Jeu terminé en une petite dizaine d'heures (sans compter la rejouabilité)
Critique garantie sans spoilers.


Si les jeux narratifs, et notamment les précédentes créations de David Cage (Heavy Rain, Beyond : Two Souls) ne font pas l'unanimité, c'est peut-être parce que les joueurs ne sont pas encore prêts à revoir et à repenser leur média avec moins d’interactivité que celle à laquelle ils sont habitués. Pourtant, et Detroit : Become Human le prouve, le jeu a souvent plus à offrir qu'un gameplay léché ou un monde ouvert toujours plus vaste. En se concentrant sur ce qu'il a à raconter et à transmettre, Detroit nous entraîne dans un univers fascinant qu'il est ensuite bien difficile de quitter.


A la manière d'un roman ou d'une série, le jeu a fait le choix de raconter la même histoire, celle de la volonté d'émancipation des androïdes dans un futur proche où ils servent d'esclaves modernes, à travers le point de vue de trois de ses membres. Le joueur se retrouve donc à accompagner successivement Connor, chargé d'aider la police sur les enquêtes en lien avec des androïdes défectueux, Kara, qui doit faire office de gouvernante mais aussi de mère de substitution pour la petite Alice, et enfin Markus, qui devient presque malgré lui le leader d'une révolte annoncée. Tous trois ont un point commun : ils sont conscients, presque trop, de leur nature et de leur infériorité aux humains qu'ils côtoient (et souvent, qui les "possèdent"). C'est ce point particulier qui va les mener, chacun en prenant des chemins différents, à devenir des "déviants", autrement dit des androïdes capables d'émotions et de réfléchir par eux-mêmes. Et ce sont ces chemins qui vont faire toute l'implication du joueur car le choix est laissé dans toutes les situations auxquelles les héros sont confrontées. Et si les conséquences sont parfois minimes, elles peuvent aussi devenir catastrophiques.


La force de Detroit est incontestablement son écriture. Pour peu qu'on ne soit pas totalement hermétique à ce type d'expérience, on se laisse forcément embarquer par la quête de liberté et de reconnaissance de chacun des protagonistes et tout est fait pour qu'on ressente de l'empathie envers eux. Leur combat trouve une résonance universelle (et même d'actualité) et oblige à s'interroger sur notre rapport au monde, aux autres, ou encore à la propriété. A la manière d'un excellent livre, Detroit : Become Human livre ici une histoire prenante, dont le rythme s'accélère rapidement et qui explore véritablement le caractère et la personnalité de ses protagonistes. On comprend que chacun de nos choix peut directement influencer la survie même des personnages, et être acteur de ce qui leur arrive devient alors un véritable dilemme. Les aider à s'échapper ou faire en sorte que la police les arrête ? Les sauver ou les tuer ? Autant de situations qui mettront souvent la morale du joueur à rude épreuve et qui permettent également de découvrir différents embranchements et donc, plusieurs scénarios et fins alternatives.


S'il est compliqué de parler de level design ou de gameplay (qui se limite finalement à des déplacements et à des QTE), Detroit a cependant un important élément qui joue en sa faveur côté immersion : ses graphismes. Quantic Dream l'avait déjà prouvé par le passé, mais le studio est passé maître en l'art de l'animation et surtout en capture de mouvement. Chaque personnage est en effet joué par un acteur (Markus est par exemple interprété par Jesse Williams, notamment connu pour son rôle dans la série Grey's Anatomy) et chacune des scènes du jeu (y compris toutes les alternatives possibles) ont été tournées par les acteurs eux-mêmes puis retranscrites dans le jeu. Afin de comprendre l'ampleur de ce travail, le studio a d'ailleurs eu la bonne idée de présenter les coulisses du jeu dans des bonus qu'il est possible de débloquer. Une attention particulière a été apportée aux visages afin de les rendre plus vrais que nature. Histoire de pousser le bouchon et d'en faire une vitrine technique, le menu de Detroit s'ouvre d'ailleurs sur une androïde, Chloé, qui réagira différemment, passant de la joie à la réflexion, à chaque fois que le joueur rallumera la console. A elle seule, Chloé montre à quel point Quantic Dream cherche à atteindre la perfection dans sa modélisation des personnages pour mieux surprendre le joueur, jusqu'à lui faire douter de l'aspect inoffensif de cet agent d'accueil improvisé.


A l'instar de ses aînés, Detroit : Become Human divisera. Ni totalement jeu pour certains, ni complètement sans interactivité pour d'autres, cette expérience hybride n'a pas pour ambition de changer fondamentalement la manière dont on joue mais plutôt de montrer que le média peut réellement concurrencer un livre ou un film quand il s'agit de raconter une histoire et de passionner son public. Une fois la console éteinte, difficile d'oublier Connor, Kara, Alice, Markus et les autres. On reviendra même au jeu avec plaisir pour chercher d'autres chemins que ceux découverts lors de son premier run. Chose, avouons le, bien difficile à la fin d'un livre...

Ritz
9
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le 10 avr. 2019

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Ritz

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