"Violets are blue, roses are red. We're coming aboard. Prepare to eat lead"

Petite séance de rétro, durant laquelle je me plonge dans ce jeu d'aventure sorti en 91 et régulièrement cité comme un incontournable. Votre héros, Guybrush Threepwood, dont le nom imprononçable est un gag en soit, est un jeune bellâtre qui veut mettre la main sur un trésor mythique. Or, le terrible LeChuck, pirate que Guybrush a pourtant mis en pièces dans une précédente aventure, est revenu à la vie et cherche vengeance. Un pitch simple pour une aventure qui s'avère accrocheuse du début à la fin.
Le design de Monkey Island 2 est très charmant. Même trente ans après sa sortie sur disquette c'est visuellement superbe si on fait abstraction de la grosseur de ces pixels d'antan, avec son univers de piraterie cartoon basé sur de très beaux dessins, qui tourne au pulp horrifique dans la forteresse de LeChuck avec ses couleurs sanguines et ses murs bardés de mises en scènes macabres. Chacune des trois îles visitables a son identité propre : Scabb Island avec ses repères de pirates et ses marécages nocturnes, Booty Island et ses attrape-touristes et où la population fête le Mardi Gras tous les jours, Phatt Island la dictature militaire où la population est surveillée par des gardes d'une stupidité renversante. A cela il faut ajouter une bande-son excellente avec de nombreux thèmes mémorables, et une grande liberté de progression qui rendent très agréables l'immersion dans cette aventure.


Monkey Island 2 est très drôle. C'est une rencontre permanente avec des dialogues soignés, des situations et personnages hauts en couleur: l'horrible gouverneur de Phatt Island qui se fait gaver directement dans son lit par un système de tubes pneumatiques, un bonimenteur agaçant qui vend avec enthousiasme des cercueils d'occasion (!), un vieux pirate alcoolique qui préfère vous défier à un jeu à boire parce que les combats de sabre « c'est pour les mauviettes », le corps décharné d'un cuisinier revenu d'entre les morts qui vous demande d'aller vérifier s'il a bien fermé le gaz dans sa cahute avant de mourir... Le ton est donné des les toutes premières minutes du jeu : alors que vous partez à l'aventure avec un inventaire déjà bien fourni et de l'argent en quantité, au premier pont traversé vous tombez sur le caïd du coin qui vous suspend par les jambes au dessus du vide, ce qui vous fait perdre l'intégralité de votre inventaire. Les gags anachroniques et les références geek sont légion, jusque dans certaines résolutions d'énigmes, comme le tour de passe-passe d'Indiana Jones quand il subtilise une statuette. L'humour déplacé foisonne: exhumer un corps pour concocter une sorcellerie vaudou, jouer à l'ex relou pour déclencher un script de dispute avec votre ex-compagne, participer à un concours de crachat, provoquer l'arrestation d'un innocent pour lui piquer ses effets personnels en prison, faire introduire un rat dans une gargote pour que le cuisinier se fasse virer et qu'on prenne sa place...


Par contre il faut bien insister sur un point. Si vous pensiez que MI2 est un ces point&click enfantins qu'on finit la main dans le slip en une demi-douzaine d'heures, vous allez déchanter. Car Monkey Island est d'une difficulté qui confine à l'absurde. Les énigmes sont souvent tordues et échappent au bon sens dans un but humoristique. Monkey Island pousse le principe du fusil de Tchekhov dans ses retranchements, avec des liens de cause à effet entre énigmes, sous-énigmes et actions du joueur, dignes du piège d'Attrap'souris. Il y a même une dose de troll des développeurs dans ce jeu: ainsi, après avoir bien galéré dans un labyrinthe, vous vous retrouvez devant une porte massive bardée de multiples verrous imposants, et c'est la panique: auriez-vous oublié de ramasser une clef? Faut-il rebrousser chemin et recommencer tout le dédale, y a-t-il un mécanisme caché quelque part qu'on n'a pas vu? On passe de longues minutes à réfléchir, à essayer mille trucs... alors qu'en fait les verrous sont juste du bluff, la porte s'ouvre normalement... Et il y en a plein d'autres des conneries comme ça: un vieux sage vous invite à arpenter la jungle pour y trouver la solution d'une énigme philosophique à la con qui n'a en fait pas de réponse, un commerçant vous permet d'acheter un item très cher qui n'aura en fait aucune utilité, une cabine téléphonique vous permet d'appeler un développeur de LucasArt pour lui signifier que vous êtes perdus, et celui-ci d'un air goguenard vous invite à aller vous faire voir. A un moment, un personnage vous refuse de vous laisser prendre un item: On cherche un moyen, une feinte, mais il suffisait en fait d'insister deux ou trois fois de plus pour qu'il vous le laisse finalement. Et je ne vous parle même pas des énigmes qui reposent sur un jeu de mot en langue originale: en anglais, une clef anglaise se dit "monkey wrench", ainsi il vous faut capturer un singe pour dévisser un mécanisme. Ajoutez à cela les difficultés inhérentes au point&click: les petits items parfois trop bien cachés dans le décor pixelisé, la multiplicité des ordres à donner à notre personnage qui fait qu'on passe parfois pas loin à côté de la bonne combinaison, tout cela fait qu'on passe beaucoup de temps bloqués sans savoir quoi faire, à se demander si on n'est pas tombé dans une connerie de soft-lock (non), à cliquer un peu au pif et finir par trouver une solution par pur hasard... Il faut aussi compter sur le manque d'ergonomie de l'inventaire, la lourdeur du moteur de jeu SCUMM, révolutionnaire à l'époque mais aux principes qui paraissent bien archaïques aujourd'hui. Il y a de quoi rager lorsqu'on se sent battu par un jeu au gameplay aussi sommaire qu'un point&click! Le jeu manque de quelques auxiliaires qui paraissent évidents aujourd'hui, tels qu'une section qui compilerait les anciens dialogues, par exemple, vu que beaucoup d'entre eux donnent des indices sur les résolutions d'énigmes. Bon, on n'est pas non plus dans le niveau de sadisme d'un Takeshi's Challenge, mais il n'empêche que j'ai personnellement fait pas mal d'allers-retours sans honte dans la soluce du jeu, l'air écarquillé du type qui se dit "mais comment on est censé deviner ça?". Après tout, un certain nombre de ces difficultés relèvent d'erreurs de design, remontant à une époque où les notions de patchs et de mises à jour n'existaient pas.


L'aventure s'achève sur une fin mémorable, entre onirisme à la Peter Pan et mise en abîme du joueur. Difficile de trop en dire, mais on en sort étonnement déstabilisé.
Bref, ce Monkey Island est un petit bijou, d'une difficulté insensée voire trollesque, et qui pâtit d'une technique rudimentaire... Mais tellement fun, profond, au scénario soigné, bourré de rebondissements, et enfin il est d'une beauté renversante. Une excellente aventure, bien que régulièrement frustrante.

Biggus-Dickus
7
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le 17 août 2020

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Biggus Dickus

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