TearRing Saga
8.2
TearRing Saga

Jeu de ASCII Entertainment, Shōzō Kaga et Enterbrain (2001PlayStation)

TearRing Saga est le premier jeu de Tirnanog, studio fondé par Shozo Kaga - le papa de Fire Emblem - après son départ d'Intelligent Systems. La comparaison avec Fire Emblem est donc naturelle, immédiate, obligatoire presque... à tel point que le jeu est aussi célèbre pour ses qualités que pour le procès dont il a fait l'objet ; Nintendo allant jusqu'à accuser Kaga de plagiat avant même la sortie du jeu. C'est d'ailleurs, entre autres, pour ces raisons légales que ce dernier n'a jamais vu le jour en Occident. Aujourd'hui, cela dit, il existe d'excellent patchs de traduction pour qui est prêt à jouer sur émulateur, et pourquoi s'en priver ? Car malgré son développement chaotique, TearRing Saga présente à mon sens de nombreuses qualités.


A bien des égards - philosophiquement, mécaniquement - TearRing Saga peut être décrit comme l'enfant bâtard de Gaiden (1) et Thracia. De Gaiden il reprend le déplacement sur la carte du monde, les escarmouches, les monstres, l'alternance entre deux armées... en quelques sortes, TearRing Saga lui emprunte sa structure. De Thracia il hérite le gros de son gameplay et une philosophie de design similaire, bien que ces derniers aient été largement simplifiés. On y retrouve les skills de Thracia (souvent à l'identique), les nombreuses armes personnelles, le système de supports, les scrolls, les bâtons sous crack, les objectifs variés... je regrette seulement la disparition de "Rescue", probablement la mécanique que je préfère chez Fire Emblem (mais je me passe volontiers de "Capture"). Le map design est (généralement) plutôt simple, quelque part entre Gaiden et Mystery of the Emblem, mais, à l'instar de Thracia, sert la narration. Si le design de Conquest - pour l'opposer à un Fire Emblem récent - est bon, c'est parce qu'il propose toujours un puzzle fun à résoudre, mais il ne raconte rien : le scénario de Fates n'est qu'un mauvais prétexte à un bon gameplay. Kaga cherche avant tout à raconter une histoire et les cartes, très scénarisées, reflètent cette volonté. C’est particulièrement clair pour qui a joué aux épisodes Super Nes, l’intégration du scénario et la narration par le gameplay ont toujours été les points fort de Kaga, c’est le cas ici aussi.


Si le map design est une des qualités de TearRing Saga, je suis partagé lorsqu’il s’agit de l’écriture. La plupart des personnages sont intéressants, complexes, avec une personnalité propre qui ne saurait être réduite à un gimmick, contrairement au cast d’Awakening par exemple. Les dialogues casual / slice of life sont d’ailleurs très agréables à suivre. Mais les personnages sont trop nombreux et, fatalement, certains pâtissent d’un sévère et décevant manque de développement. De manière générale je trouve l’histoire qu’essaie de nous raconter Kaga beaucoup trop ambitieuse, et je ne peux pas m’empêcher de penser que le jeu est sorti trop tôt après une période de rush (2). Passé la première moitié, le rythme du jeu s’accélère : on voit apparaître de nombreuses scènes d’expositions assez maladroites ; certains personnages importants dans l’intrigue disparaissent pour ensuite brièvement réapparaître lors de l’épilogue, d’autres se mettent soudainement à agir de manière complètement idiote et impulsive… Le world building aurait pu être un peu plus soigné lui aussi. Le scénario est bon mais, sans être horriblement compliqué, me semble un peu difficile à suivre. Contrairement à Genealogy ou Thracia, TearRing Saga n’a pas de narrateur entre chaque chapitre qui vient apporter aux joueurs des informations quant à la situation géopolitique du continent. J’ai trouvé plusieurs fois difficile de mettre un visage (et un statut) sur les nombreux noms évoqués au détour de certaines conversations ou même de situer précisément chaque lieu l’un par rapport l’autre. Cela dit je trouve l’épilogue (post-crédit) très réussi.


Du point de vue de l'ergonomie, le jeu a clairement vieilli. Il est terriblement lent (je recommanderais d'ailleurs de doubler ou tripler la vitesse du jeu à l'aide de l'émulateur), le placement des boutons d'action n’est pas franchement intuitif ("Staff" en particulier), et le menuing de manière générale aurait pu être amélioré. La courbe de difficulté est en dents de scie, le jeu est globalement très simple mais certains boss sont débilement forts. Malgré tout je trouve le jeu très beginner friendly, par opposition à Thracia, et je pense qu’il se prête bien à plusieurs playthroughs. Il regorge de secrets (3) et de personnages optionnels, dont la découverte (plus ou moins difficile) est gratifiante. Je ne suis pas vraiment sensible au FOMO, mais je recommande tout de même une première partie en aveugle. Les secrets sont tellement nombreux qu’il est impossible de tous les louper et le jeu peut parfaitement être complété avec une équipe sous-optimale.


TearRing Saga est un de ces jeux, comme Genealogy ou Thracia, dont j’adorerais voir un remake similaire à Echoes : une modernisation - une amélioration même – respectueuse et pleine de considération pour le matériau d’origine. Malheureusement, je sais que ça n’arrivera pas, car le sujet est trop sensible mais aussi parce que Kaga n’aurait aujourd’hui pas les moyens d’entreprendre un tel chantier. En l'état le jeu est imparfait, mais en dépit tous ses écueils je le trouve très largement recommandable.




(1) Je ne jetterais jamais la pierre à qui rechignerais à s'infliger Gaiden. Je pense que son remake, Echoes lui est supérieur en tout point (ou presque) tout en restant très fidèle à l'original. Celui-ci mérite son playthrough, non seulement parce que c'est un bon jeu mais aussi pour comprendre le cheminement créatif de Kaga.


(2) Ce n’est bien sûr qu’une supposition, mais en 2001 la PlayStation est en fin de vie, Nintendo fait tout son possible pour saboter le projet et Kaga est connu pour avoir les yeux plus gros que le ventre : Genealogy était initialement censé s’étendre sur trois générations, Thracia est sorti très en retard…


(3) Il y a aussi de très nombreuses références à Fire Emblem, dans les noms, les archétypes, le chara design, le scénario ou même le map design.

Draly
7
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le 17 mai 2020

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