“Tout corps traîne son ombre et tout esprit son doute.”

Citation de Victor Hugo

Malgré l’animation catastrophique de la cérémonie des pégases d’or de 2021, je suis, pour une raison que j’ignore encore, resté suffisamment longtemps pour assister au triomphe de Shady Part of Me du studio français Douze Dixième. A l’instar des Oscar, les pégases ne sont pas d’une pure omniscience, et leur choix n’est pas forcément en accord avec le public. Ce n’est Shady Part of Me qui est une très chouette balade en plus de dépasser toutes les attentes commerciales du studio, cependant on ne peut pas non plus dire qu’il soit exempté de défauts. Il est donc important de se pencher sur son cas pour comprendre ce qui fait sa réussite mais également ses faiblesses et donc ce qui pourrait être améliorer étant donné que douze dixièmes a annoncé vouloir poursuivre dans cette voie (rappelons qu’il s’agit du premier jeu de son auteur George Hiro Hermann et de son studio).

« Shady part of me » est un jeu de puzzle qui utilise un gameplay asymétrique basé sur les deux personnages que l’on contrôle et dont on peut passer de l’une à l’autre pour résoudre différents jeux basés sur l’ombre et la lumière. On retrouve d’un côté une petite fille, qui évolue en trois dimensions, et qui peut donc se mouvoir en profondeur mais qui ne peut pas s’approcher de la lumière et de l’autre son ombre, qui elle évolue en deux dimensions(logique étant donné qu’elle est projetée sur un mur), et de manières beaucoup plus verticales, d'où sa possibilité de sauter. Elle ne peut cependant pas traverser les ombres, car ça la ferait disparaître. Ce gameplay permet de visualiser les deux mondes en même temps sans jamais que les protagonistes ne se rencontrent.

Il y a un troisième personnage dans Shady par of me, si on ne prend pas en compte tous les pantins qui servent de décor, c’est un mélange entre un narrateur et un genre de dieu, qui parlent aux deux personnages féminins de l’œuvre parfois pour les aider parfois pour les prévenir. Le jeu le nomme comme « l’autre ».

A mon plus grand désarroi, le studio ne met en avant que la voix anglaise des personnages féminins, Hannah Murray (Surement pour sa notoriété, l’actrice ayant jouée dans Game of Thrones et Skins), y compris sur leur site internet. Et même si sa voix envoutante et sa maîtrise des caractères des personnages permet de placer une parfaite ambiance hors du temps en plus de distinguer sans effort les deux personnages, les doubleurs français n’ont pas grand-chose à envier à son travail. En effet Cindy Lemineur(Yuki dans les enfants Loup et Miwa Kasumi dans Jujutsu Kaisen) qui double les deux protagonistes féminins et surtout Gérard Surugue(voix française de Bugs Bunny, Droopy, Rubilax dans Wakfu et Netero dans Hunter x Hunter) qui double parfaitement « l’autre » avec sa voix qui mélange autorité, calme et bienveillance brillent par leur compréhension des ambitions du jeu et du travail sans affèterie fourni qui en découle.

Au niveau du gameplay, je le dirai solide mais pas assez poussé. Le jeu fait le choix d’être bienveillant dans l’approche du puzzle, avec un système de remonter dans le temps. D’une part c’est une bonne chose car ça ne le rend jamais frustrant, mais il faut bien avouer c’est que ça rend le jeu aussi rapidement lassant de par la facilité d’une grande partie des puzzles. De plus le level-design n’aide pas et ne profite que rarement des nouveaux environnements, et même s’il y a de bonnes idées de renouvellement, on ne ressent jamais une évolution dans le jeu, on a l’impression de subir une avancée monotone. J’ai lu dans un article que George Hiro Hermann et le studio Douze Dixième comptait poursuivre dans ce genre de jeu. Si la parole d’un modeste critique arrive aux oreilles d’un membre de Douze Dixième, je pense qu’un mode coopératif dans ce genre de jeu serait une bonne chose (pas dans Shady part of me, mais dans un jeu conçu reprenant ce qui fait la force du jeu), sachant que le simple fait d’oraliser ce que les gens voit leur permettraient peut être de mieux comprendre le sous-texte.

“ Il était une petite fille piégée dans l’obscurité Rien d’autre que son ombre pour compagnie Elle entreprit un voyage vers la liberté Son ombre, méfiante, la suivit. ”

C’est plutôt drôle de décrire les personnages ainsi, car l’ombre est clairement la plus casse-cou des deux là ou la petite fille est souvent craintive. Le jeu utilise le mythe de Peter Pan pour parler de dépression, chose que l’on perçoit dans le tuto avec une jeune fille seule et triste qui ne peut pas se libérer du jugement des adultes et de l’ignorance des enfants, et une petite ombre qui est le souvenir d’un temps passé ou tout allait bien représente une espèce de conscience profonde de la jeune fille qui veut s’en sortir (le premier chapitre qui marque la réunification des deux jeunes filles s’appelle bien A nouveau entière), de plus, celui qu’on pensait être le narrateur de l’histoire semble finalement plus être proche d’un psychiatre. On sous-entend d’ailleurs la mort de ses parents dans le prologue, cette idée que plus personne n’est là pour la pousser quand elle fait de la balançoire et le fait que la jeune fille se réveille dans ce qui semble être un orphelinat. C’est de cette manière, la narration par l’environnement, que Shady part of me nous raconte son histoire. Pour ne pas allonger artificiellement la critique je ne vais pas non plus analyser chaque pièce, mais on va analyser un peu l’histoire quand même.

Après s’être réunies, nos personnages passeront par une bibliothèque puis une salle de jeu d’un orphelinat, puis dans un hôpital, puis dans un hôpital psychiatrique (le passage entre les deux symbolise une rechute) dont elle s’évadera par les égouts pour se retrouver dans un désert (symbole de sa vie après ce passe en hôpital psychiatrique) avant de passer par différents types d’usines (petits boulots ?) puis l’extérieur d’un cirque et une pièce de théâtre, où elle arrive enfin à se ressouder avec l’ombre et retrouver la fameuse balançoire du début, preuve d’une forme de bonheur retrouvée. Il est amusant de voir que ce plan final avec la balançoire est le seul qui offre autant de profondeur (invitation à l’exploration) là où tous les autres plans sont plutôt limités sur l’extérieur des décors (contrainte technique étant donné qu’il faut afficher un mur pour l’ombre).

Si cette narration n’est pas mauvaise dans son exécution pure, il faut bien reconnaitre que le jeu de la métaphore à outrance a tendance à perdre le joueur peu attentif et finalement à lui faire rater son histoire qui, ne nous le cachons pas, sans cette narration, n’est vraiment pas intéressante.

Ce qui m’attriste le plus avec Shady part of me c’est que toutes les qualités du jeu ont du mal à coexister entre elles pour faire un jeu d’une bonne qualité globale. Le jeu n’arrive pas à créer de moments mémorables, ou très peu, que ce soit par sa narration, ou son level-design ou ses puzzles.

En conclusion, je pense que Shady part of me mérite son pégase en tant que meilleur premier jeu. Dans le sens où certes le jeu est brouillon, certes il a du mal à être mémorable (à l’inverse des Little Nightmare dont le jeu s’inspire sur plusieurs points) mais il est plein de bonnes idées, des idées qui ont un peu de mal à cohabiter entre elles mais plein de bonnes idées quand même. Et de part sa volonté et son ambition Shady part of me mérite son pesant d’or et ce titre d’excellente première approche vidéoludique du studio, qui, j’espère avec plus de maturité, arrivera à faire un jeu à la hauteur des idées et des ambitions qu’ils portent.

“ Main dans la main, nous fuirons cet enfer. Pas à pas, nous trouverons la lumière. ”
Lordlyonor
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le 5 janv. 2024

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