En 1987 avec Metal Gear, Hideo Kojima créait le personnage de Big Boss. Un personnage déjà complexe, un commandant, une légende vivante, un mentor pour notre héros Solid Snake, quelqu'un que l'on respecte immédiatement. Depuis cet épisode, le personnage n'a cessé de prendre de l'ampleur et d'agrandir sa fantastique aura. Il est tellement important au sein de la "mythologie" Metal Gear qu'à la simple évocation de son nom on pense à la légende, à ce qu'il représente, alors qu'au fond on ne sait rien de ce qui a fait de lui une telle légende.
Et pourtant, il est passé dans Metal Gear 2 du statut de leader de Foxhound au rang de paria, devenu alors un dangereux terroriste menaçant le monde entier.
Pourquoi un tel revirement ? Que s'est-il passé pour que ce personnage change ainsi de position ? C'est cette question qui rend pour moi le personnage de Big Boss aussi passionnant. Compliqué, contrasté, profond, avec ses bons et mauvais côtés, il faut creuser pour en saisir la complexité.


Et c'est là que Metal Gear Solid 3 prend toute sa force. Nous sommes en 1964, 31 ans avant le premier Metal Gear, nous incarnons Naked Snake, l'agent de la CIA sur le point de devenir le plus grand soldat de tous les temps. Cette mission est celle qui changera toute sa vie, c'est celle qui changera la face du monde.
Cette mission oppose Snake à son mentor, son amie, son amante (?), celle qui est actuellement la plus grande soldat de l'histoire, "The Boss".


MGS 3 est donc une aventure profondément intimiste et introspective sur son héros. On y parlera de son passé, de ses convictions, de ses sentiments. Il devra trouver la force d'aller au bout de sa mission, il devra faire preuve d'un grand courage. Il devra surmonter ses doutes et ses peurs.
Avant d'atteindre The Boss, il devra affronter son unité d'Elite, les Cobras. Ceux-ci portent tous le nom d'une émotion. Snake devra donc symboliquement affronter ses propres émotions pour être apte à combattre son mentor. Il faudra outrepasser la douleur, la peur, la fatalité, la colère, et le chagrin pour être capable de la vaincre.


De manière muette, il sera amené à réfléchir sur le monde, sur la guerre, sur les trahisons, sur ce que représente réellement une nationalité. The Boss et Eva ont tourné le dos à leur pays. Lui, véritable patriote, n'arrive pas à réellement le comprendre. Et si je dis que ces réflexions sont muettes, c'est que Snake lui ne va pas souvent exprimer ses pensées, le joueur le fera pour lui, et lira dans ses yeux troublés ce qu'il a envie d'y lire.


Nous sommes en pleine guerre froide. Le contexte, passionnant s'il en est, n'est étrangement que très peu traité (voire pas du tout?) dans les jeux vidéo. Ici, cette guerre froide est vue à travers les yeux des soldats. Simples pions d'une gigantesque machinerie politique. La guerre froide est un jeu d'échec dont les civils sont les dommages collatéraux, et dont les pièces à sacrifier sont les soldats qu'on envoie secrètement. Chacun de ces soldats tient une place différente dans cet échiquier titanesque. Le parcours de The Boss, d'Ocelot, de Volgin, de Snake et d'Eva les ont amené à différents états d'esprit qui définissent leurs engagements respectifs.


Metal Gear Solid 3 veut également parler de la scène politique, et veut nous amener à nous rendre compte que la scène de chaque époque change en fonction de la politique et des tendances. Les ennemis d'aujourd'hui sont les alliés d'hier et de demain. La vie et la mort de millions d'individus ne dépend que d'un claquement de doigts des politiques. Mais après tout, que seraient les soldats sans la guerre ? Ce propos fort sur la guerre est intrinsèque à toute la saga Metal Gear, et il trouve toute sa force ici également.
Petite digression personnelle, hier je regardais Harakiri de Kobayashi, et le film parlait des rônins, ces samouraïs devenus de pauvres mendiants condamnés à la misère car la paix a été instaurée. C'est la première fois que je voyais dans un film la paix montrée sous un oeil néfaste. L'histoire du japon est empreinte de ce souvenir, et je ne pense pas que c'est anodin si l'on retrouve ce tiraillement dans l'oeuvre de Kojima.


Naked Snake va donc continuer son parcours initiatique afin de se surpasser lui-même et empêcher la guerre nucléaire. Et en tant que joueur, l'aventure procure un plaisir fou ! Le gameplay est riche, le level design de grande qualité, les décors sont divers et variés, et de nombreuses péripéties nous attendent.
L'infiltration est grandement réussie grâce au système de camouflage, l'identification au héros passe également par le réalisme relatif du système de santé, très bien conçue également. Les niveaux sont excellents et peuvent être abordés de nombreuses manières, c'est là tout le talent de la réalisation. Même les boss peuvent être vaincus de façon différentes. Le jeu croule sous les scènes marquantes et les cinématiques éblouissantes. C'est vraiment exemplaire. Mais ça, ça a été dit un peu partout, donc je préfère ne pas m'y attarder plus que cela.
Ce qui me plait également, c'est qu'on se sent vraiment en 1964, de part la technologie qui est bien moins performantes, mais aussi par les commentaires que l'on aura par codec. Paramedic nous fera le tour de films de cette époque, et ça fait un certain choc quand elle nous dit que certains "viennent de sortir". Une petite idée qui a son charme.
Si je fais ma critique sur la version Subsistence, c'est car la caméra a été modifiée. Autrefois placée selon les choix des développeurs, on peut à présent la déplacer librement ou choisir de passer à l'ancienne vue par la simple pression du bouton R3. Ceci change considérablement l'expérience. Nous pouvons profiter d'autant plus des décors sans être bridé par la caméra.
D'ailleurs, cette version nous offre également les deux premiers Metal Gear en version MSX2, autrement dit respectivement un sympathique jeu et un chef d'oeuvre. Des jeux qui étaient introuvables car n'étaient pas sortis chez nous. C'est un plus fortement notable.


Metal Gear Solid 3 est donc une oeuvre riche, tant au point de vue gameplay et ludique qu'au point de vue de ses réflexions. C'est aussi une oeuvre belle, très belle même.
Elle est empreinte d'une poésie guerrière, tout comme l'était le premier MGS (et comme l'amorçait MG2). Le réalisme côtoie le magique, le fantastique. Les personnages ont des supers pouvoirs, des surnoms de fous, mais c'est ce qui fait leur charme. On est au sein d'un conte, un conte magique et tragique, un conte guerrier. C'est aussi une oeuvre de romance, qui parle subtilement de l'amour et de ses limites. De quelle nature est l'amour qui lie The Boss à Snake ? Platoniques jusqu'au bout, ces regards sont profonds. Et toute cette cruelle poésie atteindra son paroxysme dans un final absolument magnifique.
Mon seul regret concerne les boss de l'unité Cobras, qui sont dépourvu de toute humanité. Ils ne sont que des émotions, ils n'ont pas de passé, d'avenir, ni d'existence propre. Ils ne sont que des obstacles à abattre. Dans MGS1, Sniper Wolf et Psychomantis allaient vous parler de leur existence dans de bouleversantes cinématiques. Ici, rien de tous ça pour ces quelques lascars, tout tourne autour des personnages principaux, notamment Snake et The Boss. Dommage pour un jeu et une saga si proche de l'humain.


MGS3 ne fait peut-être pas progresser l'intrigue entre MGS2 et MGS4, ce qui pourra en frustrer plus d'un, mais c'est un jeu unique qui existe en soi au delà de toute saga. Un jeu inoubliable.
Dans son intégration dans la saga, c'est le parcours de Big Boss, ça enrichit considérablement le personnage et ce qu'il représente, ça renforce d'autant plus le mystère de ses terribles actes à venir. Et rien que pour ça, on ne pouvait pas passer à côté. Incontournable.


[>>SPOILS<< à partir d'ici]


Un champ de fleurs, des bourrasques de vent, un dernier tir... Un duel au sommet, fascinant de poésie, bouleversant de tragédie. C'est un combat entre deux personnes qui s'aiment d'un amour unique, un amour à la fois maternel et amoureux.
"Life's end... Isn't it beautiful? It's almost tragic."
L'affrontement est épuré, simple, sans artifice. Après avoir bataillé contre un Shagohod dans une explosion de mise en scène, revenir à une telle pureté, une telle légèreté est d'autant plus fort, plus réel.
The best ten minutes of our lives.


Je suis fasciné par ce regard. Le regard de Snake quand il s'avance vers le président, quand il lui sert la main. Il n'est plus le même, quelque chose s'est brisé. Il sait qu'il n'est qu'un pion, il sait que tout n'est que manipulation.
Le même regard alors sur la tombe de son aimée, sur la véritable héroïne. Le regard triste posé sur cette tragédie. Big Boss est devenu un héros de légende, son succès n'est pas mérité, il le sait. Et son regard n'en finira pas de s'assombrir pendant les trente-et-une prochaines années.


Un dernier salut, une larme, une musique éblouissante. Brillant levé de rideau.

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le 11 août 2013

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