Persona 4 Golden
8.5
Persona 4 Golden

Jeu de Atlus (2012PC)

Révèle la trame globale de la véritable fin mais aucun point clef

N'y allons pas par quatre chemins, Persona 4: Golden m'a déçu. L’image que ce dernier a acquise parmi les friands de la production culturelle japonaise contemporaine, à savoir celle d’un jeu brillant, philosophiquement poussé, à l’esthétique enthousiasmante et éminemment “cool”, paraissait réserver bien des promesses.

Hélas, toutes n’ont pas été tenues. Pourtant, reste que le jeu a su me convaincre de le terminer malgré sa longueur, preuve qu’il parvient malgré tout à happer l’attention de son joueur et à entraîner celui-ci dans un quotidien rêvé et excitant, moyen parfait d’évasion d’une vie monotone et solitaire, celle, probablement, des amoureux des friandises vidéoludiques de 2012 et d’aujourd’hui - on ne se refusera pas un ou deux clichés.

Alors que peut-on bien reprocher à ce Persona 4: Golden ? Et grâce à quoi trouve-t-il son salut ?

Commençons par le meilleur : assurément, Persona 4 réussit dans ce qui est probablement son ambition majeure, c’est-à-dire immerger son joueur dans un quotidien dépaysant, chaleureux, authentique et à bien des égards idéal. Se constituer un fabuleux groupe d’amis, construire des souvenirs avec eux grâce à des une foule d’événements - festivals, vacances, onsen, ski… -, mener une vie hyperactive et riche où tout constitue une occasion de créer un lien social et d’entrer dans une expansion de soi, mener parallèlement une enquête pleine de suspense, voilà peut-être ce dont on a tous rêvé, lycéen. Le jeu, d’ailleurs, nous le crie : il n’y a rien de meilleur que la jeunesse, car le travail salarié nous aliène ou nous vole notre innocence et notre temps, vision quelque peu manichéenne et pessimiste, mais qui annonce le ton ; Persona 4 est une fabuleuse célébration de la vie scolaire et étudiante, qui ne trouve hélas que peu de contrepoint et de nuance - peut-être seulement dans l’élève à qui on donne des cours et qui se plaint, avec une certaine naïveté mais aussi une lucidité, de la vacuité de certaines dimensions du système éducatif.

La chaleur et l’authenticité de cette nouvelle vie quotidienne est rendue possible par une multitude d’activités à la portée du joueur, qui participent à rendre l’expérience de jeu addictive et stimulante, mais aussi par toutes les opportunités d’approfondir la relation qu’on entretient avec ses camarades de classe, sa nouvelle famille et plus encore. Les dialogues déblocables qui approfondissent nos liens sociaux témoignent d’une assez remarquable vraisemblance et d’une appréciable diversité : on se sent la plupart du temps impliqué dans ce que vivent nos nombreux amis, qui rencontrent chacun des conflits internes différents, et on apprend à les connaître à un niveau intérieur. L’expérience se fait assez grisante puisqu’elle évite justement tout ce qui dans la vie réelle nous déplaît : la superficialité du théâtre social et la distance qu’impose la politesse ou le manque de similarité entre soi et l’autre.

Cette architecture sociale s’étoffe d’une enquête qui… n’a rien de glorieux en matière de pure logique, de construction et qui n’implique guère le joueur dans sa réalisation du fait du faible nombre d’indices exploitables pour trouver un coupable dont l’identité n’intéresse de toute façon pas vraiment. Cependant, son mérite, même si elle patine et connaît une structure répétitive et quelque peu fade, est de gagner en intensité dans son acte final et de se doter de plusieurs couches de révélations, en plus de proposer une résolution tout à fait cohérente qui satisfait amplement le joueur et ne le laisse pas sur sa faim.

En matière de forme pure, si les musiques chantées et quelques autres thèmes, celui du dernier boss - The Almighty - par exemple, font une formidable impression au joueur durant les premières heures de jeu tant elles sont entraînantes et relèvent d’une identité artistique originale, l’ambiance musicale finit par lasser après plusieurs dizaines d’heures à les écouter en boucle. Graphiquement, les environnements sont hélas assez pauvres et encore une fois répétitifs. Les donjons souffrent des mêmes tares que les meilleures morceaux musicaux : si souvent ils impressionnent au premier regard par leur originalité et la manière dont ils tranchent avec cette vieille ville de campagne, ils ne se composent en fin de compte que d’une répétition lancinante des mêmes murs, couloirs et constructions pratiquement générées aléatoirement. Les boss, ennemis et Personae ont cela dit souvent des apparences travaillées et inspirées qui permettent de combattre la monotonie du jeu.

Pour en venir enfin à la dimension qui marque le caractère spécifique de la saga Persona et leur donne leur titre, l’exploration psychanalytique voire philosophique de ses personnages, elle constitue peut-être le point le plus discutable de cet opus. Si d’abord cette exploration psychique n’a rien de subtil, puisque le concept même d’un autre soi matérialisé sous la forme d’une ombre oublie la complexité inhérente à l’intrication des désirs dans une personnalité plus vaste, elle se fait souvent trop expéditive, superficielle et simplificatrice. Même en passant l’éponge sur les ridicules “Tu n’es pas moi” qui représentent le déni de manière assez caricaturale, et qui en plus se répètent de personnage en personnage, les personnages vivent tous peu ou prou la même expérience : ils sont tiraillés par des désirs socialement inacceptables ou moralement répréhensibles, les refoulent, ce qui donne naissance à une forme de névrose freudienne, puis doivent s’y confronter… on combat la névrose et le personnage finit par accepter son désir avec la conclusion facile, bien que vraie, que “Tous ces ‘moi’ font partie de moi”, et puis tout rentre dans l’ordre. Ce qui pose problème, c’est soit que les thématiques abordées sont d’une ambition qui dépasse le traitement qu’en fait le jeu - pour Kanji ou Naoto notamment -, ce qui laisse le joueur déçu et perplexe, d’autant que les interactions déblocables avec lesdits personnages ne font parfois qu’effleurer leur conflits intérieurs, soit que leur conclusion est trop expéditive, ce qui laisse à penser qu’il suffit d’accepter ses désirs refoulés pour continuer paisiblement sa vie sociale tout en conservant une intégrité psychique immaculée. Cette superficialité des traitements psychologiques se retrouve hélas sur la majorité des peut-être trop pléthoriques interactions permises, même si certaines thématiques font tout de même mouche ou présentent des situations émotionnellement efficaces - pour Yumi ou l’oncle, par exemple.

Néanmoins, la faille philosophique de Persona 4 se matérialise surtout dans son caractère extrêmement consensuel. Que retenir qui ne soit pas déjà évident des turpitudes psychologiques des personnages de notre bande de “Chercheurs de vérité” ? A en croire Atlus, que la solution est toujours la conformité au groupe et une acceptation-répression de ses désirs personnels, acceptation-répression qui ne troublerait pas l’ordre social mais qui permettrait l’épanouissement individuel malgré tout - bref, une solution idyllique qui n’a rien de commun avec le réel. Le paradoxe réside dans le fait que c’est par l’acceptation de cet autre soi qu’on peut avancer, mais cela ne modifie au fond presque rien au destin personnel de chacun, car tous se conforment en fin de compte aux attentes sociales, au prix, seulement, d’une légère adaptation. La conclusion des interactions - ou devrait-on dire séances de psychanalyse - que le joueur entretient avec les membres de son équipe est toujours celle d’un retour à la décision la plus socialement raisonnable, qui correspond systématiquement à un état quasi-initial : Yukiko accepte d’hériter de l’auberge, Naoto accepte son genre, son âge et son corps, Rise retourne à son rôle d’idole, Kanji est un parfait hétérosexuel même si tout dans son donjon semblait indiquer le contraire, et on lui pardonne son hobby féminin s’il le met à profit de la société. Le poids des commérages et des rôles hérités, symptomatiques du monde rural, ne font qu’accentuer cette obligation de la conformité d’avec la collectivité, en évacuant, par un tour de passe-passe, l’individualité problématique et les conflits individu-collectivité.

Cette primauté de l’impératif collectif, très japonais, fait écho à une morale traditionnelle générale dans laquelle baigne globalement tout contenu idéel du jeu : il est présenté comme tout à fait normal de s'introduire dans la chambre des filles en secret la nuit, de faire des concours de beauté exclusivement féminins ou d’incarner une idole sexualisée en tant que lycéenne. Les émanations du désirs masculins pour les femmes sont omniprésentes et de nombreuses scènes à but comique reposent sur des modes de séduction non-consentis ou qui prennent la forme de marchandage. Par ailleurs, les blagues sur le caractère improbable ou ridicule des relations entre personnes du même sexe abondent, et développer dans le jeu ce type de relation apparaît comme tellement impensable que cela n’est mécaniquement pas permis. A la place, le joueur est gratifié du spectacle de deux meilleurs amis se battant pour se prouver leur camaraderie… en bref, c’est l’amitié virile qui est portée aux nues.

Ici, il ne s'agit pas de blâmer ni ne louer le jeu ou de rapporter un jugement moral à un jugement esthétique, ce qui serait absurde, mais de signaler qu’on ressent une certaine lassitude face à des schémas et des rôles sociaux et genrés éculés, qui bien loin de libérer l’individu comme le prétend Persona 4, les astreint à des rôles définis.

Cette priorité du collectif sur l’individuel s’explique aussi par une vision largement idéalisée des liens sociaux qui en devient assez risible : le fait de plaquer une mécanique de gameplay fondée sur l’accumulation sur des liens sociaux les vide de leur ambiguïté et de leur difficulté. Dans Persona 4, toute relation sociale est aisée, automatique, tous se confient pleinement alors même que le protagoniste est quasiment mutique et n’a pour lui que son physique. Aucune relation ne se fait tendue, problématique, ambiguë. Dans le pire des cas, elle se résout automatiquement, même en choisissant les pires possibilités de dialogue. Cela s’applique hélas également aux relations amoureuses, elles aussi cumulables sans conséquences ou presque : il vous suffit de fréquenter régulièrement n’importe quelle fille pour qu’elle vous tombe dans les bras et vous aime éperdument… Don Juan serait déçu. Résultat des courses : tous vos compagnons vous aiment et vous admirent, vous êtes devenu leur nouveau Dieu, l’entièreté de leur monde semble presque tourner autour de vous, ce qui, sur les chapitres finaux, brise largement l’immersion et révèle la facticité de ce quotidien (trop) doré.

Enfin faut-il aborder les derniers propos du jeu concernant les désirs humains, le brouillard, les ombres… propos caractérisés par une assez grande confusion et une relative simplicité d’esprit. Que les antagonistes soient caricaturaux et unilatéraux, cela ne fait de doute pour personne, ce qu’on peut encore pardonner, en revanche, le débat idéologique mis en scène en est réduit à une dichotomie qui laisse perplexe. D’un côté, on plaide pour une vision anthropologique qui voit en l’homme un être désirant pour qui le Ça domine et qui au fond ne supporte pas les conventions sociales - enfin d’après ce que j’ai pu en comprendre, car le propos n’est pas exceptionnellement clair -, et de l’autre, une perspective qui veut faire triompher la “vérité”, à comprendre comme une priorité donnée aux liens sociaux et à la société de manière générale. Certes, faire valoir que les liens sociaux sont constitutifs de notre humanité et permettent l’épanouissement de tous est légitime, mais les protagonistes ne font que nier la vision adverse sans jamais se remettre en question ou la nuancer pour pouvoir l’incorporer. Ils se perçoivent comme des êtres éclairés par la lumière divine de la “vérité” et refusent tout mensonge et toute illusion d’un désir qui serait néfaste à l’autre, tandis qu’ils ne font que se conformer à un ordre social établi. Dans Persona 4, on incarne donc les forces de l’ordre social traditionnel contre les aspirations postmodernes à une individualité débordante et choisie qui engloutirait avec elle les normes sociales et occasionnerait un manque de repères plongeant chacun dans l’anomie… et dans tout ça, aucun entre-deux, aucune solution satisfaisante. Le jeu se conclut sur une aporie en prétendant que tout est bien qui finit bien. D'une certaine manière, cette confrontation idéologique est assez avant-gardiste et cristallise une lutte qui se joue aujourd'hui et explique en partie l'érosion des liens sociaux, mais la réflexion s'arrête là où triomphent sans contrepartie philosophique les protagonistes.

Persona 4: Golden élabore, en dernière analyse, une aventure sociale extrêmement stimulante et prenante, enrichie par une multitude d’activités et de liens sociaux vraisemblables et conviviaux et réussit, relativement; le pari de mêler des mécaniques de RPG, de Dungeon Crawler et de Dating Sim, malgré une répétitivité qui plombe une partie de son potentiel. Il cultive des personnages attachants auxquels sont rattachés des thématiques assez diversifiées et originales, mais hélas traitées de manière superficielle ou insatisfaisante. Son propos psycho-philosophique est assez riche mais malheureusement dichotomique à l’excès et presque grossier. Son enrobage esthétique satisfait grâce à quelques réussites saillantes, qui dans leur imagerie illustrent tout à fait convenablement le fond psychologique du jeu, mais ne charme pas entièrement pour autant. Persona 4: Golden souffre donc de deux défauts majeurs : sa répétitivité, corrélat d’une pauvreté en matière de contenu, et son manque de finesse, mais parvient tout de même à emporter son joueur et à lui faire vivre une évasion qui lui donne de quoi reconsidérer le caractère essentiel de son rôle dans le monde et dans la société civile.

7,6/10

Biblilichine
8
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le 26 oct. 2023

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