*Lien pour le même billet sur mon blog avec la mise en page à la fin*

Lorsque j'ai découvert The Longest Journey un week-end de septembre, je ne connaissais que sa réputation excellente. Quelques images oniriques avaient suffi pour me pousser à l'achat. Un week-end entier fut englouti dans le monde de The Longest Journey. Retour sur cette oeuvre exceptionnelle.

Commençons par présenter ce jeu à ceux qui ne le connaissent pas. The Longest Journey est un jeu d'aventure point&click réalisé par le studio norvégien Funcom et supervisé par Ragnar Tornquist. Il offre un gameplay d'un grand classicisme : on traverse des tableaux fixes à la recherche des personnes à qui parler ou des éléments avec lesquels interagir. Un inventaire est aussi présent pour stocker les objets nécessaires à certaines manipulations. Les dialogues sont présentés de façon statique en liste. Certains sont obligatoires, d'autres facultatifs. Je finis en mentionnant la durée de vie remarquable : il m'a fallu un week-end entier pour le terminer. Comptez donc 20 bonnes heures minimum.

Je vous préviens que la suite de ce billet comprend des révélations plus ou moins importantes et je ne peux que conseiller à tous ceux qui souhaitent jouer à The Longest Journey de l'acheter tout de suite (8 € sur GOG.com). Pour les autres, vous pouvez continuer à lire mon pavé. Il ne s'agit pas d'un test, The Longest Journey n'ayant plus besoin d'être testé depuis longtemps mais plutôt d'un mélange savant entre impressions et analyse. (Traduction : j'écris au fur et à mesure de mes pensées.) Comme dans mon billet sur Mass Effect, je vais structurer mon propos en plusieurs points pour expliquer pourquoi The Longest Journey m'a marqué.


1/ Une extraordinaire héroïne ordinaire

Félicitations si vous avez réussi à lire le titre sans fourcher !
Les héroïnes dans le jeu vidéo sont rares et obéissent plutôt au modèle Lara Croft : décolleté plongeant, déhanché sexy et/ou autres caractéristiques séduisant tous les mâles passant par là. Récemment Faith, le personnage principale de Mirror's Edge (DICE, studio suédois), a tenté de modifier un peu les habitudes, sans grand succès à mon avis. Mais Faith n'est que la descendante d'une héroïne dont le charisme ne se mesure pas avec la taille de son bonnet. Huit ans avant elle, April Ryan séduisait de nombreux joueurs.

April est étudiante en arts et possède un certain talent pour la peinture. Elle vit dans un foyer, the Border House (désolé pour les termes en anglais), où vivent d'autres étudiants. Elle travaille dans un bar pour gagner sa vie, a des amis, dort en sous-vêtement, aime la mode et pourrait être une jeune fille de 18 ans lambda.
Je dis bien 'pourrais' car nous nous rendons compte qu'elle ne l'est pas. April a des rêves de plus en plus forts dès le début du jeu dans lesquels elle interagit. Nous apprenons aussi qu'elle a quitté ou plutôt fui sa famille pour s'installer à Venice, un quartier de Newport. Très vite, April devra faire face à son destin qu'elle aura du mal à accepter et qu'elle subira avant d'en devenir maître. Entre le temps de l'étudiante ordinaire du début et celui de l'héroïne extraordinaire à la fin, April aura vécu un long voyage en notre compagnie, narré dans son journal intime. Nous serons ainsi témoin de la transformation d'April qui deviendra votre amie.
Une prouesse remarquable puisqu'April ne sera qu'un ensemble de pixels assez grossiers tout le long du jeu !


2/ Mature, vous avez dit mature ?

Ah la maturité dans un jeu vidéo... Il y a des sujets qui me font toujours sourire sur les forums. La maturité dans le jeu vidéo en est un car généralement directement inspirée de la classification américaine M pour Mature équivalente à notre 18+. Que c'est beau de lire que les jeux sont matures quand ils se contentent généralement d'envoyer du 'sang, de la chique et du mollard'. The Longest Journey est-il mature (dans le vrai sens) ou non ? Sans doute mais je m'en moque, cette intro était surtout là pour vous accrocher, vous lecteurs ! Si le jeu ne souhaite réellement approfondir aucun thème, des thématiques diverses seront abordées. The Longest Journey se veut résolument être un jeu contemporain.
D'emblée, dès les premières minutes, l'homosexualité sera abordée. La gérante de la pension passe ainsi des nuits merveilleuses avec sa partenaire. Le savoir n'a aucun intérêt pour la suite de l'aventure mais ce sujet reviendra plusieurs fois dans la conversation ! Autre sujet sexe (hop, le nombre de visites augmente), votre meilleure amie enchaîne les aventures d'un soir avec des individus plus ou moins fréquentables et son comportement inquiète ses proches. Mais c'est une jeune femme forte qui s'en sort. Autre exemple, le voisin de palier d'April ne souhaite qu'une chose : la mettre dans son lit. The Longest Journey aborde sans complexe un thème pourtant tabou dans le milieu du jeu vidéo.

Autre thème présent dans The Longest Journey : la famille. April a fui son père; son meilleur ami Charlie est également parti de chez lui pour réaliser son rêve, devenir danseur. Au cours de l'aventure, April aura d'ailleurs l'occasion de téléphoner à sa mère. Séquence émotion. Très régulièrement, cette séparation sera abordée.

L'amitié et l'importance des amis est également un fil rouge dans The Longest Journey. Simplement au début en tant qu'étudiante vivant avec des amis et puis des questions plus importantes vont se poser. April peut-elle se confier à ses amis ? Ne va-t-elle pas les impliquer dans son aventure ? A qui peut-elle faire confiance ? Posées ainsi, ces questions peuvent paraître puériles mais il faut bien se souvenir que The Longest Journey prend le temps de construire ses personnages, leur histoire, leurs relations. La durée de vie, un élément bien froid, prend ici toute sa dimension. Tous les personnages gagnent une profondeur qu'ils n'auraient pas sinon.
L'amitié avec l'oiseau Crow sera également primordiale dans la seconde moitié du jeu. Alors qu'April pourrait être seule, Crow est un ami sur lequel vous pouvez compter, parler. Ses plaisanteries vous feront sourire alors que vous vous battez pour que le monde ait un futur.

Je peux également mentionner des réflexions sur l'art, la religion, la peur de l'autre, la guerre et les voyages bien sûr (je reviendrai dessus plus tard). Et d'autres. Aucun ne sera abordé explicitement car tous s'intègrent simplement dans l'histoire . C'est pour cette raison que je qualifie The Longest Journey de jeu moderne.

Attention, mon qualificatif moderne pour un jeu n'est pas temporel et un jeu de 2010 n'est pas moderne obligatoirement.


3/ La mort fait partie de la vie

April vit un long voyage initiatique, à la découverte des mondes et d'elle-même. Lorsque vous partez à la découverte de la vie, il est certain que vous serez confrontés à la mort. The Longest Journey comprend peu de décès mais chacun touchera April et vous indirectement. Il n'y a pas de mise en scène dramatique et vous apprendrez même le décès d'un ami par une tierce personne. Mais April doit continuer son voyage malgré les pertes d'êtres proches. Et si ce n'est pas la mort, c'est son destin qui obligera April à se séparer d'autres amis.


4/ Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Je ne pouvais évidement pas oublier le thème du voyage. Le titre du jeu, The Longest Journey, signifiant Le plus long Voyage alerte immédiatement le joueur. L'aventure qui attend April Ryan n'est pas anodine : voyager entre deux mondes et sauver le futur de ces deux mondes. Alors qu'Ulysse voyage pour revenir chez lui, April abandonne son quotidien pour l'incertain. Cette différence est cruciale dans le ton de l'aventure. April comprend petit à petit qu'elle ne reverra probablement jamais son 'chez elle' et accepte son sacrifice pour restaurer l'équilibre entre les mondes. Il s'agit également d'un voyage à la découverte d'elle-même, de ses origines, de ses pouvoirs et de ses responsabilités. Un très long voyage.
Comme Ulysse, April traversera diverses régions, rencontrera de nombreuses personnes, amicales ou hostiles et liera des amitiés éphémères. C'est aussi ça la beauté des voyages.


Je vais maintenant quitter les thèmes aborder par The Longest Journey pour m'intéresser au jeu en lui-même. J'espère que vous êtes encore là pour me lire !


5/ Un univers original et mystérieux

Ah les univers dans le jeu vidéo. Il s'agit pour moi de l'élément primordial d'un jeu, celui auquel il faut consacrer toute son attention. S'il est profond, cohérent, le joueur se sentira immergé complètement et sera même prêt à pardonner diverses erreurs.
The Longest Journey possède un tel univers. Après un rêve agité dans un lieu mystérieux avec des arbres qui parlent et des dragons, April se réveille dans son monde : Stark. Il s'agit de la Terre en l'an 2200 et quelques (je ne me souviens plus de la date exacte). April habite dans un quartier (Venice) de la mégalopole Newport. Venice était une ancienne zone industrielle et maintenant un quartier où vivent des jeunes. Son nom provient bien sûr de la présence de canaux, très pollués, rappelant Venise.
Venice est un petit havre de paix par rapport aux autres quartiers de Newport. Les bas quartiers sont peu recommandables avec des drogués et des gangs un peu partout. Les quartiers chics ne sont accessibles que pour les citoyens de classes supérieures. Certes, cette ville futuriste n'est pas des plus originales mais elle est très crédible.
Stark est un monde de science, à la technologie évoluée. April apprendra au cours de son aventure qu'un autre monde existe, Arcadia, où la magie domine. Ces deux mondes ne faisaient qu'un autrefois mais ont été séparés il y a très longtemps. Entre les deux mondes, entre l'ordre de la science et le chaos de la magie, un Gardien assure l'équilibre.
Je ne vais pas m'étendre sur la description des mondes et les divers peuples qui habitent dans Arcadia. Le mieux est vraiment que vous y jouiez ! Cette diversité m'amène à mon point suivant.


6/ Une véritable mythologie

Stark et Arcadia ne se contentent pas d'être riches à l'instant T mais chacuns ont leur passé et leurs mythes dans le cas d'Arcadia. April partira à la rencontre de peuples magiques et apprendra leur histoire. Je pense en particulier à son passage sur les îles des Alatiens avec leurs contes. Une véritable mythologie est ainsi créée et donne une grande profondeur à The Longest Journey. Nous ne sommes plus dans un jeu d'aventure mais nous vivons une aventure dans un monde.
Quand j'ai fini The Longest Journey, j'ai pensé à un livre, un monument de la fantasy : Le Seigneur des Anneaux. Comparer The Longest Journey à l'oeuvre de Tolkien peut paraître osé pour certains et pourtant, les deux sont bien similaires. Voyage, initiation, monde nouveau, mythologie nouvelle, voilà quelques points communs entre eux. Bien sûr The Longest Journey n'arrive pas à atteindre la même profondeur à cause de la différence entre les médias mais il est en quelque sorte son équivalent dans le jeu vidéo.
Vous pensez toujours que j'exagère alors intéressons-nous succintement au scénario et surtout à l'évolution d'April au cours de l'aventure et pendant sa suite, Dreamfall.


7/ Un scénario riche et profond

Riche, profond, dense, je me répète mais ce sont les qualités que possède The Longest Journey et qui le rendent si exceptionnel. Un mot sur le scénario. April a des rêves d'un monde magique de plus en plus forts et commence même à voir des phénomènes anormaux dans le monde de Stark. Elle apprendra via un personnage mystérieux, Cortez, l'existence d'Arcadia et qu'elle a le pouvoir de voyager entre les deux. Elle est un Shifter. Elle apprend aussi que l'équilibre entre les deux mondes est en train de disparaître car le Gardien n'assure plus son rôle ! Elle devra retrouver des artefacts magiques pour rétablir l'équilibre avant que la secte ennemie réalise son objectif : réunir les deux mondes ce qui conduirait au chaos. Voilà pour les très grandes lignes.
April va donc apprendre, grandir, mûrir au cours du jeu. Le scénario n'est pas une simple histoire mais il s'agit d'un véritable travail d'écriture avec une évolution des personnages. Dreamfall est d'ailleurs dans la continuité. Ecoutez (ou lisez plutôt) ce que dit Ragnar Tornquist :

[quote]
I look at The Longest Journey as a three-part structure, where you have the opening which is sort of naive... actually the comparison I've used is April in the first one is the young inexperienced Frodo, you know? In the second she is more the Aragorn type character
[/quote]
Vous comprenez maintenant pourquoi ma référence au Seigneur des anneaux n'est pas dénuée de sens.
Je me dois de mentionner également une seconde fois le journal intime d'April qui contient la vision d'April sur sa propre aventure. Ecrit au fur et à mesure, il est un roman dans le roman qui mérite d'être lu.

Je vais maintenant conclure ce long billet par un dernier point, peut-être le plus intéressant et celui qui mériterait d'être approfondi dans un autre billet.


8/ L'école de l'écriture vs l'école du cinéma

Je l'ai déjà mentionné mais je vais me répéter : The Longest Journey comprend de très nombreux dialogues à écouter ou à lire. Il est un des représentants de ce que j'appelle l'école de l'écriture aux côtés d'autres jeux très riches en textes intéressants. Je pense aux RPG occidentaux par exemple (Fallout, Planescape Torment). Mes septs points précédents ont en quelque sorte expliqué ma définition de l'école de l'écriture.
Pour je l'oppose à l'école du cinéma ? Qu'est-ce que j'entends par école du cinéma d'ailleurs ? Cette école est devenu la vision du jeu vidéo prépondérante à l'heure actuelle avec le soin à la mise en scène et au rythme de l'action. De très nombreux développeurs ne se cachent pas de s'inspirer du cinéma.
Je les mets en opposition car l'école de l'écriture a disparu au profit de l'école du cinéma et je le regrette. J'aimerais que ces deux écoles co-existent mais je ne me fais guère d'illusions. Vous l'aurez compris à la lecture de cet article, l'école de l'écriture est directement inspirée des romans alors que celle du cinéma s'inspire des films. La course technologique dans le jeu vidéo a petit à petit tué l'école de l'écriture qui ne met guère en valeur la réalisation technique d'un jeu au contraire de l'école du cinéma. Attention, je ne dis pas qu'il est impossible de réaliser des jeux vidéos de l'école du cinéma aussi profonds mais ils nécessiteraient un investissement financier très important et même trop important à l'heure actuelle. Des sacrifices doivent être effectués et c'est bien sûr le point le moins visible aux yeux qui est le plus touché : l'écriture.
C'est en partie Dreamfall qui me pousse à parler de ces écoles car il tend lui-même vers l'école du cinéma. Il est en quelque sorte entre les deux, The Longest Journey l'obligeant à ne pas renier ses origines.


Je suis maintenant à la fin de mon billet. J'espère que je n'ai pas perdu trop d'entre vous en cours de route et je félicite ceux qui ont lu jusqu'ici. Je suis déjà heureux d'avoir écrit ce texte qui est mon hommage à The Longest Journey et si j'ai pu partagé ce formidable voyage d'April Ryan avec d'autres, alors mon bonheur sera plus grand.
Neutrino
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le 4 oct. 2010

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