L'expérience, sans doute le mot le plus utilisé dans le jeu vidéo depuis l'avènement de la scène indé où, pour faire dans le cliché, le moindre pixel éclairé en noir en blanc sur une musique minimaliste basée sur 1/2 accord de guitare provoque l'émoi de certains (journalistes ou autres) contents d'enfin pouvoir utiliser dans leurs écrits le mot "poétique". Everybody's Gone to the Rapture nous propose-t-il une expérience poétique transcendant le mot même pour s'asseoir en oeuvre majeure et dans les ténèbres les lier, etc.... Pour être précis: NON.


Non EGTR (titre définitivement trop long) est un simulateur de marche nous projetant dans une campagne anglaise magnifiquement vide où seules restent comme présence des traces lumineuses d'habitants, réminiscence de moments de vie. Il n'y aura rien de plus... Pas de gameplay pointu et précis (avancer, ouvrir les portes et incliner la manette pour révéler les orbes lumineux, rien de plus), pas de mise en scène narrative à outrance (les "traces" apparaissent et disparaissent après avoir révélé leur dialogue), pas de niveaux (juste des noms de personnages à suivre), ni de réelle progression. On pourrait légitiment se demander ce qui sauve le jeu du snobisme latent de certaines productions où le sacrifice du gameplay et de la scénarisation sont faits sur l'autel d'un étonnement soi disant philosophique.


Everybody's Gone to the Rapture concrétise sa plus grande réussite dans la campagne anglaise évoquée plus tôt. Jamais un univers n'aura semblé aussi beau et mélancolique. L'absence est un thème récurrent du jeu, qu'il s'agisse de l'absence de vie, de bruit ou même du temps qui passe. Traverser ses rues, arpenter des habitations désertées de toute présence, fouler d'immenses prairies, plaines de jeux et champs où ne subsiste qu'une nature figée provoque chez le joueur un sentiment de solitude vraisemblable et immersif. On se sent presque heureux d'apercevoir au loin une trace lumineuse, on part à sa poursuite, vers d'autres lieux (gare, usine, église,etc.) dépeuplés et on assiste en témoin résolument passif à des bribes de vie de cette petite communauté disparue. On tente de recoller les morceaux et de découvrir ce qui se cache derrière cette soi-disant épidémie de grippe. La narration est volontairement déconstruite et ce sera toujours au joueur d'assembler les morceaux pour en tirer un sens et au final une interprétation.


Là est bien la plus grande réussite du titre, ses niveaux de lecture et les interprétations possibles. EGTR interroge avant tout sur notre rapport à l'autre, sur le sens du vivre ensemble et sur la notion du bonheur qui n'existe que partagé (citation qui prend tout son sens sur la fin du jeu). On a reproché au jeu certains thèmes un peu simples basés sur l'adultère, les rancunes et la tromperie en général. Simple peut-être, mais pas simpliste. Le tout est extrêmement cohérent et fait écho à la solitude ressentie par le joueur en quête de réponses. Réponses qui se trouveront soi dans la foi (Rapture fait référence à L'enlèvement biblique) de certains personnages qui confrontés à la mort et à leurs peurs prieront un Dieu absent de venir les sauver, dans la science tentant de nous expliquer que nous ne sommes qu'un tout d'un plus grand ensemble ou dans la philosophie nous amenant à nous questionner sur ce que nous sommes, voulons être et sur notre capacité à nous épanouir dans un monde fait de règles ou peuplé d'esprits étriqués. Si l'on se laisse porter par le rythme contemplatif, par cette nature vide mais pas morte et par l'espoir (final) qui semble surgir de la séparation, de la solitude ou de la mort, oui, Everybody Gone to the Rapture peut plaire.


Il reste à souligner l'incroyable bande son, aux accents parfois liturgiques propices à l'ambiance méditative du titre pour dire que cette fois on est bien en face, non d'une expérience, mais d'un jeu tentant quelque chose de différent et ce, Jusque dans ses choix de gameplay. Oui, la marche est lente (même si on presse R2) ce qui est logique et évident dans la volonté contemplative du produit. Oui, la fin bascule allègrement dans le métaphysique et ne donne pas de solution évidente à l'énigme proposée mais cela participe de l'effort d'interprétation demandé aux joueurs. C'est à vous seul de trouver vos réponses et pas au jeu de vous les donner. Nous forcer à réfléchir sur ce que nous sommes, finalement, me semble bien plus intéressant que 3 pixels s'agitant sur un son 8 bits.

jeds
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le 28 févr. 2016

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