Dans une vie antérieure, j'étais un superbe trilobite

Un jeu zen... Voilà un bel oxymore quand on connait la quantité d'adrénaline drainée même par les plus artistiques des oeuvres vidéoludiques. Personnellement, je ne demande pas mieux que d'expérimenter des interactions susceptibles de me conduire dans un état méditatif. Et flOw semblait bien parti pour réussir le défi... Ce premier opus du désormais célèbre Thatgamecompany est en effet directement inspiré de la théorie psychologique du même nom (le « flow » donc, pour ceux qui ne suivent pas) d'un certain Mihály Csíkszentmihályi. L'idée est en fait toute simple et pille un concept spirituel universellement répandu: le secret du bonheur, c'est de ne plus faire qu'un avec son activité, quelle qu'elle soit. Se créé alors une parfaite identification entre le sujet et l'objet qui sert de support à cette activité; les deux se confondent: l'être atteint le samadhi yogique.

La théorie du flow précise toutefois, entre autres, que la difficulté de l'activité doit être correctement ajustée: ni trop facile, ni trop difficile, afin de maintenir l'équilibre précaire du flux. Du coup, dans flOw, le joueur a purement et simplement le choix d'affronter ou non les créatures qu'il croisera dans ces abysses numériques. Au point de pouvoir directement tracer jusqu'à la fin du niveau en 1 minute et donc de ne pas jouer ! A chacun de voir, selon ses aptitudes... Est-ce un argument suffisant pour espérer nous faire atteindre l'Eveil ? Ne vous emballez pas, les gars...

Le problème de flOw, c'est que, finalement, je ne vois pas en quoi il est relaxant. Si on choisit de ne pas jouer, l'expérience devient si ridiculement courte qu'elle en perd tout intérêt. Et n'espérez pas « explorer » le monde virtuel puisqu'il est proprement vide, vos opposants mis à part. Si vous décidez de jouer, et donc de ne pas vous faire chier par contre... vous vous retrouvez devant un mini-jeu proposant une succession d'écrans pratiquement fixes, comme la bonne vieille arcade d'antan, avec comme objectif de faire évoluer votre créature chétive de base en un prédateur capable de survivre aux monstres cachés dans les profondeurs. Votre rôle sera dès lors de poursuivre et de dévorer (ou non, vous avez le choix de la gourmandise) tout ce qui passera à portée de vos « mâchoires », y compris de pauvres bêtes qui ne vous ont rien fait. Certains combats contre des animaux plus gros et plus évolués représenteront un véritable petit défi, tandis que les innombrables êtres unicellulaires à capturer rendent l'aventure à peu près aussi intéressante qu'un bon vieux jeu de Snake (le serpent sur portable, pas le... vous aviez compris, pardon). Or, le flux tant attendu a pour ma part eu bien du mal à m'étreindre. Exceptés deux micro moments où les mouvements et les couleurs chatoyantes m'ont hypnotisé, je fus totalement incapable de me décontracter au vu du concept même du jeu: une lutte constante pour la vie, sans pitié, passant par la consommation incessante (oui, flOw est un jeu bien capitaliste) et l'espoir sans cesse entretenu d'en avoir une la plus grosse possible. De créature. Sans compter la maniabilité, certes grisante, au Sixasis qui trouve enfin une pleine utilité, mais rapidement frustrante à cause de sa légère imprecision. Et justement, frustration = rupture du flux...

Bref, le principal niveau d'expérience du jeu était très loin de me dépayser malgré son excellente idée de ne pas rebuter le joueur avec un quelconque Game Over: toute mort ne fera que vous forcer à remonter d'un niveau de profondeur. Qu'importe, pris dans l'angoisse sombre des premiers instants chaotiques d'une espèce de soupe originelle fantasmée, j'étais nerveux, sans cesse aux aguets, à peu près dans l'état d'excitation d'une amibe perdue dans un bouillon de culture qui lui veut du mal. Par contre, si, à mon sens, le jeu et ses rouages arcade ratent totalement leurs ambitions de zentitude (à l'instar du sympathique-sans-plus « Child of Eden »), il reste tout de même assez intéressant pour son design, ultra-simple mais créatif (les créatures sont aussi belles qu'étranges) parfois nimbé de superbes couleurs et de thèmes musicaux dynamiques (le genre de truc qui m'impressionne toujours autant). Oui, l'expérience vaut le coup d'être vécue une fois, oui le tout dégage un parfum de fraicheur dans l'industrie mais le résultat, entre fulgurances et lassitude, ne marquera sans doute pas vraiment le média que nous aimons tant...
Amrit
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le 24 août 2013

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Amrit

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