En 2027 l'humanité n'a pas tellement changé que ça, tout ce qui l'intéresse ce sont les augmentations. Mais on ne parle pas de salaire, on parle d'améliorations biomécaniques permettant aux gens d'être plus rapide, plus efficace, plus fort, etc... des bras, des jambes, des yeux, des puces électroniques greffés sur le corps pour transcender les limitations humaines. Sarif Industries est l'une des entreprise phare du marché, un marché plein d'avenir et de promesses juteuses qui attisent bien des convoitises. Pas de chance, ils se font attaquer à la veille d'une révélation publique d'envergure. C'est à ce moment qu'Adam Jensen, chef de la sécurité pour Sarif Industries, prouve à tout le monde qu'il est incompétent pour le job en se faisant démolir la tronche par les assaillants. Il faut dire qu'ils ont des bras bioniques et que ça ne pardonne pas lorsqu'on est un humain sans autre option que les vitres teintés (car oui, Adam Jensen se balade en lunette de soleil à l'intérieur).
Qu'à cela ne tienne le patron de Sarif Industries sauve la vie d'Adam en lui greffant toutes sortes d'augmentations pour remplacer ses organes réduis en bouillie.
A son réveil (ou plutôt à la fin de sa rééducation) Adam, justicier biomécanique malgré lui, va remettre de l'ordre dans ce bordel.


LES AUGMENTÉS RÊVENT-ILS DE MOUTONS BIOMÉCANIQUES ?

Sur fond de terrorisme pro-humanité refusant les augmentations par la violence (on a déjà vu plus débile comme raison de faire sauter des bombes, il n'y a qu'a voir les informations) le jeu se déroule à une période charnière où les augmentations ne se sont pas encore imposées dans la société, elle existent mais sont encore grossières (prothèses voyantes) et ne concernent qu'une partie de la population. Comme tout bouleversement majeur le sujet anime les débats, aussi bien chez le poissonnier que dans les hautes sphères.
Dystopie oblige, le jeu nous dépeint un monde où tout ceci n'est que la pointe émergée de l'iceberg. En coulisse se trame de sombres complots d'ampleur internationale et des manipulations de diverses natures pour faire plier l'opinion publique. Les augmentations sont-elles une aubaine pour l'humanité ou bien sommes-nous entrain de brûler nos ailes à force de nous prendre pour dieu ?
Les fans de Cyber-punk ne seront pas perdus avec ce pitch classique, pour ne pas dire archétypale, du genre. Rien de nouveau sous le cyber-soleil mais il faut reconnaitre que les différentes thématiques abordées le sont sans trop de manichéisme ni trop de naïveté (mais un peu quand même) et donnent à l'univers une profondeur et une cohérence vraiment appréciable.

Le scénario en lui même nous entraine aux quatre coins du monde à la poursuite d'une vérité aux contours flous. Les méchants ne sont pas forcément ceux que l'on croit et il en va de même avec les gentils mais à l'arrivée chacun possède un point de vue plus ou moins défendable. Si la progression dramatique est parfaitement maitrisée certains rebondissements sont un peu trop prévisibles et pêche par manque d'originalité ou d'ambition. Des petites lacunes d'écritures que l'on retrouve aussi dans les dialogues, à la pertinence aléatoire, et dans les personnages dont certains manque un peu de relief. Deviner qui est le gros traître dès la première rencontre, c'est toujours un peu dommage.

En revanche s'il y a bien un point sur lequel le jeu fait parfaitement mouche, c'est sur sa direction artistique. Baigné dans une belle lumière orange/dorée le monde de Deus Ex : Human Revolution est parfaitement cohérent et agréable, même le look "trop bogoss pour être vrai" d'Adam passe finalement très bien. Ce qui marque peut-être encore plus que le reste c'est l'architecture : la vision de la cité d'Hengsha, ville hiérarchisée sur deux niveaux où les riches étouffent des pauvres qui ne voient jamais le soleil, est simplement sublime. Une architecture tellement réussie qu'on en vient à regretter doublement la rareté des niveaux en extérieur.
L'ambiance s'installe donc naturellement et les développeurs ont su remplir leurs niveaux d'une multitude de petits détails (les rues de Détroit sont, par exemple, un vrai plaisir à parcourir) renforçant encore un peu plus l'implication du joueur.
Autant dans la direction artistique que dans la trame scénaristique, on retrouve des emprunts à Asimov ou à K. Dick, à Ghost in the Shell, à Metal Gear Solid, à Gunnm, à 2001 L'odyssée de L'espace ou à Matrix. Des citations plus ou moins directes qui s'intègrent parfaitement, parfois avec humour comme en témoignent les posters "Final fantasy XXVII" ou ces flics discutant de Robocop sans réussir à retrouver le nom du chef d'oeuvre de Paul Verhoeven.
Le tableau artistique ne serait pas complet sans parler de la superbe musique du jeu, toujours inspirée, jamais prise de tête.
Cette direction artistique de haute volée permet de pardonner un bilan technique moins flamboyant. Si le jeu n'est pas moche il a du mal à masquer une modélisation trop sommaire, une animation pas toujours au top (surtout lors des dialogues) et quelques textures douteuses. Heureusement la fluidité (sur PC s'entend) est parfaitement assurée.

S'il est un peu trop prévisible et un peu trop classique le scénario de Deus Ex : Human Revolution n'est pas pour autant mauvais, il fonctionne même plutôt bien et il possède une délicatesse devenue assez rare : il n'est pas intrusif. Cinématiques courtes, dialogues ne coupant pas le cours de l'action, dialogues que l'on peut écourter, scripts très rares... on est bel et bien là pour jouer avant tout.


WEAPON OF CHOICE

Pour ceux qui ne connaissent pas la franchise créée par Warren Spector, les Deus Ex sont des FPS augmentés avec des éléments RPG. Basiquement on avance arme au poing et on dégomme de l'ennemi (humain, mécanique ou un mélange des deux) pour arriver à son objectif.
Seulement voilà, cette approche n'est qu'une partie infime des possibilités du jeu. Pour aller du point A au point B le meilleur chemin n'est pas forcément la ligne droite. Grâce à des niveaux vastes et semi-ouverts (la majorité sont en effet des espaces clos) le joueur pourra résoudre les situations qui s'offrent à lui de la façon qu'il voudra. Le bourrin prendra son fusil d'assaut et ira au feu sans plus de détours tandis que l'amateur de finesse pourra chercher un endroit pour sniper tranquillement, prendre l'adversaire à revers ou même retourner ses défenses (tourelles et robots) contre lui. Le hacker philanthrope pourra quand à lui trouver des chemins cachés et assommer uniquement les quelques gardes vraiment gênants qu'il croise.

Cette liberté d'action est parfaitement mise en valeur par un level-design astucieux qui laisse toujours au joueur plusieurs solutions (en dehors d'une poignée d'endroit clé) : progression masquée selon le rythme des patrouilles, grilles d'aération, porte à crocheter (via un système de hacking vraiment chouette), couloirs parallèles, étages multiples... les esthètes pourront même se créer de nouveaux passages en fracassant des murs un peu trop fragiles.
L'équilibre entre les différentes approches est remarquable puisqu'elles sont toutes utiles et le joueur ne ressent ainsi aucune contrainte à utiliser l'une ou l'autre, quitte à changer radicalement d'approche en plein milieu de partie.

Les rares moments qui obligeront le joueur à une approche spécifique ne sont que rarement pénalisants puisque le terminal à hacker sera accessible avec les compétences de base ou bien il y aura un bonus d'xp judicieusement placé (et souvent intégré de façon logique, ça fait plaisir) pour débloquer la compétence nécessaire.
En revanche on croise (pas souvent, heureusement) des boss qu'on ne peut battre autrement que par la force. Enfermé dans une arène, sans solution alternative, le hacker n'ayant qu'un minable taser pour seule arme sera alors bien emmerdé pour continuer l'aventure... surtout quand le mec en face à une gatling à la place du bras et balance des grenades pas paquet de 3.
Il y a évidemment des armes dans la salle pour nous aider mais les récupérer demande une prise de risque qui engendrera un certain nombre de décès au goût d'injustice. Une fois le premier boss vaincu le ninja non violent gardera toujours sur lui une arme mortelle histoire de ne plus se retrouver dépourvu. Les affrontements suivants se révèlent ainsi bien moins frustrants et tant pis pour le "tu ne tueras point", qui pourra néanmoins s'appliquer à tous les autres personnages du jeu.


RÉALITÉ AUGMENTÉE

Pour compléter l'excellent level-design le jeu propose un large panel d'armes allant du taser non létal au lance roquette à longue portée, en passant par la mitrailleuse réglementaire ou le classieux revolver, à l'efficacité redoutable. Les petits vicieux auront aussi une tripotée de mines différentes et les adeptes du nettoyage par le vide seront heureux d'apprendre l'existence d'une grande variété de grenades.
Globalement le feeling est bon et les armes efficaces. Bien sûr on n'a pas le savoir-faire d'un Dice ou d'un Id Software mais les fusillades remplissent leur job convenablement.
Il est bon de souligner que la vie de notre avatar, aussi bionique soit-il, fond très très vite sous l'effet du plomb. Donc le bourrinage intempestif à ses limites et l'utilisation du système de couverture, ainsi que la planification des assauts, seront utile pour ne pas mourir inutilement.

Le système de couverture est souple, intuitif et renvoie Metal Gear Solid 4 pleurer dans sa chaumière mais il a un petit défaut. L'angle qu'il apporte sur l'action est vraiment trop avantageux ce qui facilité peut être un peu trop le choses lorsqu'on se la joue infiltration. Un avantage qui ne serait pas aussi "gênant" si le jeu ne proposait pas de base un radar (que l'on peut améliorer, histoire de le rendre encore plus abusif) indiquant la position et la direction du regard des PNJ qui nous entourent.
Pour ne pas casser le trip exploration/ninja il est également recommandé de désactivé la surbrillance des objets qui rend la progression un peu trop simple et brise indéniablement une partie du fun de l'approche furtive. On pourra aussi reprocher à l'IA quelques curiosités comme une mémoire qui reboot en cas d'écran de chargement ou une propension à ne jamais regarder les coins d'une pièce lorsqu'elle traque un bruit suspect. Néanmoins elle a l'oeil suffisamment aiguisé (attention à ne pas laisse trainer de corps) et la gâchette suffisamment vive (un coup de shotgun signifie la mort) pour proposer un vrai challenge, surtout en cas de surnombre.

L'orientation du joueur dans tel ou tel gameplay pourra être consolidé à l'aide des "Praxis", des points de compétence échangés contre de l'argent dans des cliniques spécialisés ou glanés avec l'expérience. Afin de ne pas favoriser la boucherie les points d'expérience peuvent aussi se gagner en réussissant un hacking exemplaire ou en découvrant des chemins cachés. Le jeu récompense d'ailleurs la prise de risque puisqu'assommer un garde au corps à corps (via des takedown joliment mis en scène à la troisième personne) rapportera plus de points d'un headshot lointain.

Les Praxis sont a dépenser dans les différents membres augmentés d'Adam : les yeux, les bras, le dos, le torse, les puces neurales, les jambes. Oui, il ne reste pas grand chose du Adam original.
Chaque membre donne accès à des capacités en conséquence. Les différentes compétences permettent à chaque joueur de trouver des nouveaux jouets pour affiner son orientation. Le soldat pourra ainsi annuler le recul de ses armes grâce à ses gros bras musclés, épaissir sa peau pour résister aux balles ou à l'électricité, améliorer ses jambes pour courir plus vite, expulser des nano-bombes de son thorax pour tout pulvériser dans un rayon de 5 mètres ou encore augmenter son inventaire pour stocker son encombrant lance-roquette.
Le ninja furtif pourra, quand à lui, devenir invisible quelques secondes, réduire le bruit de ses pas, sauter depuis de hautes corniches pour assommer ses assaillants 15 mètres plus bas, surveiller ses ennemis à travers les murs ou pouvoir se débarrasser simultanément de deux adversaires au corps à corps.
Bien évidemment le joueur a l'entière liberté de mélanger les approches et de répartir ses Praxis sans dominante afin de modeler ses possibilités à sa façon de jouer.


QUAND TIQUE LA MÉCANIQUE

Deus Ex : Human Revolution pousse le concept d'exploration tellement loin qu'on ne peut que regretter le peu de prise dont dispose le joueur sur le déroulement des évènements.
Le jeu engage à certaines décisions qui amèneront à certaines conséquences plus tard dans le jeu. Des petites scènes qui renforcent encore un peu plus la cohérence de l'univers mais qui n'ont finalement pas (ou très peu) d'impact sur le déroulement global de l'histoire.
L'influence du joueur est en effet limitée à des choix très tardifs, aboutissant à 4 fins différentes qui reposent plus sur notre moralité à un instant précis que sur l'accumulation d'actions sur la longueur. Le joueur impliqué n'y verra peut-être pas vraiment la différence mais il est un peu dommage de ne pas être plus confronté aux conséquences de nos actes (bons ou mauvais).
Dans le même ordre d'idée il est regrettable que certains personnages ne tiennent pas compte du massacre de leurs hommes. Lors des dialogues ils discuteront tranquillement avec nous, comme si la pile de cadavres sur le seuil de la porte n'était pas là. Autant le samaritain n'y verra rien, autant le psychopathe assoiffé de sang ne manquera pas de le remarquer.

Si les fonceurs plieront, grâce à leur fusil à pompe et à leurs testicules bioniques, le jeu en une vingtaine d'heure Deus Ex : Human Revolution offre suffisamment de contenu aux joueurs plus patients pour doubler la durée. Les explorateurs seront récompensés par des quêtes dissimulées, des bonus d'Xp, des caches d'armes et même des kit Praxis octroyant un point Praxis gratuit et immédiat. Les quêtes annexes ne sont pas forcément hyper nombreuses mais elle sont globalement intéressantes. Le jeu a la délicatesse de nous épargner les quêtes idiotes à base de chiens perdus ou de lettres d'amour à transmettre. A un moment on craint une mission d'escorte, pénible par définition, mais le jeu évite l'écueil au dernier moment, ouf.


J'AI VU TANT DE CHOSES QUE VOUS, HUMAINS, NE POURRIEZ PAS CROIRE

Si on peut toujours reprocher un certain manque de finesse dans l'écriture et quelques entorses incompréhensibles dans le game design (ce fichu boss !), l'aventure proposée par ce nouveau Deus Ex est captivante de bout en bout. Avec son ambiance paranoïaque et délétère le jeu propose une expérience qui ravira les fans de cyberpunk tout comme les "simples" amateurs de bons jeux.
Au delà de son atmosphère le jeu séduit surtout par son gameplay à tiroir. La liberté mise en avant par les développeurs n'est pas qu'un argument marketing puisque les pacifistes convaincus trouveront autant leur compte que les nihilistes sanguinaires dans la multitude d'approches offertes par le jeu. Inutile de dire qu'en terme de rejouabilité il y a largement de quoi faire, essayer les différentes combinaisons possibles est un plaisir à part entière.
Porté par une direction artistique irréprochable Deus Ex : Human Revolution est une franche réussite. Il réussi là où Deus Ex : Invisible War avait échoué : ouvrir la franchise à un public plus large, en améliorant l'accessibilité, sans sacrifier la profondeur du gameplay.
Plus qu'une suite réussie, c'est une véritable renaissance que nous propose Eidos Montréal.

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le 5 sept. 2011

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