Dire que je n’attendais pas ce nouveau Zelda serait vous mentir. Éhontément.
Après le coup de maître que fut Breath of the Wild en 2017 ; coup de maître qui a consisté – excusez du peu – à renouveler considérablement une saga phare du jeu vidéo ainsi qu’un genre en son entier ; force fut de constater pour beaucoup de monde que Nintendo avait encore du savoir-faire et des idées à revendre, pour moi y compris…
Pour vous dire, j’avais à cette époque arrêté de jouer aux jeux vidéo, et c’est ce Breath of the Wild qui a su me remettre le pied à l’étrier.


Après un tel succès, artistique, commercial, comme critique, rien d’étonnant à ce que la firme kyotoïte ait annoncé une suite à peine deux ans plus tard, en juin 2019.
Le trailer diffusé à cette époque annonçait alors très clairement la couleur. Sortant sur la même plateforme et avec le même moteur graphique ; la même base de gameplay ainsi que le même bestiaire que son prédécesseur ; cette suite ne comptait pas tout reprendre de zéro. Et connaissant Nintendo, s’il entendait se préserver d’un tel effort, ce n’était certainement pas pour se reposer sur ses lauriers, mais bien pour mobiliser toute son énergie dans le but d’explorer une voie nouvelle plus ambitieuse ; plus audacieuse… C’était en tout cas ce qu’avait su être Majora’s Mask en son temps.


Développé dans la foulée du légendaire Ocarina of Time, Majora’s Mask était lui aussi sorti sur la même plateforme que son prédécesseur, avec le même moteur graphique, la même base de gameplay, le même bestiaire… Et avec le résultat qu’on connait.
Parce que Majora’s Mask, pour moi, c’est encore aujourd’hui le meilleur épisode qu’ait connu la saga ; un jeu qui avait quinze ans d’avance sur son temps et qui a ouvert la voie à son époque à tout un champ nouveau d’expression au sein du medium.
Ce Tears of the Kingdom, en se lançant sur une voie similaire, ne pouvait dès lors que nourrir de très grands espoirs. Grands espoirs parce que Nintendo. Grands espoirs parce que Zelda. Mais aussi et surtout grands espoirs parce que six ans d’attente pour un projet qui n’avait pas à s’embarrasser du gros-œuvre technique.
Alors oui, je l’attendais beaucoup ce Tears of the Kingdom. Et j’en attendais beaucoup…
…Et au vu de la ruée qui s’est opérée sur ce jeu le jour de sa sortie, je n’étais manifestement pas le seul à nourrir de telles attentes.


Par rapport à ça, c’est peu dire si les premières minutes de ce Tears of the Kingdom ont su me faire espérer le meilleur.
On lance le jeu. Le nom de la firme nippone apparait sobrement d’une fine écriture blanche sur fond noir, puis c’est au tour du titre du jeu – même police minimaliste, même silence religieux – puis le jeu commence directement. On est aux commandes de Link, au fond d’une galerie obscure, torche à la main, en compagnie de la princesse Zelda. Ceux qui se seront hasardés à visionner le trailer retrouveront tout de suite la promesse que celui-ci avait su entretenir chez les joueurs : ambiance lugubre, plongée dans les ténèbres, et découverte d’un mal autre que celui de Ganon… Que du bon.


L’air de rien, en termes de mise en scène, cette introduction, elle pose quand même de sacrées gonades sur la table. Alors que la mode au sein des Triple A est, depuis un certain temps, de vouloir en foutre plein les mirettes avec des scènes aussi spectaculaires visuellement qu’elles se révèlent totalement inopérantes en termes de narration et d’initiation aux mécaniques de jeu, Tears of the Kingdom rappelle toute la force de jouer de la carte du minimalisme, de la sobriété, du mystère et surtout de l’attente.
Cette descente dans le gouffre, elle est tellement génératrice de tension – et elle est tellement signifiante en termes de symbolique par rapport à ce que pourrait être la démarche de ce jeu – que je l’ai trouvée d’une remarquable maitrise. Parce que l’air de rien, par la manière dont se termine cette séquence introductive…


(dans les cieux, alors qu’on n'avait cessé jusqu’alors de s’enfoncer dans les entrailles d’Hyrule)


…le jeu semble annoncer l’idée cardinale autour de laquelle il entend dynamiter sa formule initiale : la verticalité.
Autant dire que ces premières minutes ont su me brosser dans le sens du poil…
Et pourtant…


Et pourtant, à peine le flamboyant écran-titre passé et les pieds de Link posés à nouveau sur le sol que les premières raisons de me dégriser se sont très rapidement faites jour…
Ah tiens ? Une île céleste « du Prélude » ? Comme le Plateau du Prélude dans Breath of the Wild ? …Bon après tout pourquoi pas. C’est vrai qu’il faut bien commencer par une phase d’initiation – j’entends bien – et la formule du précédent opus était effectivement des plus efficaces… Mais de là à reprendre la formule telle quelle ? …Avec le même nom qui plus est ?
…Un choix qui en annonce malheureusement tellement d’autres.


Quelques minutes plus tard voilà qu’apparait celui qui sera notre grand guide au sein de cette Île du Prélude. Et ce grand guide ne sera nulle autre que… Le spectre d’un ancien roi d’Hyrule.
Un spectre d’ancien roi d’Hyrule ? …Sérieusement ? …Toujours comme Breath of the Wild ?
Et qu’apprends-je ? Je dois me rendre au Temple du Temps ? Puis je dois me rendre dans les quatre sanctuaires dédiés à mon initiation ? …Et attendez ! C’est quoi ce truc à paillettes qui parcoure ce carré d’herbe ?! Non ne me dites pas que… Oh putain si ç’en est un ! Un Korogu ! Un putain de fucking Korogu ! Ah mais la vache ! Tout mais pas ça ! Ne me dites pas qu’ils en ont mis partout pour boucher les vides de leur map comme dans Breath of the Wild !
…Ah bah si, ils l’ont fait.


Parcourir cette zone du Prélude c’est vraiment enchainer les désillusions.
Parcourir cette zone, c’est prendre progressivement la mesure de ce que va être ce Tears of the Kingdom : une simple déclinaison de Breath of the Wild avec pour seule proposition singulière que celle qui va être offerte par les nouvelles compétences pouvant être acquises avec la tablette sheikah, tout le reste ne se réduisant qu’à un simple ravalement de façade visuel…
Et encore… Parlons-en tout de suite de ces nouvelles compétences offertes d’entrée de jeu.


Emprise qui permet de déplacer des objets et de les coller entre eux.
Amalgame qui permet de fusionner des objets…
Rétrospective qui permet d’inverser le sens de certains mécanismes ou objets.
Et Infiltration qui permet de traverser les parois qui se trouvent au-dessus de nous.


Sitôt les utilise-t-on, ces nouvelles compétences, qu’on se rend très vite compte qu’il s’agit en fait là de vraies fausses nouveautés.
« Vraies fausses nouveautés » parce que, dans les faits, on ne fait que retrouver plus ou moins des fonctions déjà présentes dans l’épisode précédent, ne leur ajoutant généralement qu’une petite option supplémentaire, laquelle pouvant apparaitre dans un premier temps comme une vraie possibilité d’ouvrir un nouveau champ de possibilité mais qui, à la longue, rend juste les tâches du premier opus plus fastidieuses – pour ne pas dire laborieuses – à accomplir dans ce second volet.


C’était pourtant la grande promesse que nous communiquait Nintendo à quelques semaines de la sortie de son jeu : la capacité à combiner à volonté et de « laisser vraiment la main au joueur »... Or le problème, c’est qu’en ce qui me concerne, cette « main laissée » franchement, je m’en serais bien passée.
Avant, dans Breath of the Wild, on trouvait des armes et on devait réfléchir à la manière la plus efficiente de les utiliser. Dans ce Tears of the Kingdom, on continue de trouver des armes mais, dans certains cas, il faudra prendre la peine de fabriquer celles dont on aura besoin.
Même chose en ce qui concerne les épreuves de sanctuaires ou de donjons. Avant, dans Breath of the Wild, un mécanisme était là et devait être activé convenablement pour résoudre l’épreuve. Maintenant, dans Tears of the Kingdom, il y a toujours les mêmes mécanismes, mais c’est juste que maintenant il faut parfois les construire avant de les résoudre.
Ça pourrait être sympa s’il y avait une vraie marge de créativité laissée là-dedans. Mais, en ce qui concerne, j’avoue que cette marge, je peine à la trouver ou – pour être plus exact – je peine à en voir l’intérêt.


Parce qu’au bout du compte, puisqu’on tombe plus ou moins sur les mêmes ennemis, les mêmes obstacles, les mêmes logiques de jeu que dans Breath of the Wild, la tentation première d’un joueur – en tout cas ça a été la mienne – c’est de ne pas s’emmerder avec ces nouveautés et de la jouer à l’ancienne. Et à partir du moment où ça marche et que rien ne vient nous obliger à sortir de notre zone de confort, eh bah la marge de liberté laissée par le jeu elle semble là juste pour faire joli ; juste pour celles et ceux qui ont envie de se prendre le chou inutilement.


Parce que moi ça m’a franchement pris le chou de fabriquer des trucs… Et qu’on s’entende bien tout de suite : je ne suis pas de ces joueurs qui se plaignent de la fabrication de trucs dans ce Tears of the Kingdom parce qu’en général ils n’aiment pas fabriquer des trucs dans un jeu. Par exemple, Minecraft, moi j’ai adoré, et j’ai notamment adoré pour cet aspect-là. Mais là, dans ce jeu-là, en ce qui me concerne, ça ne passe juste pas. Et si ça ne passe pas, c’est clairement pour deux raisons.


La première raison, c’est qu’à l’usage, ces outils de fabrication, ils sont quand même sacrément pénibles d’utilisation.


Entre la rigidité des commandes et le caractère très contre-intuitif du système de rotation d’objets du côté d’ Emprise et de l’autre la nécessité qu’impose Amalgame de sortir d’abord les objets qu’on veut fusionner puis de les poser au sol avant de les assembler, on se retrouve avec des tâches qui se révèlent bien trop longues et fastidieuses à exécuter par rapport au bénéfice qu’elles apportent vraiment pour que ça nous donne envie de solliciter régulièrement ces fonctionnalités.


Et puis s’associe à cette première raison une deuxième que je ne peux m’empêcher de considérer comme tout aussi problématique, voire plus : c’est tout simplement le fait que le monde proposé par ce Zelda ne soit pas adapté à ces fonctionnalités-là.
En vrai, hors du cadre des sanctuaires, ces fonctionnalités de fabrication ne sont jamais vraiment indispensables, y compris en plein cœur de l’aventure. A part dans les cas très ponctuels de missions de sauvetage, elles ne produisent jamais un avantage suffisamment décisif pour qu’elles donnent envie de se confronter au caractère fastidieux de leur usage.
Et puis au fond, à bien y regarder, même au sein des sanctuaires où les épreuves sont clairement pensées pour forcer (voire pour initier) à leur usage, je trouve qu’en définitive ça ne fait que rajouter du superflu aux mécaniques posées précédemment par Breath of the Wild.


Il suffit d’ailleurs de prendre le premier sanctuaire de chaque jeu pour s’en rendre compte.
Dans celui de Breath of the Wild il s’agissait de nous familiariser avec Polaris et pour cela, le sanctuaire nous laissait avec un précipice et une longue plaque de métal. Face à ça, je pense qu’on a tous fait pareil : on a enclenché Polaris, on a alors vu qu’on pouvait interagir avec la plaque. Du coup on la saisit et on la dispose au-dessus du précipice. Didu-Diduding nous annonce alors la petite musique. Ça a duré deux minutes et on a tous fait « Ouah ! Malin… »
Dans le premier sanctuaire de Tears of the Kingdom, on nous dispose là aussi un précipice, mais ce coup-ci il est d’une longueur de deux plaques. On lance notre nouveau pouvoir. On se rend compte qu’on peut interagir avec deux plaques. On finit par découvrir plus ou moins par accident qu’on peut, grâce à ce nouveau pouvoir, les coller l’une à l’autre – on se dit « Ouah ! Malin… » – et puis vient le moment de la mise en application… On essaye de coller les plaques. La première fois ce n’est pas droit alors on recommence. On met un peu de temps avant de comprendre comment on détache les plaques. Ah putain elles sont tombées dans le précipice ! On va les rechercher une à une. Elles sont désormais de traviole dont il faut les réorienter. On maintient R tout en appuyant sur chacun des boutons directionnels histoire de comprendre comment marche ce foutu système de rotation. On galère. On s’y reprend en trois fois… Et puis au bout de dix minutes enfin : didu-diduding. Mais là, me concernant, je peux vous dire que j’avais eu tout le temps d’oublier mon « Ouah ! Malin… » au profit d’un « Putain mais en fait tout ça pour ça »…
Au final c’était la même épreuve avec la même finalité, mais dans un jeu c’était simple et rapide, dans l’autre on a juste rajouté une étape superflue qui, dans la pratique, n’apporte rien.
En fait, on remplacerait tout ce qui peut s’assembler et s’amalgamer dans ce Tears of the Kingdom par des objets (armes, mécanismes, véhicules) qui seraient déjà prêts à l’emploi qu’en définitive on aurait fondamentalement le même jeu…
…Ou plutôt non : on aurait le même jeu, mais en moins laborieux.


Dit autrement : on aurait juste Breath of the Wild quoi…


Parce qu’au final, oui, on en revient là.
Si on acte le fait que les principales propositions de ce jeu tiennent en ses nouvelles fonctionnalités sheikah et que la plupart de ces fonctionnalités ne font en fait qu’ajouter des options superflues à celles qui étaient déjà existantes dans l’opus précédent, alors que reste-t-il ?
Eh bien il reste juste Breath of the Wild… Un Breath of the Wild avec des appendices, certes… Mais un Breath of the Wild malgré tout. Un Breath of the Wild qu’on a déjà fait.
Et le pire dans cette histoire c’est que, là, je me suis pour l’instant simplement limité qu’aux seules désillusions annoncées par le Prélude et qui se confirment par la suite dans le jeu... Mais il y a aussi tout le reste. Il y a aussi ces dizaines d’heures qui attendent derrière et qui charrient elles aussi leur lot de désenchantement.


Car oui, plus on avance dans ce Tears of the Kingdom et plus les chances d’espérer tomber sur quelque chose qui singularise ce titre s’amenuisent grandement.
Plus on enchaine les heures et plus l’ombre de Breath of the Wild ne cesse de se matérialiser, au point même d’occuper assez rapidement tout l’espace.
Car aux sanctuaires, pouvoirs et autres Korogus déjà remobilisés par le Prélude, s’ajouteront par la suite les tours de synchronisation, les camps de Bokoblins, les innombrables grottes, les Hinox, les relais équestres, les ruines, les attaques inopinées de Yigas, les tenues à collecter, les quatre dragons à chevaucher…
…Jusqu’au plus cynique des révélateurs.
Jusqu’à Hyrule.


Oui, ils ont osé remettre le Hyrule de Breath of the Wild.
Tel quel.
Et non : hors de question que je fasse figurer une telle information en bande spoiler, parce qu’à un moment donné il faut quand même que chacun sache dans quoi il risque de mettre les pieds avec ce Tears of the Kingdom.
Nintendo a osé faire ça et je trouve ça juste sidérant. Difficile de faire plus manifeste comme attentat à la créativité et à l’audace.
Pour moi, c’est carrément malhonnête.


Le jour de la sortie de ce jeu, j’ai lu dans le fil d’activités qui lui était dédié, la déclaration d’un membre (désolé si je n’ai pas retenu son pseudo) qui disait qu’il en était déjà à trente bonnes heures de jeu et que, pour lui, ceux qui disaient que ce Tears of the Kingdom était une simple extension de Breath of the Wild n’avaient rien compris…
Alors il faut savoir qu'au moment où je rédige ces lignes, j’en suis moi-même à une trentaine d’heures de jeu désormais. Et manifestement il va falloir qu’on m’explique…
Longuement.


Oh ça oui il va vraiment falloir qu’on m’explique longuement cette supposée absurdité qu’il y aurait à voir dans ce Tears of the Kingdom une banale redite de Breath of the Wild quand l’essentiel de l’ère de jeu du premier est LITTÉRALEMENT la même que celle du second !
On nous promettait une envolée dans les airs et pourtant c’est bien à rejoindre le plancher des vaches qu’on est invité à la sortie du prélude ; ce même plancher des vaches qu’on avait déjà arpenté pendant plus d’une centaine d’heures dans Breath of the Wild. Et ce n’est pas parce qu’on a modifié quelques détails topographiques ou climatiques ça et là que ça change fondamentalement quoi que ce soit au fond de l’affaire. Les centres d'intérêt sont les mêmes (à quelques très rares exceptions près) disposés aux mêmes endroits de la carte, et à chaque fois il faut manifestement savoir juste se contenter d'une simple petite extension annexe rajoutée a chacun de ces lieux car pour l'essentiel c'est de l'exact pareil au même.


Est-ce qu’au moins, me demanderiez-vous sûrement, ce Tears of the Kingdom entend nous faire appréhender ce monde différemment en utilisant des mécaniques inédites ?
Eh bah sachez que non. Même pas.
Là encore il s’agit de parcourir ce monde à la recherche de sanctuaires cachés, de ressources à collecter, de souvenirs oubliés à faire ressurgir… Alors OK, j’avais adoré faire ça dans Breath of the Wild, mais c’était parce que je découvrais ce monde, tout comme je découvrais ce qu’il avait à me raconter à travers son exploration.
Là, c’est juste le même monde. Littéralement le même monde.


Parce que oui, pour moi cabosser un peu le relief et rajouter de-ci de là des pierres très identifiables incitant à utiliser de temps en temps les pouvoirs Infiltration et Rétrospective, ça n'a rien d'une refonte. Bien au contraire.
Leur usage est tellement restreint à des points ultra spécifiques qu'au final ça ne change en rien notre rapport à ce monde. On apprend juste à repérer ponctuellement les pierres qui tombent et ces fausses échelles que sont les renfoncements, arches et autres champignons géants. Pour le reste c'est comme à la bonne vieille habitude.


Autant dire que, pour des joueurs qui, comme moi, considéraient déjà en 2017 que cette carte était gonflante à la longue parce que trop grande, jouer a Tears of the Kingdom, c'est clairement la double peine.
Ce n’est d’ailleurs pas tant un hasard que ça si je n’ai jamais rejoué à Breath of the Wild depuis 2017, quand bien même j’y ai passé plus d’une centaine d’heures. Comment espérer revivre la sensation d’exploration d’une terra incognita si la terra en question est désormais plus que cognita ?


Alors les afficionados de ce nouvel opus me rétorqueront peut-être que ce Tears of the Kingdom est loin de ne se limiter qu’au seul monde d’Hyrule. On me rappellera sûrement à l’ordre en me signalant avec véhémence qu’en plus des vastes étendues hyliennes, il y a aussi désormais tout un monde céleste à explorer ainsi que tout un monde souterrain !
Trois strates de monde ouvert en tout ! Une totale remise en perspective d’Hyrule qui gagne en hauteur comme en profondeur ! On retrouve là la fameuse promesse de verticalisation annoncée par l’intro…
Oui mais sauf que – de 1 – est-ce qu’on parle de ce qu’on retrouve vraiment dans ce ciel-là ?
En termes de surface ce n’est quand même vraiment pas très folichon. Plus problématique encore : qu’est-ce que ces îles sont vides ! Combien d’archipels entiers explore-t-on et sur lesquels il n’y a que des ruines, un misérable sanctuaire, un korogu et rien d’autre ?
Et puis – de 2 – que dire de ces abîmes dans lesquels le mal est censé se loger depuis le départ ? Qu’y trouve-t-on sitôt allume-t-on les premières racines ? Oh ! Ici un camp de Bokoblins démoniaques ! Et là un Hinox démoniaque ! Et puis là-bas un repère de Yigas tiens !…
Non mais… Sérieux ? On en est vraiment à ce niveau-là de foutage de gueule ?
Où est la verticalisation si on ne verticalise que du vide ?
Parce qu’à bien tout prendre, dans les faits, l’essentiel de l’action de ce jeu elle ne se déroule ni dans les cieux ni dans les abîmes. Elle se déroule pour l’essentiel là où elle se déroulait déjà dans Breath of the Wild. Face à cet Hyrule, les deux autres étages n’apparaissent vraiment que comme des appendices… Des extensions...
Bref, des DLC quoi…


En définitive, quand je cherche des nouveautés qui justifieraient qu’on qualifie ce Tears of the Kingdom de véritable jeu à part entière, les seuls éléments que je trouve, ce sont finalement ceux qui ont été dispersés ça et là, pour définir le nouveau fil narratif de l’aventure. Et si le village piaf, la Cité gérudo, le Domaine zora et le volcan d’Ordinn n’ont pas changé d’un iota (à un ou deux ajouts superficiels près), le fait est que – grâce à la nouvelle intrigue – ceux-ci se retrouvent en proie à de nouveaux troubles, nécessitant ainsi pour nous d’accomplir de nouvelles épreuves, lesquelles nous conduisant à de nouveaux temples dans lesquels on saura trouver de nouveaux boss.
Là-dedans tout n’est pas inintéressant, loin de là. Ça reste du Nintendo, quoi qu’on puisse en dire. Cependant difficile de ne pas être saisi – pour les habitués de la licence – par un sentiment de redite, de fadeur et de superficialité.
Certes ça fait du bien de retrouver un minimum de singularité et d'identité visuelle concernant pour ces temples – et même chose pour les boss – mais dans le fond rien ne m'a marqué.
Je n'ai jamais été bousculé. Jamais je n'ai été surpris par la malice de ces épreuves. Sitôt faites, sitôt oubliées...
...Et pourtant, en ce qui me concerne, c'est à ça que j'ai fini par me raccrocher. Pour échapper aux centaines d'heures d'exploration terne à base de repérage de sanctuaires, racines et autres coffres cachés, puis d'accomplissement des micro-tâches qui y étaient associées, ce semblant d'aventure linéaire un minimum narrée fut ce qui constitua pour moi une petite bouée de sauvetage.


Alors oui, c’est toujours ça de pris. Et me concernant c’est ce qui explique en grande partie le fait que ma note flirte au final presque avec la moyenne… Mais si malgré tout j’ai estimé qu’il serait inopportun – voire malhonnête – de traduire mon ressenti face à ce jeu par une note qui aille au-delà d’un 4/10, c’est parce que, à bien tout considérer, je trouve que cette asymétrie d’intérêt que j’ai pu éprouver acte à mes yeux un triple constat d’échec.
Échec du fait que ce Tears of the Kingdom m’a presque contraint à le jouer comme un jeu-couloir là où il aspirait au contraire à élargir son monde ouvert.
Échec du fait qu’en remobilisant l’univers de Breath of the Wild sans être en mesure de le réinventer, Tears of the Kingdom annulerait presque la philosophie de jeu que son prédécesseur s’était pourtant évertué à installer.
Et puis surtout dernier échec du fait qu’en ne sachant exister qu’au travers de la linéarité de son intrigue, Tears of the Kingdom a finalement échoué sur les deux domaines dans lesquels il entendait pourtant s’illustrer : la prise de liberté du joueur et la verticalisation de l’open world.


Et c’est d’ailleurs sur ce dernier point que, pour ma part, j’entendrais conclure ma réflexion au sujet de ce jeu. Car si le jeu de Mécano minecraftien donne l’impression d’être un petit rajout superficiel de seconde intention, j’ai par contre vraiment le sentiment que le projet de verticalisation du monde ouvert était le cœur initial du projet…
Et force est de constater que c’est un incroyable raté. Un raté que je ne peux expliquer que par un cruel manque d’audace.


Parce qu’on ne me fera pas croire que des développeurs aussi expérimentés que ceux de chez Nintendo n’ont pas su percevoir les enjeux de la verticalisation. C'est qu'ils avaient un modèle tout fait, sous les yeux, qui leur tendait les bras. Et ce modèle c’était celui des Souls.
Difficile de ne pas le voir. De la même manière que Skyrim avait servi, au temps de Breath of the Wild, de modèle pour revitaliser la formule des Zelda en la décloisonnant, il semble assez manifeste que ce soit la trilogie de From Soltware qui ait inspiré la firme kyotoïte dans son désir de verticalité.
Or, quand bien même n’ai-je jamais touché un Souls de ma vie que, comme beaucoup de personnes qui s’intéressent au jeu vidéo, j’ai forcément été sensibilisé à cet astucieux travail d’orfèvre.
Or il tient à quoi cet art de la verticalisation dans les Souls ? Il tient essentiellement à la compacité du monde proposé et aux multiples ramifications labyrinthiques établies entre chaque strate de cet environnement. De cela, les Souls parviennent à en dégager plusieurs choses telles que la possibilité de générer des effets d’annonce et d’attente ; un sentiment de progression qui s’associe parfois au niveau de profondeur ou d’altitude atteint ou bien encore tout simplement au fait de développer chez le joueur, à force d’allers, de retours, et de transversales, d’apprivoiser le monde parcouru comme un bloc ; bloc auquel on s’attache d’autant plus qu’on a l’impression de progressivement le dominer.
(Mais attention : encore une fois, je n’ai jamais joué à un Souls donc je laisse les habitués de From Software me corriger si jamais je m’égare sur le sujet.)


Face à ce modèle-là, qu’ont fait les gars de chez Nintendo au travers de ce Tears of the Kingdom ? Ils ont décidé de gagner en verticalité mais sans oser rompre avec l’horizontalisation amenée par Breath of the Wild. A étirer ce monde sur les deux dimensions, ils ont perdu le pari de la compacité et tout ce que celle-ci pouvait amener.
Pire que ça, à vouloir étirer malgré tout un monde qui était déjà trop étendu initialement, les gars de chez Nintendo ont fini par le diluer. Ils l’ont même d’ailleurs tellement dilué qu’ils ont été contraints, tel un aveu d’échec, de remplir leurs deux couches supplémentaires d’une multitude de trous.
J'en serais presque à me demander si toutes ces péripéties scénaristiques visant à épaissir quelque peu l'univers de Breath of the Wild ne serait pas à prendre comme une forme de feu de diversion afin d'émoustiller les fans et ainsi justifier cet épisode malgré son manque cruel de proposition.


...Ce qui reste (je trouve) une vraie stratégie à la con. Parce que bon, qui en a quelque chose à foutre de savoir qu'à l'origine du Royaume d'Hyrule se trouvait un peuple d'hommes-biches capable de fabriquer des pierres magiques façon Tanos ou Captain Planet ? Perso pas moi.
Les enjeux narratifs dans Zelda, on s'en est toujours un peu tous foutus. Or en cherchant à épaissir cet aspect-là, Nintendo a pris le risque, selon moi, de rappeler avec un peu trop d'insistance à quel point l'histoire d'un Zelda est inconsistante.


Je peine à croire qu’on n’ait pas su conscientiser ces enjeux-là chez Nintendo. Et pourtant Tears of the Kingdom est tel que je vous l’ai décrit. Etiré. Dilué. Évidé. Parfois inconsistant et presque gênant.
Alors pourquoi ? Manque de lucidité ? Je ne pense pas.
Je pense tout simplement que si Nintendo avait fait le pari de rétrécir Hyrule ou de n’en prendre que quelques bouts symboliques pour redensifier leur couche centrale il y aurait forcément eu des joueurs ou des journalistes pour s'en retrouver décontenancés, du moins dans l'immédiat...
...Mais comme aujourd'hui il n'y a plus que l'immédiat qui vaille ; comme aujourd'hui il n'y a plus que de l'expression soudaine et sans recul qui vient remplir ces agrégateurs de notes qui font la pluie et le beau temps ; les paris audacieux deviennent des risques évidents de bad buzz.
Cette idée de risque, elle est pourtant pour moi intrinsèquement liée à la saga. Du tout premier Legend of Zelda à Breath of the Wild en passant par Ocarina of Time, Majora’s Mask ou Wind Waker, l’audace qui consiste à explorer à vaste échelle un nouveau terrain du jeu vidéo a toujours fait partie à mes yeux de l’identité de la saga.
Zelda n’est pas devenu une saga phare pour rien.
Zelda était un phare.
Un phare pour tout le medium.
Or que reste-t-il de ça dans ce Tears of the Kingdom ?
Pas grand-chose.
Quelques appendices, à peine.


Rien, en somme.


Alors j’entends bien qu’il y aura toujours quelques Jean-Michel Pop-Corn pour trouver que je crache bien dans la soupe et que ce Tears of the Kingdom – bien que peu novateur – assure quand-même l’essentiel et qu’il saura apporter son petit lot d’heures de détente et d’amusement. Soit.
Mais à cela moi je répondrais juste par une simple question : qu’attendons-nous d’un Zelda ? Qu’attendons-nous du medium jeu vidéo ?
Attendons-nous seulement d’un jeu vidéo qu’il passe le temps ? Qu’il nous distraie ?
Franchement, vous seriez en droit de votre côté de répondre « oui ». Mais vraiment. Ça ne me poserait vraiment aucun souci. Moi-même je pourrais vous citer beaucoup de jeux auxquels j’ai joués dans cette optique et ça m’allait totalement…
Seulement – je ne sais pas vous – mais moi je n’attends pas seulement du jeu vidéo qu’il me détende et me distraie. Je sais que parfois il est capable de me toucher et de m’emporter. Or, à une époque où tous les Triple A se terrent dans le champ du risque et de la créativité zéro, si une saga comme Zelda se met à les suivre dans ce sillon-là, qui nous restera-t-il pour nous offrir de grandes claques épiques ?
Qui ?


Et qu’on s’entende bien : je ne mets pas 4/10 pour punir, pas plus que je mets 4/10 pour sanctionner une déception.
Non, si je mets au final 4/10 c’est tout simplement parce que, face à un jeu comme ça, moi – Zelda ou pas – je m’emmerde.
Je m’emmerde quand je vois que ce qui m’attend c’est de refaire ad nauseam des tâches que j’ai déjà faites.
Je m'emmerde quand je vois que ce qui m’attend c’est de résoudre des énigmes que j’ai déjà résolues.
Je m'emmerde quand je vois que ce qui m’attend c’est de partir à la découverte d’un monde que je connais déjà par cœur…
…Dit autrement, je m’emmerde quand un jeu ne m’apprend rien, quand il ne me fait rien explorer, bref quand il ne me propose que des tâches avilissantes, en somme.


J’en suis à trente heures de jeu donc et franchement, dans tout ça, il n’y en a pas beaucoup qui m’aient un minimum stimulé. Deux ou trois en cumulé, tout au plus. Et encore, c’était souvent par la faute d’un espoir vite douché…
Au moment où j’écris ces lignes je ne sais d’ailleurs même pas si je vais le finir ce jeu.
Pour être honnête, je ne sais même pas si je vais le reprendre.


Tears of the Kingdom aurait pu être un nouveau Majora. Et il n’avait pas besoin de grand-chose pour cela.
Reprendre Hyrule n’était pas en soi un problème. La question c’était juste de savoir quoi reprendre et surtout quoi en faire…
Nintendo voulait vraiment décliner verticalement l’expérience qu’il avait offerte dans Breath of the Wild ? Il pouvait le faire. Il avait toutes les clefs en main pour ça.
Au fond tout tenait à cette idée de château d’Hyrule qui s’envole dans les airs. Au lieu de le faire paresseusement léviter à quelques dizaines de mètres du sol, il aurait fallu lui faire gagner les cieux, et avec lui des pans entiers d’Hyrule. Des pans choisis.
Ça n’aurait pas été des îles vides d’une énième civilisation déchue clonée sur les précédentes qu’on aurait visitées, mais tout un monde qu’il aurait fallu réapprendre à apprivoiser selon sa nouvelle morphologie.
Les possibilités étaient multiples : des fonds marins asséchés parce qu’en lévitation, un village éparpillé en morceaux aux quatre coins de la carte, un désert enfin à température vivable et dont les habitants en viendraient presque à bénir cette vraie-fausse malédiction... Et puis bien sûr on aurait alors pu explorer ce principe de strates. On aurait alors découvert que chaque lieu était lui-même bâti sur toute une multitude de couches abandonnées, ou repeuplées par le Malin enseveli… (Je vous laisse quelques secondes le temps d'imaginer toute la symbolique que Nintendo aurait pu investir là-dedans.)
…Et puis allez, stimulons-nous un peu… Imaginons un seul instant qu’au lieu de seulement regarder vers les Souls, Nintendo ait regardé vers des petites perles comme Outer Wilds. Imaginons un monde d’Hyrule fait de morceaux volants à différentes hauteurs et tournoyant autour d’un axe maléfique ?
Ça, ça aurait été une vraie proposition de jeu.
Ça, ça aurait un vrai Zelda.


Mais bon, l’histoire en aura donc voulu autrement.
Au lieu d’un nouvel ouragan – d’une nouvelle lame de fond – on n’aura donc eu que quelques larmes tombées ici ou là pour essayer d’irriguer à nouveau un sol déjà surexploité.
Quelques jours avant sa sortie on espérait encore une révolution de Breath of the Wild, au final on a juste eu un add-on de Skyward Sword venu se greffer superficiellement à un jeu qu’on avait déjà joué et payé…
…Et quand on se rappelle que, deux ans plus tôt, Nintendo s’est en plus payé ce luxe de justement nous ressortir un Skyward Sword auquel il n’avait quasiment rien retouché mais sans pour autant se priver – là aussi – de nous le vendre au prix fort, on serait clairement en droit de trouver ce comique de répétition un brin lourd…
…Et funeste.


Alors soit, actons ça.
Actons le fait qu'il semble désormais plus raisonnable d’attendre d’un nouveau Zelda qu'il ne soit qu’un ancien Zelda. Rien de plus. Rien de moins.
C’est triste à écrire. Mais pourtant c’est comme ça. Actons-le.
Car difficile au fond de ne pas voir dans toute cette tragi-comédie une certaine logique.
Parce qu’après tout, combien portent aujourd’hui aux nues cet épisode pourtant fait à moitié ?
Au final, on n’a sûrement là que le Zelda qu’on mérite.
Et tant pis si à la fin, il ne nous reste plus que des larmes à pleurer.

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le 24 mai 2023

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