Raymarathon : 18/22


Les lapins sont des animaux surprenants. Ils sont aussi bien capables de bonds de plusieurs mètres que de mourir électrocutés après avoir mâchonné le fil de la lampe de mémé. Ce que l'on ignorait, c'est que sous leur apparente bonhomie, les lapins sont également de fiers ingénieurs, des collectionneurs avérés et même des révolutionnaires anti-capitalistes. Qui l'eût cru ?


Après un détour par Paris, les Lapins Crétins reviennent dans le giron d'Ubisoft Montpellier pour la toute dernière fois de leur carrière. Exit les compilations de mini-jeux, sympathiques mais peu marquantes, Michel Ancel leur prépare leur première (grosse) aventure, et sans Rayman ! Il crée au passage un nouveau genre de jeu : le scream'em up (je viens de l'inventer, j'en suis très fier).

Les Lapins se sont pris de passion pour la Lune, et aimeraient y dormir (amusante référence à un mythe présent dans de nombreuses cultures). Ils décident donc de rentrer dans leur soi-disant foyer grâce à un ingénieux plan : créer une immense échelle de déchets. Fort heureusement, leur lieu de vie se situe à proximité d'une grande ville, et on sait tous à quel point les humains aiment produire des choses inutiles et superflues.


On incarne donc deux (techniquement trois) Lapins dont la tâche va être de récolter le plus de "trucs" (réel terme utilisé in-game) possibles dans une trentaine de niveaux. Si l'inspiration première du titre semble être Katamari Damacy, l'étiquette Lapins Crétins permet une relecture plus chaotique du concept, puisque nos chers dévoreurs de carottes vont quasiment mettre la ville à feu et à sang pour faire une pile de 23km de déchets (soit trois fois l'Everest, pas mal pour des éboueurs).

Au fil des niveaux, les Lapins vont donc drifter dans leur caddie de supermarché et surtout hurler pour se débarrasser de tous les êtres vivants qui se mettent sur leur route, que ce soient des chiens, des pigeons, des civils ou des membres d'une unité spéciale anti-Lapins (sûrement composée de fans de Rayman). Ce faisant, ils récolteront moult vêtements, cadavres d'animaux, junk food ou encore des plots de chantier, ce qui les rapproche de l'étudiant rennais moyen.

Chaque niveau inclut également un gros déchet à la toute fin, comme un réacteur d'avion, une statue, une vache ou un cancéreux en phase terminale. Alors d'accord, cela signifie qu'il y a des êtres vivants enterrés sous plusieurs kilomètres de déchets, ce qui rend immédiatement les Lapins un peu moins sympathiques, mais ça n'est pas très différent du niveau de vie d'un Indien, quand on y pense.


En soit, cette description dit un peu tout ce qu'il y a à savoir sur le jeu. En 30 niveaux, on se balade dans des environnements variés (centre commercial, aéroport, campagne…) en évitant quelques obstacles et en criant sur tout ce qui bouge, l'objectif étant de récolter 400 trucs par niveau. Une poignée de niveaux tentent de varier légèrement les choses en proposant une course contre un camion ou une descente en bouée, et si cette variété fait un peu de bien, ça reste mineur et doit représenter à peine 5% du temps de jeu (comptez 7-8h pour en voir le bout).

C'est le principal reproche que j'ai à faire : le jeu est cool mais trop répétitif. On ne gagne qu'un seul vrai pouvoir au cours du jeu (l'accélération après un drift) donc le gameplay évolue peu, et les niveaux sont à la fois très nombreux et très longs, d'autant que certains niveaux réutilisent des portions déjà vues précédemment. Finir le jeu d'une traite n'est absolument pas recommandé, il vaut mieux espacer vos sessions ou les alterner avec un autre jeu si vous ne voulez pas que l'ennui pointe le bout de son museau.

Le jeu est également assez simple, seuls les derniers niveaux proposent un challenge intéressant (sachant que vous pouvez les skip si vous avez fait de bons scores au préalable).

Au niveau de la bande-son, on peut éthiquement questionner l'utilisation de sonorités très manouches dans un jeu où on incarne des personnages qui vivent dans une décharge publique, mais eh, au moins elle est cool, bien débile et elle met carrément dans l'ambiance !


Même si le jeu a clairement bénéficié d'un plus gros budget que les Lapins Crétins produits par Paris, on note quand même ici et là un certain manque de finitions. Par exemple, les Lapins vont déclencher une animation spéciale la première fois que vous ramassez certains objets (radio, poupée, pitbull…), animation qui s'avère d'ailleurs souvent très drôle. Et aléatoirement, 20 niveaux plus tard, il se peut que cette même animation soit rejouée, sans raison, alors que vous ramassez votre 158ème pitbull du jeu. Bizarre.

Autre bizarrerie, il y a une option "sous-titres" dans le menu de pause que j'aurais bien aimé activer, mais qui est en permanence grisée. Dommage parce qu'on n'entend pas toujours les voix au milieu du bordel ambiant, je pense que c'est une option qu'on ne peut activer que si on joue dans une langue sans doublage (le jeu propose 9 langues européennes au lancement dont le danois et le suédois, mais je doute qu'Ubi ait recruté des acteurs dans ces langues), mais dans ce cas autant juste supprimer cette option quand on joue en français ou anglais plutôt que de garder cette icône inutile dans le menu, non ?


Du point de vue du gameplay, le jeu nous incite à tout le temps accélérer (rares sont les moments où marcher est préférable), ce qui signifie pour le joueur qu'il faut maintenir le bouton A appuyé toute la partie. Ca n'est franchement pas très agréable, il aurait plutôt fallu faire l'inverse en faisant de la course la vitesse par défaut.

Le jeu inclut également un overworld, que je trouve plus inutile qu'autre chose. On peut déambuler dans les rues et mettre un peu le dawa, mais vu qu'il n'y a pas d'objectif et qu'on y fait la même chose que dans le reste du jeu, ça casse surtout le rythme entre deux "vrais" niveaux.


Heureusement le jeu se rattrape sur son humour très tarte à la crème, typique des précédentes productions des léporidés. Outre les interactions dans les niveaux, on peut aussi customiser chacun des trois Lapins à notre disposition en utilisant des objets débloqués en faisant de bons scores, des pinceaux ou même des engins de torture qui vont complètement défigurer nos pauvres amis. Vous pouvez par exemple créer un Lapin avec des yeux déformés, une oreille en moins, un visage élancé et un placement très aléatoire de la bouche, qui apparaîtra tel quel dans les cinématiques. En bonus, si vous secouez la Wiimote, votre petit Lapin sera chahuté dans tous les sens (l'explication in-universe étant qu'un Lapin squatte votre manette, on peut d'ailleurs voir l'intérieur de celle-ci dans le menu de customisation et c'est plutôt classe).

Du coup, même si le jeu est globalement répétitif, les bonus de customisation qu'on débloque sont une bonne carotte pour nous inciter à refaire les niveaux avec un meilleur score… Et peut-être un Lapin nouvellement redesigné pour l'occasion !

C'est une option tellement drôle qu'elle a même été vendue à part sur le WiiWare, mais vous admettrez que sans mode aventure pour jouer avec notre Lapin éclopé, ça perd vite de son intérêt.


Enfin, l'humour du jeu est aussi plus subtil qu'il y paraît, puisque ces Lapins lâchés dans notre société moderne permettent d'en montrer les tares et les dérives.

Dès le premier niveau, qui se déroule dans un hypermarché, une voix off nous indique que ce monde est gouverné par le fric et la rentabilité, l'humain n'y est plus qu'un pion ("Travaillez plus pour gagner plus et consommer plus."). D'ailleurs, tous les humains qu'on croisera, même les plus écolos (on saccage un camp de hippies à un moment) se trimballent avec des packs de soda, on ne recontrera jamais un légume de tout le jeu.

Cette cynique voix off sera un personnage récurrent du jeu, établissant les règles de chaque environnement, que ce soit le bureau ("Tout temps non travaillé est du temps volé à l'entreprise."), l'usine ("Les accidents du travail sont mauvais pour la rentabilité de l'entreprise.") ou l'hôpital ("Fièvre porcine, grippe aviaire : méfiez-vous des animaux !"). Les humains restent ainsi dociles (quand un Lapin envahit leur bureau, ils continuent de taper sur leur clavier) et sans coeur (les chambres d'hôpital ressemblent plutôt à des mouroirs où les patients gisent immobiles). Et finalement, c'est assez satisfaisant de foutre le zbeul dans ce petit monde trop bien organisé, même si les choses ne changent pas vraiment pour le meilleur (les gens deviennent juste plus flippés et les patrouilles de police sont de plus en plus nombreuses à mesure qu'on progresse, vous avez dit "attentats de 2015" ?) et que la cinématique de fin semble annoncer un retour au statu quo.

LC TV Show montrait déjà certaines dérives de la société par le prisme de la télé, La Grosse Aventure met carrément les pieds dans le plat avec une critique certes assez simple mais toutefois drôle et pertinente. La posture est certes un peu ironique puisque même à l'époque les Lapins étaient déjà un rouleau compresseur capitaliste, mais c'est un aspect qui a complètement disparu de leurs jeux depuis donc ça reste étonnant de voir que pendant un temps, ils pouvaient presque passer pour des icônes révolutionnaires.


Du coup, si je maintiens que le jeu est trop répétitif (dans le gameplay mais aussi dans son écriture, malheureusement on entend à peu près les mêmes clips de voix pendant tout le jeu), ça reste un excellent défouloir, à la fois pour les jeunes qui s'amuseront à crier sur tout ce qui bouge ou pour leurs parents qui pourront un peu oublier leur journée pourrie au taff. D'ailleurs un mode deux joueurs est présent, même si malheureusement le J2 doit se contenter de ramasser des déchets en les pointant à la Wiimote.

On n'est pas face à un grand jeu, mais sa proposition est suffisamment unique pour que je le recommande à tous les possesseurs de Wii. En espérant qu'on ait un jour une suite dans le même esprit impertinent. Et puis, voir Ubisoft se faire épingler par un de ses propres jeux quand on connaît leur politique managériale désastreuse, c'est quand même un délice.

Allez, on va laisser nos Lapins se reposer quelques temps après cette grosse épopée, le mois prochain on reprend des nouvelles de Rayman !

Sonicvic
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le 30 mars 2023

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