Ah les années 90, période faste pour les amoureux de J-RPG. Aux côtés des Final Fantasy, Dragon Quest et autres Phantasy Star, se tenait alors la série des Far East of Eden (Tengai Makyô au Japon) dont le fort succès contribua grandement à l'essor du format Super CD de la NEC PC-Engine sur le territoire nippon. Après l'épisode Zero sorti en 1995 sur Super Famicom, Red Entertainement sortait au début de l'année 1997 l'opus qui est depuis souvent considéré comme l'un des si ce n'est le meilleur de la licence, ainsi que l'un des plus brillants J-RPG de l'ère 32/64 bits, Far East of Eden : The Apocalypse IV (de son nom complet Tengai Makyô : Daiyon no Mokushiroku).


Alors que les Far East of Eden nous avaient habitués à voyager dans les variantes d'un Japon féodal fictif baptisé "Jipang", c'est un tout autre tournant que prend cet épisode qui décide de prendre pour cadre l'Amérique de la fin du XIX ème siècle. L'histoire commence en Louisiane en 1893. Vous débutez votre aventure en plein milieu d'une partie de cache-cache sous les traits d'un jeune garçon prénommé Raijin, leader d'une bande d'orphelins parmi lesquels se trouvent Yumemi, amie d'enfance de Raijin secrètement entichée de ce dernier, et son frère jumeau Sam. Une fois la partie terminée, leur insatiable curiosité les amène à planifier l'un de leurs nouveaux jeux : investir un manoir hanté qui, selon la rumeur, abriterait une apparition fantômatique. Après une brève excursion dans ledit manoir, ils provoquent bien malgré eux le réveil de l'apparition en question, une entité démoniaque du nom de Sanetomo. Pris par la panique, les enfants s'enfuient et tombent sur Red Bear, fameux chasseur de démons indien et mentor de Raijin, qui les fait mettre à l'abri. Ce n'est qu'une fois en sécurité qu'ils s'aperçoivent que Sam manque à l'appel. Décidant d'y retourner avec son jeune disciple, Red Bear lui rappelle que la marque du Fire Clan qu'il porte sur son bras l'engage à de grandes responsabilités. Mais à leur retour le pire est arrivé : ayant pris le contrôle de Sam, Sanetomo est parvenu à prendre possession d'un ouvrage ancien et à invoquer une pluie de fléaux sur l'Amérique.


Six ans se sont écoulés depuis ces incidents. Le village est partiellement dévasté et la majorité de ses occupants ont fui. Raijin et Red Bear sont partis vivre en Alaska pour parfaire leur entraînement, Yumemi a quant à elle rallié la Californie pour tenter le rêve hollywoodien, et Sam est toujours porté disparu. Un jour, notre héros apprend à son réveil que son mentor court un grand danger face à un monstre dénommé Blizzard, et prend la décision de partir à sa recherche, rejoint en cours de route par un mystérieux guerrier se faisant appeler Seiya. Après un long effort, les deux combattants finissent par venir à bout de Blizzard, qui se révèle être un des membres d'une organisation maléfique connue sous le nom des "douze apôtres", mais le mal est déjà fait. Mortellement touché, Red Bear profite de ses derniers instants pour apprendre à Raijin que d'autres porteurs de la marque existent et que c'est en joignant leurs forces qu'ils parviendront à ramener la paix sur l'Amérique. C'est ainsi que débutera votre périple à travers les différentes contrées du jeu, avec en tête l'objectif de se joindre aux autres porteurs de la marque, de purifier les flammes d'Eden éparpillées aux quatre coins du pays, et de contrecarrer les plans de cette mystérieuse organisation. Les prémices d'une aventure qui peut sembler classique à première vue, mais qui en vérité réserve son lot de rebondissements, de moments forts et de triturations.


Car l'une des grandes forces de ce Far East of Eden, c'est bien son sens du rythme et de la composition. Vous faisant voyager à travers différents états de l'Amérique, de Seattle à New York en passant par le Texas ou la Californie, le jeu propose un renouvellement permanent au cours de la grosse trentaine d'heures que vous prendra la quête principale. S'il est un point qui a fait la réputation de la série, c'est bien son sens de l'humour, et cet épisode n'y déroge pas : entre les situations drôlatiques, les dialogues savoureux et les phases de jeu absurdes que ne reniereait pas un certain Earthbound, chaque entame de chapitre est vécue comme une aubaine par le joueur qui se demande bien quelle fantaisie le jeu va bien pouvoir lui concocter. On citera pêle-mêle une horde de teenagers sous l'emprise maléfique d'une star de la pop, un combat au sommet entre un robot geisha et un singe geant, un village entier à contaminer avec le virus de la "bleuite aiguë", ou encore des autochtones transformés en hommes-poulets par des androïdes ayant juré de se rebeller contre le genre humain. Et ce n'est qu'un échantillon. Théâtre de ce concentré de non-sens, le pays de l'Oncle Sam n'est évidemment pas épargné, ainsi on trouvera nombre de références tournant en dérision la société américaine, ses travers (capitalisme, proéminence des médias, obésité), ses symboles (Fort Alamo, Alcatraz, le Mont Rushmore) et même ses icônes, avec en prime l'un des combats de boss les plus improbables qu'on ait pu voir dans un jeu vidéo. De facto, le seul point qui pourrait poser problème est que le jeu n'est disponible qu'en japonais... Heureusement, grâce à son aspect très visuel, même le non-japonisant pourra comprendre les situations dans leurs grandes lignes.


Un concentré de n'importe quoi qui se marie pourtant et ce de façon étonnante avec une histoire plus lugubre et grave que dans les standards habituels de la série, et c'est là l'une des réussites du jeu qui sait comment ajuster son ton et qui parvient à jongler entre les intermèdes légers visant à exploiter son potentiel comique, et les instants plus sérieux où son sens de la dramaturgie et de la mise en scène ne brille que davantage, lui permettant de délier son intrigue et développer ses personnages sans que celà ne paraisse forcé ou impromptu. Concernant les personnages justement, en plus de bénéficier d'excellents designs signés Torajiro Tsujino (chara-designer attitré de la série), ils se montrent à la fois mémorables, intéressants et attachants, tantôt drôles et tantôt touchants. Qu'il s'agisse de Yoh-Noh l'intrépide et fière guerrière indienne en proie à ses démons intérieurs, de Yumemi l'amie dévouée qui derrière son côté bienveillant et optimiste cache une facette plus sombre, d'Ace le cowbow légèrement schizophrène, un brin mégalo et vantard, ou de Zengo l'autoproclamé samouraï totalement dépourvu de courage et de raison, c'est une nouvelle réussite du titre, et il est à noter que les rôles secondaires ne sont pas en reste de leur côté. L'occasion aussi de saluer le travail des comédiens de doublage, complètement dans leur rôle et qui arrivent à insuffler de la vie aux protagonistes qu'ils incarnent.


Dans la forme, le jeu est un J-RPG tour par tour au sens le plus traditionnel. Un peu à la manière des premiers Dragon Quest ou de la série Mother, les personnages ne sont pas affichés à l'écran, seuls les ennemis vous feront face. Le système de jeu est quant à lui on ne peut plus classique : attaques physiques, attaques spéciales propres à chaque personnage qui consomment des points PT, et magies utilisables par tous qui consomment une jauge de PM commune aux membres de l'équipe, et qui s'obtiennent en rendant visite aux chefs des différents villages indiens. Passé un certain stade du jeu, vous aurez également accès à des attaques duo qui se débloquent par la progression de l'intrigue et qui en plus d'offrir de superbes séquences animées, sont souvent dévastatrices. Un ajout bienvenu qui ne parvient pas non plus à estomper la sensation de se retrouver en face d'un système certes efficace mais un peu rudimentaire, d'autant plus que le jeu n'est pas bien difficile, et assez mécanique dans sa progression. En effet, chaque état nouvellement visité se construit peu ou prou de la même manière, avec quelques villes dont une principale, plusieurs camps indiens, différents environnements à parcourir et un donjon au bout duquel vous attend le boss de fin du chapitre, une linéarité qui s'explique aussi par son approche résolument story-driven. Heureusement, le jeu n'impose pas un grinding intensif, et facilite même la tâche du joueur en rendant les ennemis visibles sur la map et dans les donjons, lui permettant d'esquiver un certain nombre d'affrontements, lesquels s'enchaînent très rapidement, fluidifiant ainsi sa progression..


Visuellement, cette mouture adopte une jolie 2D pour les décors et les modèles des personnages, avec en prime de subtils effets de lumière, d'eau et de transparence, preuve que la Saturn s'en est toujours mieux sortie avec ce genre de productions qu'avec celles utilisant la 3D. Une autre force du titre est sa capacité à varier ses ambiances visuelles. De l'aride village mexicain qui se transforme en lieu de culte occulte dès la tombée de la nuit, au parc d'attractions grossièrement construit sur les vestiges d'un village indien, en passant par les pages d'un livre illustré pour enfants, et même un monde imaginaire consitué de vos propres souvenirs, le jeu fait preuve d'une créativité de tous les instants. Mais à l'instar de ses devanciers, Far East of Eden : The Apocalypse IV se distingue évidemment par ses séquences d'animation, tous les dialogues revêtant une importance scénaristique étant doublés et animés, donnant encore plus de vie et de mouvement aux échanges, notamment grâce à la diversité des expressions données aux personnages. Il en va de même pour les cinématiques principales, fluides et particulièrement propres pour un jeu de cette génération, et qui servent toujours admirablement les moments clés qu'elles sont censées accompagner.


Du côté de la partie sonore, outre la qualité des doublages, il convient de féliciter le travail accompli par Toshiyuki Sasagawa, avec des musiques qui s'accordent toujours de façon convaincante au contexte. Si le thème de combat standard est assez passable, on notera entre autres le frénétique thème des boss principaux, celui du Fort Alamo et son refrain entêtant, l'hymne des Sun Crusaders et sa cadence militaire, ou encore l'hypnotique musique des villages indiens. Et c'est sans parler des thèmes chantés qui viennent ponctuer votre aventure, les développeurs de Red Entertainement ayant profité au maximum du support CD de la Sega Saturn. Là aussi, Far East of Eden : The Apocalypse IV joue à fond la carte de la parodie, entre les références aux idoles pop/rock et aux numéros musicaux de Broadway, allant même jusqu'à inclure une séquence caricaturant les openings d'animés japonais, c'est toute une frange de la culture populaire qui est tournée en dérision, et ce pour notre plus grand plaisir. L'occasion de faire également mention des superbes réorchestrations des thèmes rattachés à chacun des cinq personnages principaux, toutes jouées par un véritable orchestre symphonique. De l'héroïque thème d'introduction aux crédits de fin empreints d'une douce nostalgie, c'est toute une foule de souvenirs qui resteront ancrés dans votre mémoire dès lors que vous poserez enfin la manette.


Far East of Eden : The Apocalypse IV, en plus de concrétiser tout le savoir-faire d'un studio passé maître en la matière, réunit tous les ingrédients qui ont pu faire les grands J-RPG de l'époque. Drôle, touchant, prenant, inspiré, intelligent, il est non seulement l'un des meilleurs jeux de la Sega Saturn, mais également l'un des plus brillants J-RPG 2D à avoir vu le jour.

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le 13 sept. 2018

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