Rond comme un ballon, mais pas jaune comme un citron. Pas grave, il est trop mignon.

Alors.


Normalement, j'avais prévu de sortir le premier volet d'une petite série de critiques de la discographie d'un artiste bien connu, histoire de revenir un peu à la critique musicale après quelques escapades hors de cette zone de confort (ce qui va d'ailleurs bientôt arriver). Sauf que, surprise et consternation, ma bibliothèque Steam, bien trop délaissée et ce même alors que le confinement dure, est venue me rappeler qu'elle détestait être laissée au second plan trop longtemps (elle m'a même soupçonné de ne plus l'aimer comme avant, j'avoue que mon cœur s'est un peu serré) et... bah, quelques heures plus tard, je terminais Pikuniku. Comme quoi, oui, pouvoir finir ses jeux vidéo est un bon loisir pouvant être pratiqué durant le confinement... mais revenons au commencement.


Pikuniku est donc un jeu vidéo mêlant aventure, plateforme et réflexion, le tout dans un univers coloré et chatoyant. Ce jeu est l'oeuvre de deux Français, Arnaud de Bock et Rémi Forcadell, travaillant pour le studio indépendant anglais Sectordub. Et à part ça, on ne sait pas beaucoup de choses sur le développement du jeu, tout juste sait-on (par le biais d'interviews dans l'excellent livre Les Coulisses de Devolver : Business et Punk Attitude, et ce même si j'ai pas réussi à retrouver la page où ça en parle, oui, je viens de regarder, les aléas du direct, que ça s'appelle) que le développement n'a pas toujours été un long fleuve tranquille, vu que les deux hommes ont des goûts en matière de jeux vidéo très différents. Ah, l'amitié...


Le jeu a été édité par Devolver Digital, nom qui ne vous dira rien si vous n'êtes pas familiers avec l'univers touffu et dense, faut bien le dire, du jeu vidéo indépendant mais qui, dans ces mêmes sphères, fait office d'institution, que dis-je, de Mecque.


Fondé en 2009 par trois Texans ayant fait leurs armes chez des développeurs et éditeurs PC (notamment chez id Software, la boîte responsable de "Wolfenstein 3D" ou encore "Doom", les titres qui ont lancé le FPS tel qu'on le connaît aujourd'hui) et ayant essuyé de nombreuses déconvenues, ainsi que farouches partisans du mantra "Le pouvoir aux artistes !" (et j'invente rien), le label indépendant Devolver Digital explosa aux yeux du monde du jeu vidéo en 2012 en éditant Hotline Miami, jeu d'action pixélisé, gore, hyper-violent, sous haute perfusion aux eighties et à la synthwave, mais également bien plus intelligent qu'il n'y paraît et questionnant le rapport à la violence du joueur. Un cocktail surprenant, mais parfaitement maîtrisé et des plus savoureux, qui a mis tout le monde à genoux. Bien qu'ayant un peu collé à Devolver l'étiquette quelque peu réductrice de "l'éditeur qui publie des jeux où on casse des gueules, on fait pleuvoir du sang, on boit des bières, on prend de la drogue et on fait des fucks". Sid Vicious aurait adoré.


Depuis ce carton, la réputation de Devolver n'a cessé de grandir, le label se construisant un statut d'éditeur où non seulement on n'hésite pas à prendre tous les concepts paraissant intéressants, mais en plus, ce qui contraste avec pas mal de grandes entreprises, si vous êtes un créateur, on vous traitera comme un être humain et pas comme de la vulgaire chair à canon. Et dans un monde du jeu vidéo où les poids lourds (qu'ils soient constructeurs/éditeurs ou studios de développement) n'hésitent pas à nous rappeler par pas mal de moyens qu'ils ne sont pas nos amis (lootboxes, phases de crunch intensif pour les salariés, conditions de travail pas valorisantes, DLC hors de prix qui n'apportent rien, humiliations publiques à la manière de Quantic Dream...), l'attitude alternative prônée par Devolver (ainsi que tous les labels indé qui lui ont emboîté le pas, comme Raw Fury, Double Fine Presents, Annapurna Interactive ou encore Dear Villagers, fier label venant de notre beau pays...) séduit et plaît.


C'est donc ainsi que Devolver peut se vanter d'avoir édité un peu plus d'une centaine de jeux, venant de développeurs aux horizons très variés (rien que les pays d'origine de chaque studio, si on les foutait dans une même pièce, on pourrait recréer une réunion de l'ONU) et étant eux-mêmes très variés. En termes de gameplay, d'univers ou de scénario, aucun jeu ne ressemble au précédent ou au suivant : on peut donc très bien naviguer entre un jeu de plateforme 2D énergique avec des ninjas, une expérience mobile où vous incarnez un machin coloré qui doit péter de la peinture sur ses voisins (oui), un jeu d'action-horreur glauque où vous incarnez une créature monstrueuse qui doit s'échapper d'un laboratoire secret et tuer tout le monde ou encore un platformer où vous remplissez des missions diverses et variées aux commandes d'un bus indestructible et inarrêtable, le tout avec des graphismes de jeu PlayStation.


Et après cette introduction beaucoup trop longue, nous arrivons enfin au jeu qui nous intéresse : ce fameux Pikuniku, sorti en 2019. Et avant qu'on commence, je préviens juste que je risque de spoiler des trucs, donc si vous avez prévu de jouer au jeu, arrêtez-vous, jouez-y, finissez-le et revenez me voir après. C'est fait ? Excellent. Ce jeu commence donc, après un spot TV bizarre réalisé par un truc rose à chapeau nommé "Mr. Sunshine" promettant à tout le monde de l'argent gratuit si on lui donne nos déchets, par notre héros, Piku, une créature rouge, ronde et avec 2 jambes, qui se réveille dans une grotte où il pionçait tranquillement, un fantôme lui demandant de sortir. Ce qui est un peu un tutoriel déguisé, ouais.


Sauf que, une fois dehors, catastrophe ! Les habitants du village voisin le repèrent et, terrifiés, l'emprisonnent dans une cage car ils pensent que c'est un monstre millénaire et légendaire qui est venu tous les bouffer (surtout qu'en plus, il a cassé leur pont). Sauf qu'ils finissent par se rendre compte qu'il n'est pas du tout effrayant et ils décident donc de libérer Piku après qu'il ait promis de les aider à réparer le pont. C'est le point de départ d'une aventure dans laquelle notre héros se liera d'amitié avec des gens, fera du basket avec une pastèque comme ballon, affrontera un robot dans une battle de danse et tentera de stopper la société Sunshine Inc. et son fameux dirigeant, Mr. Sunshine, qui est en fait un gros méchant qui veut construire une société parfaite à son image en détruisant tout ! Enfer et damnation, comme dirait l'autre.


Bon, je sens que vous vous impatientez, donc venons-en au point : est-ce que j'ai apprécié le jeu ? Un peu, mon neveu ! C'est réellement un très bon jeu et, même avant de venir à pourquoi je l'ai aimé, je recommande à quiconque possède un compte Steam et un porte-monnaie bien fourni d'y jouer, l'expérience vaut son pesant de cacahuètes.


Le gameplay, mélange de phases d'aventure, de plateforme et de résolution d'énigmes, est extrêmement bien dosé et ne souffre jamais d'une difficulté mal dosée ou, au contraire, d'une trop grande facilité qui pourrait provoquer chez le joueur de l'ennui. Au contraire, et cela se voit dans les phases de plateforme pure ou dans la résolution d'énigmes, le jeu n'hésite pas à un peu vous résister (et je peux le confirmer, ayant dû recommencer plusieurs fois certains passages ou passer pas mal de temps à mettre mes neurones en marche pour essayer de piger ce qu'il fallait faire pour avancer). Le meilleur exemple en est ma première partie du jeu, stoppée car je ne savais pas que pour réparer le pont, il fallait en fait aller dans un arbre qui bougeait et où on pouvait trouver une araignée à qui il fallait mettre un coup de pied pour l'expulser de l'autre côté de la rive, sa toile créant un nouveau pont). En bref, si vous galérez, c'est pas vraiment le jeu qu'est mal branlé vu qu'au bout d'un moment, on finit toujours par se douter de ce qu'il faut faire.


Ensuite, Piku, notre personnage principal. En plus d'être une des incarnations vivantes de ce qu'est le mignon, c'est un perso extrêmement maniable et qui possède une gamme de mouvements assez variée : il peut rouler et avoir ainsi une vitesse augmentée (ses jambes disparaissant), utiliser l'un de ses pieds pour s'accrocher à des crochets et ainsi se projeter très haut et loin, frapper dans des trucs avec ces mêmes pieds... et c'est vraiment très cool de le contrôler. Le seul truc m'ayant un peu contrarié, c'est que parfois, y'a certains sauts qui ne sont pas pris en compte. Ce qui fait que j'ai dû mourir quelques fois parce que Piku n'avait pas sauté alors que j'avais pourtant appuyé sur le bouton de saut (provoquant ainsi une situation de type "Mais genre, putain, j'ai appuyé sur le bouton, pourquoi tu sautes pas ?"). Mais ce n'est qu'un détail mineur et qui ne gâche jamais l'expérience de jeu.


Et enfin, tout ce qui est scénario et durée de vie. Le jeu est court, disons qu'en 3 heures, voire un peu plus si vous galérez, vous terminez le jeu principal. Ce qui peut être un gros point noir dans l'appréciation du jeu et fut d'ailleurs la critique négative principale à son encontre. Néanmoins, le jeu compense par toutes les qualités citées ci-dessus, ainsi que par un très sympathique scénario. Bien qu'il suive une forme ultra-basique (le gentil d'abord victime d'un quiproquo et qui se retrouve ensuite à faire capoter les plans d'un mec qui est méchant parce que sa conception du monde implique de faire des trucs pas cool, le tout sur fond de symbolique à la fois écologiste et légèrement anticapitaliste), le scénario possède pas mal d'humour, souvent absurde (les habitants des villages et le petit groupe rebelle qu'on aide à partir de la seconde partie du jeu sont assez cons, les mini-jeux disséminés ça et là impliquent de danser contre un robot dans un nightclub, faire du basket avec une pastèque comme ballon, jouer à cache-cache avec une pierre pour s'excuser d'avoir pété sa porte et détruit sa table et son service à thé, il y a un passage où Piku remet un toaster en marche en foutant un coup de pied dedans, ce qui invoque un super-toast grillé omniscient qui nous embarque à Toastopia et il faut éviter plein de pièges, dont des toasts volants qui vous pourchassent...) et surtout, la fin nous montre que cette simplicité était voulue. Et là, oui, je vais salement spoiler la fin.


Donc, dans cette fin, Piku et Mr. Sunshine, qui a provoqué l'éruption du volcan où il a installé sa base pour concrétiser son plan de société parfaite, sont propulsés dans l'espace et le premier vainc le second en lui foutant un coup de pied, ce qui le pousse à dériver dans l'espace et ne plus toucher terre. Notre héros finit après dans un trou et le fantôme du tout début revient le voir, prend possession de la pièce où Piku est tombé et dit que c'était cool de le revoir. Et quand vous le questionnez sur ce qu'il est, sur qui est Piku, sur qu'est-ce que c'est que cette pièce, il finit littéralement par dire qu'il n'en sait rien du tout et que, de toute façon, ce n'était pas l'important. Que l'important, c'était que Piku s'était réveillé, avait stoppé un méchant, vu du pays, rencontré des gens étant devenus ses amis et que c'était déjà pas mal. Et au fond, bien que cela soit adressé au perso, les paroles du fantôme sont tout autant valables pour le joueur, parce que c'est ce qu'il a fait durant tout le temps où il a joué au jeu (on peut d'ailleurs étendre et se dire que c'est valable pour tous les jeux vidéo depuis au moins 1986). Une simplicité dans la fin qui sied très bien à Pikuniku et qui, couplé à la superbe exécution du scénario, ne fait que l'embellir.


C'est donc pour ça, et ce malgré les deux petits défauts cités plus haut, que ce jeu est hautement recommandable pour tout le monde et que je ne peux que vous le conseiller, vous y trouverez amplement votre bonheur, en plus d'avoir une petite et sympathique porte d'entrée dans l'univers du jeu vidéo indé si vous n'y connaissiez pas grand-chose !

AntoineFontaine
9
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le 30 avr. 2020

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