Life is Strange est un objet vidéoludique inhabituel. Attention : son histoire ou ses mécaniques narratives ont déjà été vues mille fois dans la fiction pour ado ou au cinéma. Mais dans un jeu vidéo doté d'un budget décent et visant autre chose qu'un public d'adolescents, c'est assez inattendu.


En fait, ce jeu est assez désarmant : que ce soit du point de vue de l'histoire ou du gameplay, il intègre beaucoup de clichés et de passages bateaux, ce qui peut le faire sembler un peu creux au premier abord.


Mais il arrive souvent à en jouer ou à prendre le joueur totalement par mégarde avec certains passages très justes et d'une rare tendresse.


D'ailleurs, petite mise en garde : je suis resté assez sceptique à la fin du premier épisode, ce n'est qu'en continuant que j'ai commencé à apprécier l'univers mis en place par le jeu. Je vous conseille donc de ne pas complètement vous fier à votre première impression. Sur ce, allons-y !



Life is a bitch



Life is Strange appartient au genre des "story-driven adventure game" ou histoires interactives publiées épisodes par épisodes, un genre popularisé par le studio Telltale Games ces dernières années, avec des jeux qui mettent l'accent sur l'écriture, les choix moraux et l'ambiance, en général au détriment du gameplay.


Pour faire simple : là où les anciens jeux d'aventures faisaient souffrir le joueur par l'utilisation de puzzles particulièrement alambiqués, la nouvelle génération préfère le laisser se torturer l'esprit devant des dilemmes moraux insolubles.


Dans Life is Strange, vous incarnez Maxine Caufield, alias Max, une jeune fille récemment admise à l'institut Blackwell, Oregon pour y étudier la photographie. Assaillie par de mauvais rêves et un peu mal dans sa peau dans ce nouvel environnement, elle va, au cours d'un fait divers, découvrir qu'elle a le pouvoir de remonter le temps.


Déterminée à utiliser ce pouvoir pour le bien commun, elle va se mettre en tête d'enquêter sur la disparition d'une des élèves, avec l'aide de son amie d'enfance Chloe Price.


Dans ce genre d'histoire interactive, histoire et gameplay sont étroitement liés. Le jeu mise beaucoup sur l'investissement du joueur et son implication émotionnelle vis-à-vis des personnages. En effet, puisque l'essentiel des interactions du joueur avec cet environnement virtuel consistent en une série de choix moraux qui auront un impact sur la suite de l'histoire, il est crucial qu'il ressente une connexion, au moins avec le personnage principal.



Un peu cliché, cette classe de photographie



C'est là que ça risque de coincer. Au premier abord et tout au long du premier épisode, tous les personnages sont des clichés sur pattes. Vous avez tout, mais alors tout ce qui a déjà été vu dans la littérature pour ado :



  • l'héroïne effacée, gentille et peu sûre d'elle,

  • l'ado rebelle qui traverse une phase punk,

  • l'étudiante bourge qui traite tout le monde comme de la merde,

  • le prof un peu dandy intello mais classe qui croit en l'héroïne,

  • le fils d'aristo aux tendances psychopathes,

  • le chef de la sécurité paranoïaque,

  • le... bon je vais m'arrêter là, mais sans déconner, quoi.


L'écriture a tendance à appuyer ce côté un peu cliché et "faux", mais elle est globalement de bonne facture. Les doublages sont dans l'ensemble très bons.


Je peux comprendre qu'en traversant le premier épisode, on ait une sensation de maxi foutage de gueule. Je sais aussi que dans ce genre de jeu, ce sont les interactions entre le joueur et les personnages qui l'amènent à gratter la surface et à dévoiler des caractères plus profonds qu'il n'y parait.


Dans le cas de Life is Strange, le bilan est mitigé : Max gardera tout au long du jeu une tendance à chouiner assez agaçante, mais la plupart des personnages se révéleront moins archétypaux qu'il n'y paraît, que ce soit de manière totalement prévisible ou plus inattendue.


Par contre, la plupart des personnages passeront beaucoup de temps à se dire les uns les autres qu'ils sont géniaux, uniques et fantastiques et à ne pas se croire... J'imagine que c'est ce qu'on gagne quand on veut suivre une histoire qui parle d'ados.


Pour le scénario, même bilan en demi-teinte. Un peu cliché au début, il réserve quelques grosses surprises et se laisse fort bien suivre, même s'il est parfois un peu maladroit. Sur fond d'histoire de passage à l'âge adulte, le jeu retranscrit assez bien les insécurités adolescentes et en joue plutôt intelligemment.


Le jeu tourne énormément autour de la relation entre Max et sa meilleure amie Chloe, et il faut bien avouer que même si elles sont un peu co-connes, elles forment un duo très sympathique à suivre.


Enfin, il prend son temps, il n'a pas peur d'être contemplatif, et il s'aventure dans une direction rarement vue pour un jeu vidéo, ce qui est aussi apprécié.



Pépite visuelle



Bon, du coup, qu'est-ce qui fait que Life is Strange se démarque un peu ? Commençons par le gros point fort du jeu, la sainte trinité : le style graphique, les éclairages et la composition. Pour faire simple, c'est particulièrement joli.


Le jeu bénéficie d'un style semi-réaliste avec un petit effet "peinture" sur les textures, que viennent sublimer des éclairages particulièrement léchés. S'en dégage en général une atmosphère feutrée, un peu mélancolique, qui convient parfaitement à ce lycée perdu dans l'Oregon, rempli d'adolescents en proie à leurs propres crises existentielles.


L'équipe de Life is Strange n'a pas choisi de faire de la grande majorité de son casting des photographes par hasard : les décors, la mise en scène et la réalisation bénéficient d'une des plus grandes attention aux détails que j'ai jamais vu dans un jeu vidéo. Qu'il s'agisse de symbolisme ou de références geeks, il y a mille et une choses à trouver dans cet univers pour l’œil exercé. Le jeu fait abondamment référence à Twin Peaks, et il faut reconnaître que son ambiance évoque parfois ladite série.


Par ailleurs, la cohérence thématique de l'ensemble fait plaisir à voir : qu'il s'agisse de retranscrire une petite ville de pêcheurs en proie aux promoteurs immobiliers, une vieille casse servant de repaires aux ados du coin ou une rave-party dans le gymnase du campus, rien ne semble hors de propos, et le tout flatte la rétine de fort belle manière.


Au point de vue ambiance, donc, ce jeu fait preuve d'une finesse et d'une dévotion qu'il convient de saluer, qu'on aime ou pas le résultat final.



Wibbly-wobbly, Timey-wimey... Stuff.



Deuxième bon point : la mécanique de retour dans le temps. Je l'ai dit plus haut, ce type de jeu tourne beaucoup autour des choix moraux qui vont permettre au joueur de personnaliser son expérience par leurs conséquences irréversibles. J'anticipais donc cette mécanique comme un peu gadget : s'il s'agit juste de rembobiner pour voir les conséquences à court termes, c'est juste faire l'économie de la fonction de sauvegarde.


Bon, j'avoue, j'avais tort. Déjà, thématiquement, ce pouvoir s'intègre plutôt bien : quel lycéen angoissé par son avenir et par ce que pensent les autres n'a pas rêvé de pouvoir rembobiner le temps ? Au début, on utilise un peu ce rewind comme ça : un moyen de se libérer des conséquences de ses choix.


Et puis petit à petit, il s'intègre dans l'intrigue, est remis en question, et permet quelques puzzles un peu poussifs, mais aux idées sympathiques : on a tous vu un film où le héros démontre son pouvoir en prédisant le futur immédiat. Ici, vous devez le faire et vous rappeler de tout ! Une idée pas dégueu.


Au final, je suis peut-être le seul à avoir eu cette expérience, mais j'ai tellement l'habitude de me mettre dans la peau du personnage et de jouer en pesant le pour et le contre que je n'ai quasiment plus utilisé cette fonction dans les dialogues passé le premier épisode.


Ce qui me paraissait cohérent avec cette idée de voyage initiatique vers l'âge adulte de Max. Mais bon, c'est peut-être juste moi.


Et enfin, au niveau du scénar, même s'il laisse quelques "plotholes", il donne lieu à une séquence poignante et qui aborde un thème très rarement vu dans un jeu vidéo :


Le retour dans le temps pour sauver le père de Chloe et l'accident qu'elle subit qui la laisse paralysée.


Globalement, les développeurs ont su utiliser cette mécanique comme un élément de gameplay (même si ça reste perfectible) autant que comme un outil narratif qui permet de pousser le personnage principal dans des directions inattendues. Bien joué les gars !



A retenir :




  • Ambiance ++++ : Qu'on aime ou pas, cette plongée dans le quotidien d'une adolescente est impeccablement rendue, bien qu'un peu cliché.

  • Difficulté + : Hormis quelques puzzles plus longs que vraiment difficiles, rien ne vient vraiment freiner la progression du joueur au long du scénario.

  • Gameplay ++ : La principale mécanique, le voyage dans le temps, est correctement exploitée. A part ça, c'est une histoire interactive.

  • Graphismes ++++ : Grâce à une direction artistique solide et des
    éclairages fantastiques, on a affaire à une véritable petite friandise visuelle.

  • Scénario +++ : Enquêtes, science-fiction et drames d'adolescents, le
    tout globalement traité avec justesse. Plus on avance, moins on s'ennuie, et le jeu
    assume complétement son format épisodique pour maintenir le suspense
    jusqu'à la fin.

  • Durée de vie ++ : Comptez entre 10 et 12 heures : le jeu est
    également largement rejouable pour observer les conséquences d'autres
    choix.


En fait, ce jeu lui-même a un gros ressenti "ado" : il n'est pas très réaliste, il est assez énervant, un peu pataud et bordélique, il multiplie les références comme pour se chercher une identité. Mais en même temps, il est assez désarmant par sa sincérité et son charme naturel. Il aborde aussi quelques thématiques rarement vues dans des jeux visant un public large. Si DONTNOD soigne un peu plus son design et son écriture, il s'agira sans conteste d'un studio à suivre.


En attendant, malgré ses défauts, Life is Strange est un gros bol d'air frais vidéoludique qui pourra vous plaire, que vous aimiez les jeux vidéos ou les histoires bien racontées.

Hamsolovski

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