Nier
7.9
Nier

Jeu de Yoko Taro, Cavia et Square Enix (2010PlayStation 3)

Rira bien qui mourra le derNier

Pourquoi ai-je mis autant de temps à faire Nier, moi qui ai passé des centaines d’heures sur les Drakengard à leur sortie ? Je savais que c’était le nouveau Cavia, et il me faisait beaucoup envie… mais ce n’était pas un Drakengard, c’était une nouvelle licence, et son accueil par la presse n’avait pas vraiment été dithyrambique (comme si les Drakengard avaient été accueillis de manière dithyrambique…). Alors bon, ça pouvait attendre.

En revanche, fait assez rare pour être noté, j’ai réussi par la suite à me tenir éloigné de toute information sur le jeu afin de ne quasiment rien en savoir lorsque je m’y lancerai. Je n’étais au courant que de deux choses : le jeu est soit disant d’une facilité risible, et les musiques déchirent tout.

Première surprise donc en m’y lançant : Nier est visiblement un JRPG. MINDFUCK. Bein ouais, les Drakengard c’était des BTA, et le Monsieur avec sa grosse épée sur la jaquette laissait présager un jeu similaire. Mais pas du tout.

On se retrouve donc sur une map qui semble de prime abord assez grande, à se balader de mission en mission dans la peau d’un père relativement âgé cherchant un remède pour sa fille malade, atteinte de Nécrose runique, une maladie conduisant inexorablement à la mort. Malgré l’horrible faciès du héros, on n’a donc pas trop de mal à s’identifier à notre Super-Papou, prêt à découper des montagnes pour sauver sa fille. Cela tombe bien, des trucs à découper il en aura le Monsieur. En effet, le monde est au bord de la destruction, les « ombres » (de vilaines créatures malfaisantes) détruisant les paisibles villages sur leur passage.

On va donc aller pourfendre des ombres, et là vient la seconde surprise : j’ai lancé le jeu en difficile, et c’est PUTAIN DE HARDCORE. Mais hardcore de manière complètement ridicule, et ce sont les Boss qui nous le montrent : lors du combat contre le second Boss, sa vie ne diminuait juste pas à l’œil nu en le frappant. Lui descendre sa barre était donc une épreuve en soi. Le problème, c’est que les game designer de chez Cavia ont eu une idée de génie : une fois la barre vide, il vaut l’achever selon une nouvelle barre, qui apparaît pendant 5 à 10 secondes. Sur ce Boss, cette vie diminue d’environ 1/5ème à chaque fois, avant de disparaître. Puis la barre de vie normale remonte, et il faut recommencer. Encore. Et encore. Et encore. Une putain de PLAIE. Heureusement, ça ne se ressent que lors des Boss, mais certains sont vraiment d’une difficulté frôlant l’absurdité la plus complète…

L’aventure sera donc au final un enchaînement de Boss, souvent plutôt bien pensés, souvent bien trop longs à abattre (plus de 2 heures sans mourir pour le dernier Boss de l’Aire). Pour cela, VGM (bein oui, c’est le nom de mon héros) aura recours à différents types de lames, mais aussi à de la magie, les « vers scellés », pouvoirs passant par un intermède : le Grimoire Weiss, un livre qui vole et qui parle. Oui, parfaitement. D’autres personnages se joindront à nous au cours de l’aventure, mais ils ne seront jamais jouables, contrairement aux Drakengard par exemple.

Hormis lors de certains Boss fights, Nier n’est pas désagréable à jouer. Le gameplay est varié par les armes et la magie, régulièrement étoffé par de nouvelles idées surprenantes (la Forêt des Légendes <3), et la musique déchire, non pas comme prévu, mais bien plus encore. De plus, il se fait défoncer sur sa technique par un peu tout le monde, or personnellement mis à part quelques chutes de frames un peu chiantes de temps à autres, je le trouve très correct. En tout cas, après Drakengard ça passe comme un charme. L’histoire se laisse suivre avec intérêt, et on avance sans compter les heures.

Malheureusement, la seconde partie du jeu se la joue Drakengard 2, avec un recyclage massif et vomitif des environnements. Ceux-ci, très intéressants lors du premier voyage, deviennent assez horripilants lorsque l’on y revient. Ceci est dû à un facteur très simple : la map est à peu près aussi grande que le budget que Square Enix a dû accorder à Cavia pour son jeu. On devra donc impérativement et inlassablement revenir aux mêmes endroits. J’ai adoré le vilage de l’Aire quand je l’ai vu pour la première fois, je le hais désormais de toute mon âme. Pire, la Montagne au Robots est un cas d’école : elle recèle d’un potentiel de fou, mais n’est au final qu’un enchaînement linéaire de salles identiques et sans inspiration. Triste…

Idem pour le bestiaire, qui ne se renouvèlera pas (ah si, les ombres arborent des armures c’est vrai…) de toute l’aventure. En réside une certaine monotonie, et on se dit que l’histoire aura fort à faire pour relever tout ça car, malgré ses pointes émotionnelles et ses personnages ultra-charismatiques, ainsi que leurs relations géniales (Kainé/Weiss, Kainé/Emile, VGM/Yonah, etc), j’attends à titre personnel bien plus d’un jeu Cavia, notamment en ce qui concerne le traitement de fond.

Et là, une fois la première fin visionnée, la déception est grande : oui il y a un twist sympa, oui il y a une idée cool, mais tout reste tellement superficiel, tout reste tellement en surface… On est à des milliards d’années-lumière du traitement du premier Drakengard. J’aurais alors mis 7, signe d’un jeu sympathique, qui m’a plû, mais loin de mériter sa réputation. Le hype autour de Nier serait-il simplement dû à la surprise des gens ne connaissant pas Cavia et s’attendant à un JRPG quelconque ?

Mais je me ressaisie et me lance dans le second run, décrété bidon par le Net, notre level ayant augmenté, contrairement (parait-il) à celui des ennemis. Passons le fait qu’en difficile ce ne soit pas du tout le cas, que tous les combats soient juste deux fois plus durs et que j’ai pleuré de rage et de désespoir devant ces Boss complètement absurdes, confirmation s’il en était besoin que le jeu est visiblement bidon en normal, beaucoup trop dur en difficile…

… Pour en arriver à l’essentiel : ce New Game+ est absolument INDISPENSABLE. En effet, on refait toute la seconde partie du jeu, sauf que cette fois-ci les ombres parlent, on entend leurs pensées, et leur histoire « nous » est contée. « Nous » en tant que joueur, car mon VGM lui ne voit rien de plus que lors du premier run, idem pour les autres personnages : ces-derniers se comporteront de manière strictement identique à la première fois. Et alors Cavia dévoile tout son savoir-faire en termes d’horreur, de malaise et de critique de l’humanité.

A partir de là, je vais SPOILER Nier. RDV à la conclusion si vous n’y avez pas joué ou que vous ne l’avez pas fini.
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Nous sommes donc désormais entre initiés. Cette manière de voir les choses, cette fuite en avant vers la seconde fin alors qu’on commence seulement à comprendre ses actes véritables, est un coup de génie typiquement Cavien, si j’ose dire. Ainsi, quelle douleur au moment d’affronter la petite ombre et son ami le robot. Quelle souffrance lorsqu’il faut se venger de la meute de loups qu’on a au préalable massacré. Mais pourtant, on continue. On réalise ces actes dans un but, un seul : terminer le jeu une nouvelle fois, voir la suite. A l’exacte manière de Drakengard, le jeu fait tout pour nous dissuader de continuer, pauvre joueur complètement manipulé et prisonnier des règles du média que nous sommes.

Ainsi, lorsque l’on termine le jeu une seconde fois, le jeu ne nous montre même plus la fin de VGM, et pour cause : elle ne nous intéresse plus. Nous sommes passés de l’autre côté, du côté des ombres, des anciens hommes corrompus. Le sort de ces cruels pantins censés être dénués de conscience, les Replicants, avec lesquels on a pourtant fait tout le jeu, ne nous concerne plus.
Une splendide démonstration de la vanité de certaines œuvres, une preuve parfaite que la même aventure peut être vécue identiquement, mais avec deux points de vue strictement opposés, selon que l’on connaisse certains éléments ou non, si tant est bien qu’on daigne se débarrasser de nos préjugés de joueur basique (ombres = méchants, petits villageois = gentil, …). Un superbe contre-exemple du manichéisme. En cela, le fait d’avoir fait un JRPG est selon moi un autre coup de génie : quel meilleur genre pour illustrer les préjugés ? D’ailleurs, si ce jeu n’avait pas été fait par Cavia, j’y aurais peut-être cru, à cette histoire de RPG gentillet et de Papa qui veut sauver sa fille...

Le joueur n’est donc pas libre, il est prisonnier de la vaine quête d’arriver au bout de l’histoire, de tout voir, de tout comprendre. Des thèmes largement abordés par Kojima dans Metal Gear Solid 2. Mais là où MGS2 sacrifiait 80% de son jeu pour son propos, Nier procède autrement. Certes, il fait également les concessions nécessaires (quêtes typiques ultra-reloues de JRPG, level-up risible en difficile…), mais on a le reste du temps un vrai jeu, et non une redite en tout point inférieure de l’épisode précédent de la série.

Mais ce n’est pas tout, car Nier va selon moi beaucoup plus loin que MGS2 via ses fins 3 et 4. Tout comme Drakengard, il fait pourtant vraiment tout pour dissuader le joueur d’aller jusque-là : pour voir ces fins, il faut collecter toutes les armes, et donc se farcir absolument toutes les horribles quêtes secondaires du jeu… Je ne l’ai pas fait et m’en suis donc remis à YouTube, comme Drakengard encore une fois. Et là, c’est le choc.

Ce dernier final vous demande de faire un choix : ou bien vous tuez Kainé, la libérant de toutes ses souffrances, ou bien vous vous sacrifiez pour la sauver. VGM doit donc se sacrifier pour la sauver. Une décision commune dans le milieu du jeu vidéo, presque banale, pour ne pas dire cliché. Oui, mais là c’est VGM qui doit se sacrifier. Et alors ? Allons-y.
« Si vous faites ce choix, toutes les données de Nier présente sur votre console seront effacées. En êtes-vous sûr ? »
What ?!
Eh oui. VGM doit se sacrifier. Mais je suis VGM. C’était évident pourtant, non ? Je suis VGM, VGM doit se sacrifier. Je dois donc me sacrifier. Le sacrifice ? Plus de 80 heures de jeu, d’investissement corps et âme, supprimés. Tout simplement effacés, à jamais. Le héros meurt, son histoire meurt avec lui. Et le jeu ne rigole pas. Une fois les crédits terminés, à l’écran où l’on sauvegarde normalement son NG+, on assiste, impuissant, à la suppression de toutes nos données de jeu. Nier vient d’inventer le sacrifice vidéoludique. Provoquant probablement le suicide de nombreuses personnes à travers le monde, poussant l’identification du personnage au joueur plus loin que jamais.

FIN SPOILER NIER
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7 après la première fin, 8 après la seconde, 9 après avoir contemplé l’œuvre dans son entièreté. Une œuvre majeure, le chant du cygne de Cavia qui termine ce qui a été commencé avec Drakengard, 3000 ans plus tôt.

Nier n’est ni un excellent jeu ni un chef d’œuvre, mais un jeu d’auteur. Aux côtés de Braid, Bioshock ou encore Spec Ops, il est non seulement un des jeux les plus intelligents de sa génération, mais également une œuvre majeure pour le jeu vidéo, une ouverture d’esprit violente mais pertinente. Et nécessaire.
VGM
9
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le 20 nov. 2013

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VGM

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