait qu'il faudra se souvenir de ceux que l'on a faits lors de sa partie précédente.


Quant à l'influence de ces choix sur la trame générale elle est, finalement, assez secondaire. Vous pouvez provoquer tel ou tel événement, mais guère modifier le dénouement final. Un fait qui correspond, peut-être, à l'un des propos du jeu qui est la fatalité.



Anticapitalisme, morale et fatalité



On se rend assez vite compte que le duo principal – Brandeis et Donovan, Akara étant un peu à part du fait de sa nature d'androïde – n'a pas de mots assez durs contre les conglomérats et les « salauds de capitalistes », Brandeis ayant même des sympathies pour un groupe de révolutionnaires. Pourtant The Red Strings Club ne se réduit pas à un pamphlet anticapitaliste : les collaborateurs de Supercontinent Ltd ont des personnalités complexes, loin d'être des monstres de cynisme avides de profits, et tâcheront lors de leurs conversations avec Donovan de défendre leur travail et leur groupe, tout en émettant des réserves sur tel ou tel aspect de sa stratégie. De ce point de vue, Donovan se révèle être un sceptique sans pour autant être dénué d'empathie et toujours prêt à écouter (même s'il y trouve également un intérêt plus ou moins avouable). Ainsi, Supercontinent Ltd apparaît avoir effectivement participé à des opérations d'intérêt général, comme la lutte contre la corruption au sein de la police.


Par ailleurs, Akara-184 posera régulièrement des questions à Donovan – et indirectement au joueur – non seulement pour vérifier s'il a bien tiré les bonnes conclusions de ses conversations avec ses clients, mais aussi pour lui demander son opinion. Or Akara-184 est relativement neutre idéologiquement et fera des commentaires basés sur des données purement factuelles selon les réponses que le joueur aura données. C'est souvent intéressant, et cela donne à réfléchir.


À un bémol près : lors de la petite expérience de pensée qui sera présentée ci-après, Akara-184 demande à Donovan s'il faudrait supprimer l'oppression des femmes dans notre société. Là, le jeu propose une troisième réponse en sus des traditionnelles « Oui » et « Non » : « Les femmes ne sont plus opprimées de nos jours ». Ce à quoi Akara-184 répondra que Donovan (donc le joueur) est stupide, et passera à la question suivante sans développer. Un reproche gratuit assez malvenu alors que la qualité de l'androïde jusque-là était d'expliquer la logique sous-jacente derrière tel ou tel phénomène. Certains féministes ricaneront peut-être avec les développeurs, les autres y verront une vilaine faute de goût.


Ainsi, Akara demandera à Donovan ce qu'elle devrait faire si elle venait à prendre le contrôle du Bien-être Psychique Généralisé : empêcher les viols ? les meurtres ? les discriminations diverses et variées ? Or pour ne pas être taxé d'hypocrite, il faudra répondre par la négative à toutes ces questions – un radicalisme qui ne va pas de soi...


Enfin, et c'est peut-être l'aspect que j'ai le plus apprécié, cette histoire baigne dans une superbe ambiance visuelle et surtout sonore : le temps pluvieux lors de la séquence finale ou le thème principal au piano qui parcourt le titre sont au diapason du sentiment de fatalité dont je parlais un peu plus haut. On pense à la mélancolie qui traverse un film comme Blade Runner, trouvant ici son paroxysme lors de l'écran de fin qui demande au joueur de servir un ultime cocktail...



Conclusion



The Red Strings Club est avant tout un jeu narratif qui interroge la moralité du joueur, le tout porté par une ambiance mélancolique très réussie, aussi bien visuellement que musicalement. On pourra cependant lui reprocher un gameplay assez peu ergonomique et une rejouabilité qui se heurte à de très nombreux dialogues qui seront identiques d'une partie à l'autre – bien que le jeu, en lui-même, soit assez court.

Créée

le 31 janv. 2020

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