Au bout de deux cent heures de rires, de larmes, de frissons alternés et parfois simultanés, on ne peut pas simplement appuyer sur la petite croix rouge en haut à droite et reprendre sa vie comme si de rien n'était. On réfléchit, on se demande pourquoi l'expérience que l'on a vécue était si extraordinaire, et puis vient le temps où il faut que ça sorte, il faut qu'on en parle à quelqu'un de pur, qui n'a pas connu Higurashi, même s'il s'en fout.

Alors aujourd'hui, c'est l'heure du prosélytisme vidéoludique. Le sujet du culte sera "Le SANGlot des Cigales", roman d'horreur et d'enquête sur une série de meurtres, présentement coupable de génie scénaristique, et suspecté d'avoir fait ce que peu avant lui avaient osé accomplir : être un jeu touché par la grâce.

Remettons nous dans le contexte. Higurashi no Naku Koro ni est un petit roman sonore réalisé à l'aide de moyens d'amateurs, mais précédé dans le milieu assez restreint du visual novel d'une réputation à faire baver d'envie n'importe quel éditeur de jeux vidéo. J'en sors, et je peux vous le dire : la réputation de Best Game Ever de Higurashi n'est pas usurpée. Exemple bateau : vous en connaissez beaucoup, des énigmes où l'identité même du personnage principal est une énigme ? Moi pas. Respirez, ouvrez les yeux... bienvenue à Hinamizawa.

Juin 1983. Les cigales chantent à Hinamizawa et le soleil brille. Et pourtant, dans ce village perdu, une petite fille pleure. Il faut dire que son village est frappé d'une malédiction et que, tous les ans, le jour de la fête de la purification du coton, le petit festival du coin... comment dire... il y a un meurtre, et rien ni personne ne semble capable de l'empêcher. La vie là-bas est devenue ni plus ni moins qu'une impasse. Et la purification du coton... c'est dans une semaine. Autant dire que le nouveau venu que vous êtes a quelques raisons de s'inquiéter : les jours passent, et les évènements dérangeants - oh, rien de bien grave, une phrase un peu étrange, un sourire un peu malsain, un rire un peu forcé - s'accumulent. Le pire, c'est que vos amies ne semblent pas étrangères à tout cela...

La série de meurtres était le sujet des quatre premiers volumes, inclus dans le bundle "Le Sanglot des Cigales", qui correspondaient aux énigmes. Mais ici, nous parlons des épisodes "R" - des réponses à toutes les questions.
Alors, qui étaient les coupables ?

La haine, la peur, la folie.

Même si l'on peut finalement retrouver un coupable, un groupe de coupables, une situation coupable dans Higurashi, bref, quelque chose ou quelqu'un de précis qui fait basculer le monde dans l'horreur, force est de constater que les vrais coupables sont ces trois-là. Mais, bien sûr, une enquête policière ne peut pas simplement conclure que ce qui est en cause dans un meurtre, c'est la nature humaine !

Si l'on m'avait dit, il y a quelques années, qu'un simple livre puisse faire renaître en moi de telles émotions mêlées et contradictoires, je n'en aurais rien cru. Si l'on m'avait dit que je devrais me retenir de faire des mouvements de chef d'orchestre devant mon ordinateur aux moments les plus fous de l'histoire, comme pour rire de ces pions face à la destinée, j'aurais bien ri. C'est pourtant ce que j'ai fait tant "Le Sanglot des Cigales" est... parfait. Rena, Keiichi, Rika, Mion et les autres, tous, absolument tous les personnages ont quelque chose à cacher, et c'est ce qui rendait l'énigme si difficile à résoudre. Pour ma part, j'ai lamentablement échoué ne serait-ce qu'à découvrir ce qui causait tout cela... mais je ne regrette rien.

Jouer à Higurashi, c'est vivre dans un film de Hitchcock avec vos meilleurs amis, et voir si votre amitié survivra à tout ce que vous vivrez, avant que vous ne vous rendiez compte que "ce que vous vivez" n'est pas forcément que du fait du réalisateur... or, Ryukishi07 est quelqu'un d'intelligent, qui a parfaitement compris que créer une simple histoire d'enquête ne serait pas suffisant. Il a donc innové en rajoutant un élément scénaristique d'une grande profondeur, que je vous laisserai découvrir lors de la lecture. Cet élément pose très habilement la question : jusqu'où peut-on aller pour défier l'adversité ? Loin de reprendre les codes éculés du shônen, Ryukishi07 apporte très intelligemment des éléments de réponse, mais ne vous y trompez pas : libre à vous d'imaginer une autre histoire que celle contée, et de trouver par vous même un moyen de vaincre la destinée.

Mais même une fois cela dit, je ne crois pas que l'on ait atteint le coeur du problème, ce qui fait vraiment de Higurashi le Best Game Ever par excellence (ça y est, je l'ai dit...). L'amitié, l'amour, la confiance, la peur, le rire et la camaraderie sont plus réels que la réalité, et lire cette histoire c'est presque se faire de vrais amis tant le réalisme et la complexité de chacun des personnages est hallucinant.

L'énigme elle-même, enfin, est d'une cohérence et d'une complexité bouleversifiantes; ainsi, on ne parle pas d'Higurashi à la légère, de peur d'en raconter la fin par inadvertance : c'est donc un péché que je ne commettrai pas.

Disons juste qu'il faut remonter dans l'âme de chacun des personnages pour pleinement saisir ce qu'il se passe, et que c'est un voyage dont on ne sort pas forcément indemne... Les scènes épiques suivent les scènes émouvantes, les scènes émouvantes suivent les scènes terrifiantes, à chaque instant ton cœur est balloté, au bord de l'éclatement, c'est trop fort, trop beau, c'est trop tout simplement, on rit, on pleure et finalement on n'en peut plus.

Hinamizawa, juin 1983. Le monde est devenu fou, ou bien est-ce vous qui l'êtes ? Des âmes ont souffert durant bien des années, et se sont craquelées avec le temps. Qui sauvera qui ? Où le mal viendra-t-il ? Tant de questions pour un millier de réponses qui laisseront stupéfait le plus blasé des Sherlock Holmes.
Je m'étais promis au moment d'écrire cette critique de ne pas faire de citations. Vous qui êtes arrivé jusque là, accordez-moi une phrase, pourtant, une seule. La plus belle, peut-être, en guise de mot de fin :

"Un dieu est un être pétri de solitude."

10/10, et plus encore.

Créée

le 10 avr. 2014

Modifiée

le 14 avr. 2014

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Tezuka

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